Deux courbes qui ne se croisent pas encore, mais dont la dynamique est inversée. D’un côté, le triste, mais lucide, constat de la déchristianisation et du paganisme grandissant dans notre pays, dont témoigne à lui seul l’indicateur des « messalisants », c’est-à-dire ceux qui vont à la messe tous les dimanches – ce que demande l’Église à tous les baptisés. Il est de 5 % de la population française en 2025, quand en 1961, soit un an avant la fin du concile Vatican II, le taux se montait encore à 35 % de la population.
Pour Jérôme Fourquet, directeur de l’IFOP, qui a réalisé cette étude pour le tout nouvel Observatoire français du catholicisme (OFC), il s’agit même d’une « exculturation » du catholicisme : comme si ce dernier avait été expurgé de la société française et de sa culture, en tant que référence et ciment depuis les origines. Le résultat, c’est « l’archipel français », comme l’a appelé le sondeur : une société constituée de multiples communautés, cultures et religions juxtaposées, et qui ne font plus que cohabiter. Jusqu’à envisager un hypothétique « face-à-face » violent qu’avait prédit un ancien ministre de l’Intérieur.
Des signes d’espérance
Fort heureusement, il existe aussi des signes d’espoir, voire d’espérance, dans ce tableau sombre. C’est la deuxième tendance qui transparaît, en filigrane, dans cette enquête de l’OFC. D’abord le fait qu’un Français sur deux prie ou médite – sans plus de précision, notons-le, sur le contenu de cette prière… Plus prometteur, une « vitalité nouvelle » selon Fourquet, quoique minoritaire, ainsi qu’une « réaffirmation catholique » perceptible à travers plusieurs signaux faibles, comme le renforcement de la pratique de la messe plusieurs fois par semaine (4 % des baptisés).
Autre signe encourageant, il demeure « encore » 42 % de baptisés chez les 18-24 ans, ce qui montre une certaine résistance de la foi dans notre pays. Enfin, la récente remontée des baptêmes d’adultes, sans compter tous ceux – 8 % des Français, soit plus de 1,2 million de personnes – qui auraient déjà envisagé de se faire baptiser, constitue un beau terreau en perspective ! Selon Jérôme Fourquet, il faudrait même approfondir ce phénomène pour vérifier comment la présence grandissante de l’islam a pu conduire, en retour, à raviver les braises encore fumantes du catholicisme, comme l’a fait Frédéric Ozanam en son temps.
Les jeunes ont par ailleurs plutôt une bonne image de l’Église, et font preuve d’une ouverture religieuse plus grande que leurs aînés. On peut même parler d’une réelle soif spirituelle, qui se fait jour sur les routes du pèlerinage de Chartres ou lors d’autres rassemblements de jeunes. Jeunes qui constituent une terre vierge à reconquérir, dans une France redevenue un « pays de mission ».
Avec quels leviers ? C’est ici que les chiffres et le comptage montrent leur limite, comme l’avait déjà indiqué la mésaventure du roi David dans l’Ancien Testament pour avoir voulu dénombrer son peuple. Tout au plus Jérôme Fourquet indique-t-il la voie de la beauté, au vu de la fréquentation non démentie des églises, pour des raisons qui ne sont pas toutes religieuses. Le sondeur suggère aussi, sans trop s’avancer, d’aller regarder du côté des méthodes des missionnaires d’antan…
Les secours de l’Église triomphante
Ce qui nous conduit aux portes du surnaturel. À se concentrer ici-bas sur les trop maigres « divisions » de l’Église militante, on oublie un peu vite celles, innombrables, de l’Église triomphante. À quoi serviraient les saints qui nous ont précédés si leur exemple ne nous guidait pas sur la voie du Salut ouverte par le Christ ? Dieu se plaît à démentir nos projections les plus pessimistes.
D’une certaine manière, c’est ce qu’a rappelé le pape Léon XIV, dans son premier message adressé à la France catholique. Le Souverain pontife appelle de ses vœux un « nouvel élan missionnaire » (cf. FC n° 3905), fondé sur l’exemple de trois grands saints français. La patronne des missions, sainte Thérèse de Lisieux, et deux prêtres, le saint Curé d’Ars et saint Jean Eudes. Ce dernier, moins connu, incarne pourtant cette école française de spiritualité qui a inspiré les prêtres pendant des siècles, en insistant sur l’image du cœur pour signifier l’amour de Dieu pour les hommes. Loin du rigorisme janséniste, cette spiritualité trace un fil rouge à travers l’histoire de France : depuis saint Jean Eudes, le précurseur, jusqu’à la construction de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, en passant par les révélations du Cœur blessé de Jésus, il y a 350 ans, à sainte Marguerite-Marie, également la plus célèbre représentante de cet ordre de la Visitation, discret mais efficace propagateur de la dévotion au Sacré-Cœur.
À travers ces exemples, le pape Léon XIV indique ainsi une voie altière pour rechristianiser la France : il s’agit de retrouver une identité sacerdotale claire pour susciter de nouvelles vocations de prêtres, malgré les « vents contraires ou hostiles ». Avec un constat partagé que révèle en creux l’étude de l’OFC : cet héritage catholique français qui a si bien parlé de l’amour de Dieu n’est pas mort. Mais il faut le « raviver dans les cœurs ».