Pas moins de 240 journées mondiales répertoriées : la machine à créer de la célébration s’emballe. Honneur aux faits d’armes. Les commémorations nationales que le devoir de mémoire impose pour quelques grandes guerres et une révolution sacralisée ont le mérite de se référer à l’Histoire. Mais comment concilier l’exigence budgétaire que menace l’abondance des jours fériés avec celle de rendre hommages aux victimes des conflits récents ? Estimant que la mort des tout derniers poilus autorise l’élargissement du 11 novembre, le président de la République a annoncé son intention de dédier ce jour à « tous les morts pour la France ». Contestation immédiate du candidat socialiste : « Le 11 novembre doit demeurer à nos yeux l’évocation de ce terrible carnage qui a fait 10 millions de morts, toutes nationalités confondues. » De toutes les façons « aucune autre commémoration ne sera supprimée » a assuré Nicolas Sarkozy. Fermez le ban.
Mais, il faut aussi honorer les parents. Inscrite au calendrier par Vichy en 1941 pour encourager la natalité, la fête des mères est devenue si sacrée que personne n’ose invoquer sa date de naissance pour la contester. Un dimanche pour les pères fut ajouté par décret en 1952, officialisant l’initiative commerciale d’un fabriquant de briquets. Il aurait donc fallu l’appeler « fête du tabac ». Péché originel oublié, même si la fête des pères — et c’est justice — n’a pas atteint l’éclat de celle des mères, que les ultra-féministes abhorrent. Le filon commercial fut ensuite exploité jusqu’au bout avec les grands-parents… Puis ce fut le tour des secrétaires. Pour faire excuser 364 jours d’indélicatesse, leurs patrons sont censés leur offrir un bouquet au printemps, avec quelque risque de méprise sur l’intention. Jeudi 21 avril 2011, ce fut la 20e édition de cette aubaine de fleuristes.
à son tour, c’est la générosité qui a hameçonné le portefeuille des Français. Toutes les maladies de la planète y sont passées, du cancer à l’Alzheimer, vite suivies par quelques causes gratuites tout aussi incontestables. On luttera par exemple contre la « violence faite aux femmes » tous les 25 novembre. C’est même devenu une ficelle parlementaire : le législateur adore rédiger des alinéas prévoyant d’ajouter au calendrier républicain la « journée spéciale » dédiée à la cause motivant son nouveau texte de loi.
Une avalanche de journées, plus ou moins mondiales, de droits, plus ou moins légitimes, s’abat ainsi sur des esprits de plus en plus blasés : journées officielles soutenues par l’ONU pour les droits de l’homme, le 10 décembre, après celle de l’enfant, le 20 novembre. Tentative parasitaire pour le prétendu « droit de mourir dans la dignité » que le lobby de l’euthanasie veut imposer le 2 novembre, en lieu et place du jour des défunts. La journée de lutte contre l’homophobie (il faudrait préciser le sens du mot) flirte avec la même veine militante… Sa reconnaissance par la France a été imposée par les activistes gays au printemps 2008.
La célébration ponctuelle de la naissance du 7 milliardième être humain eut beau avoir l’estampille onusienne, elle ne fut pas en reste, avec son arrière-goût malthusien. La date « officielle » du 31 octobre frisait de toutes les façons le ridicule puisque les démographes ignorent, à 10 millions d’individus près, la population de plusieurs pays.
S’ajoutent à tout cela les événements humanitaires cathodiques. Inventés avec les meilleures intentions du monde, ils jouent sur l’émotion, manipulent la générosité, et finissent par ressembler à ces idoles sans vie devant lesquelles chacun doit se courber sans aucun esprit critique.
Combien de Français savent-ils que l’association qui porte le généreux Téléthon est devenue le plus puissant lobby scientiste de l’Hexagone ? Comme pour les Miss France, il leur devient difficile de savoir qui décide quoi, et pourquoi. Car il y a à boire et à manger dans cette compulsion à célébrer. Dérive commerciale et dérive idéologique.
Le 1er décembre 2011, jour de la grande fiesta antisida, les barmen étaient invités à ajouter aux cafés de leurs innocents clients du matin un préservatif. Toute autre façon de prévenir la pandémie est tenue pour blasphématoire. D’ailleurs, n’est-ce pas finalement le calendrier liturgique des catholiques qui s’efface doucement des esprits harcelés par d’autres rites ? Il n’avait pas besoin de cela, joyeusement encombré qu’il était déjà. Le 1er décembre, en même temps qu’on luttait contre le SIDA, étaient fêtés pêle-mêle les Florence, les Éloi, certaines Caroline… et même, surnageant à peine, un bizarroïde saint Tugdual.