Nouvelles défenses de la liberté religieuse - France Catholique
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La France à Rome
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Nouvelles défenses de la liberté religieuse

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Comme chacun de ceux qui y prêtent attention en est bien conscient, la liberté religieuse est dans une situation précaire. Pour le moment, les sondages semblent montrer qu’une majorité d’Américains croit que la liberté religieuse prime sur les « droits » nouvellement découverts, comme le « mariage homo ». Mais nous avons toute une série de décisions qui mettent à mal les programmes raisonnables qui autorisent les parents à envoyer leurs enfants dans des écoles privées (y compris religieuses), les efforts continuels de l’administration pour imposer ses croyances dans le domaine de la santé, pour ne pas parler du paroxysme d’autosatisfaction si répandu professé aux dépends des boulangers, des propriétaires de pizzerias et des fonctionnaires qui ne suivent pas la passion idéologique du moment. Il est donc de la plus haute importance de comprendre ce qu’est la liberté religieuse et comment vont évoluer les circonstances culturelles actuelles.

En partie dans ce but, l’école de loi de l’université de Villanova a récemment accueilli un atelier pour les spécialistes, subventionné par la fondation Templeton. Les participants étaient tous intéressés par les questions de liberté religieuse, ou plus largement par les relations entre la modernité, ou le séculier, et la religion. Certains des participants étaient optimistes quant à l’avenir de la liberté religieuse, malgré son état actuel, alors que d’autres adoptaient une vision plus pessimiste. Et certains nous ont rappelé que dans de nombreuses traditions religieuses, la forme prise par l’État n’a pas d’importance. Les buts de la religion, y compris dans le christianisme, ne sont généralement pas concernés par ce monde-ci et impliquent qu’elle ne soit pas trop alignée avec la forme du gouvernement, quelle que soit cette forme.

Les lectures de l’atelier allaient de Burke et Jefferson à Benoît et John Courtney Murray, SJ. Les participants ont examiné si le Premier Amendement peut réellement être toujours considéré comme « un article de paix » comme dit Murray, c’est-à-dire un outil pour un pluralisme pacifique qui ne prend pas position sur les croyances religieuses. L’alternative est que le Premier Amendement devienne un article de foi et donc de désaccord. Contrairement à ce que pensaient peut-être certains, affirmer que la Constitution proposait une nation laïque qui n’avait pas de place pour l’expression publique de la foi crée davantage de tensions politiques et sociales.

Comme Steven Smith le souligne dans son récent et important ouvrage « La montée et le déclin de la liberté religieuse en Amérique », absolutiser un État laïque dissout ce qu’il nomme « le concordat américain ». Ce concordat était une interprétation qui a duré du début du 19e siècle jusqu’aux années 60, selon laquelle les différents courants religieux pouvaient légitimement affirmer et discuter leurs requêtes dans la sphère publique, parfois ils gagnaient, parfois ils perdaient, mais aucun n’était élevé au statut d’orthodoxie constitutionnelle. C’était un vrai pluralisme. Qui n’affirmait pas que l’une ou l’autre vue de la loi constitutionnelle était la bonne. Et Smith croit que cela représente une contribution de l’expérience politique américaine aux conflits occidentaux entre la politique et la foi. Quoi qu’il en soit, récemment, sous couvert d’un faux égalitarisme, un sécularisme dur a été imposé comme la lecture « correcte » de la Constitution américaine.

L’atelier a également offert une belle tranche d’érudition juridique récente. Malheureusement, cette érudition a glissé de la défense d’une vision solide de la liberté religieuse vers l’argumentation, que, en dépit de notre propre langage constitutionnel et de notre histoire, la religion n’est pas « spéciale ». Dans cette optique, la liberté religieuse est semblable à n’importe quelle autre liberté, comme la liberté d’expression ou la liberté d’association. Pour cette raison, ont affirmé ces érudits, la religion ne mérite pas de protection particulière, spécialement face à des intérêts importants du gouvernement. Nous voyons ici de nouveau à l’œuvre les acides dissolvants de la fausse égalité. Touts choses, même différentes, doivent être traitées de la même façon, et l’État est l’arbitre final et unique de ce qui peut être permis.

Cette érudition complète ce que le professeur de droit Marc DeGirolami nomme la montée des nuisances «dignitaires », vues par exemple dans la décision sur l’affaire Obergefell – bien que cela soit simplement le miroir d’un phénomène plus large. Cette position légale émergente prétend que les atteintes à la dignité d’une personne sont passibles de poursuites. Bien plus, certains actes supposés faire partie de la dignité individuelle – comme le droit de se marier – devraient être protégés et soutenus pas le gouvernement de façon à prévenir toute atteinte à la dignité.

Comme DeGirolami le dénonce dans un article intitulé « Free Exercise by Moonlight » (Libre exercice en catimini), c’est un chemin dangereux. Par nature, les revendications portant sur la dignité ne peuvent pas être réfutées, et il incombe donc au gouvernement de promouvoir et de donner une étendue toujours plus grande à ces revendications. Bien plus, il n’est pas toujours facile de savoir quelle dignité a été bafouée. Ceux à qui a été refusé un gâteau de mariage sont-ils plus malmenés que le pâtissier obligé d’en préparer un à son corps défendant ? Cette répercussion, comme l’a noté l’atelier, est fortement assujettie à la croissance de l’État. DeGirolami l’exprime ainsi :

L’expansion moderne des compétences de l’État a eu comme corollaire l’augmentation des formes de reconnaissance et de confirmation qu’il peut conférer. Le domaine de l’autorité de l’État s’étant étendu, les occasions d’être affecté négativement, ou « blessé » par un accommodement religieux ratifié par l’État croissent dans les mêmes proportions. L’accommodement religieux est déclaré par exemple comme portant préjudice à la « dignité » de ceux qui s’y opposent, ce qui implique que l’autorité de l’État inclut le pouvoir de conférer la dignité individuelle comme un droit civique autonome.

Inutile de le dire, cette vision des choses portée à l’extrême conduit au totalitarisme. S’il n’y a rien en dehors de l’État, c’est-à-dire si l’État détermine la nature de la « dignité » individuelle de chacun, il n’y a pas de limite à sa puissance.

Un des bienfaits de l’atelier était la mise en perspective historique qu’il a permise. La discussion est partie de la Querelle des Investitures, de la Réforme, des Guerres de Religion pour aboutir à l’époque actuelle. Un moyen d’appréhender les débats actuels est de les voir comme une nouvelle étape de la lutte entre l’Église et le monde, entre le pouvoir séculier et un pari sur un pouvoir qui n’est pas de ce monde. Si c’est le cas, ce qui garantira la protection de la liberté religieuse, c’est une culture de respect pour les traditions et les gens de foi. Des discussions sérieuses comme celle de cet atelier en sont un modèle.


Gerald J. Russello est un homme de loi et un rédacteur de The University Bookman.

Illustration : Edmund Burke par Joshua Reynolds, vers 1769 (National Portrait Gallery, Londres)

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/07/22/new-defenses-of-religious-liberty/