Idées fausses, modes et affaires de liberté religieuse - France Catholique
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Euthanasie : le dessous des cartes
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Idées fausses, modes et affaires de liberté religieuse

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Une façon d’être convaincu d’avoir gagné un débat politique ou judiciaire est d’exclure de votre esprit les vues contraires en relation avec des façons de raisonner qui sont devenues peu familières parce que démodées.

Cela arrive plus souvent que vous n’en avez conscience. Prenons, par exemple, deux genres d’affaires impliquant la liberté religieuse. Le premier concerne cette question : l’État ou le gouvernement local doit-il fournir une bourse aux parents qui envoient leurs enfants dans des écoles privées confessionnelles ? Ceux qui s’opposent à cette politique répètent souvent des arguments semblables à ceux proposés récemment par le révérend Barry Lynn, directeur exécutif de l’Américans United for the Separation of Church and State (Américains unis pour la séparation de l’Église et de l’État) : « les parents sont libres d’envoyer leurs enfants dans des écoles privées confessionnelles s’ils le désirent, mais… les contribuables n’ont pas à payer pour cela. »

Je suppose que c’est une façon d’envisager le problème. Mais considérez celui-ci. Rappelez-vous que dans l’Amérique des débuts, il y avait plusieurs États qui avaient fondé des Églises, car il n’y avait pas encore de 14e amendement (il a été voté en 1868) grâce auquel les Cours du 20e siècle auraient finalement imposé la clause de séparation de la Constitution Fédérale aux États.

Bien qu’ayant également des mesures solides de protection de la liberté religieuse, dans les États dotés d’une Église officielle, les citoyens étaient obligés de soutenir par l’impôt la foi officielle. Donc vous étiez libres de croire et pratiquer la religion que vous souhaitiez (du moment que cela ne troublait pas la paix et l’ordre public) mais vous deviez pourtant payer l’impôt pour subventionner l’Église officielle de l’État.

Quand j’explique ces arrangements politiques aux étudiants dans mon cours « La loi et la religion aux États-Unis », ils expriment une stupéfaction mêlée de soulagement : nous, gens modernes, sommes tellement plus éclairés que nos ancêtres passablement théocratiques. Je poursuis en demandant : « êtes-vous sûrs qu’il n’y a plus rien de semblable de nos jours ? » Après discussion, ils demeurent assurés que l’expérience des premiers Américains n’a rien de comparable avec l’époque actuelle.

Et alors je pose la question : « Combien d’entre vous ont suivi les cours d’un lycée privé chrétien avant d’intégrer Baylor ? » Chaque fois 25 à 35% des étudiants lèvent la main. Je demande ensuite : « Vos parents paient-ils des impôts locaux ? » Pendant qu’ils acquiescent d’un hochement de tête, je leur demande à quoi sont destinés ces impôts. Ils répondent : « A financer les écoles publiques. » Alors, je leur rétorque : « Laissez-moi mettre cela au clair : sous notre Constitution, vos parents sont libres d’exercer leur liberté religieuse en vous envoyant dans une école privée confessionnelle, bien qu’ils doivent toujours cependant payer l’impôt pour subventionner le système scolaire étatique. Êtes-vous toujours sûrs qu’il n’y a rien de comparable à l’heure actuelle avec l’expérience des premiers Américains ? »

Exactement comme les avocats des Églises d’État en Amérique arguaient que les dissidents étaient libres de croire et de pratiquer à leur gré, même s’ils étaient forcés de payer au gouvernement un impôt d’Église dont ils ne tireraient aucun bénéfice financier, Lynn offre aujourd’hui aux dissidents la même piètre consolation : « Les parents sont libres d’envoyer leurs enfants dans des écoles privées confessionnelles s’ils le désirent, mais… les contribuables ne devraient pas être forcés à payer pour cela. »

Le second exemple concerne l’affaire Burwell contre Hobby Lobby (2014). C’est l’affaire de la Cour Suprême qui implique deux entreprises familiales, Hobby Lobby et Conestoga Wood Specialties qui s’opposent à une réglementation (le mandat sur la santé) instaurée par le Secrétariat aux Affaires Sanitaires et Sociales en raison des pouvoirs qui lui sont donnés par le Affordable Care Act de 2010. Le mandat impose aux sociétés à but lucratif d’inclure des contraceptifs dans leur plan d’assurance santé pour leurs employés. Les propriétaires concernés croient que ces contraceptifs fonctionnent parfois comme abortifs, c’est-à-dire qu’ils tuent les embryons humains peu après la conception.

Les propriétaires de Hobby Lobby, membres de la famille Green, sont des protestants évangéliques, tandis que les Hahn, propriétaires de Conestoga, sont des mennonites. Pour cette raison, les compagnies soutiennent que la réglementation leur impose de payer – et donc de collaborer à leur usage – des produits qui violent ce que leurs théologies morales respectives leur enseignent sur le caractère sacré de la vie, cette réglementation est donc en infraction avec la loi de 1993 sur la liberté religieuse (Religious Freedom Restoration Act).

Dans son avis divergent, la juge Ruth Bader Ginsburg répond : « entreprenant l’enquête que la Cour renonce à faire, je conclurais que la relation entre les objections religieuses des familles et l’obligation d’une couverture contraceptive est trop ténue pour être conséquente. Les décisions de réclamer les bénéfices de cette clause ne sont pas prises par Hobby Lobby ou Conestoga, mais par les employés couverts et leurs ayant-droits, en consultation auprès de leur personnel de santé. » En substance, elle affirme que seulement payer et fournir un menu de mesures contraceptives à leurs employées comme avantages sociaux ne fait pas de Hobby Lobby ou Conestoga des complices d’activités qu’ils considèrent immorales.

D’un autre côté, la juge Ginsburg attribue le mandat sur la santé au Congrès, l’autorité législative habilitée, même si le mandat n’était pas dans le texte de loi voté par le Congrès et signé par le Président. Le mandat, comme je l’ai déjà noté, était une régularisation que le Département de Santé et de Services Sociaux a sorti en vertu des pouvoirs qui lui ont été conféré par la loi de santé. Mais dans ce cas le mandat était le résultat d’une décision d’un corps ne faisant pas partie du Congrès, ce qui n’aurait pas dû être fait.

Donc, si on ne peut pas légitimement attribuer de culpabilité aux Green ou aux Hahn simplement parce que la décision d’user de contraceptifs est faite par leurs employées et non par les Green ou les Hahn, alors on ne peut pas non plus attribuer légitimement l’autorité législatrice du Congrès aux Services de Santé qui ont établi le mandat, puisque la décision finale quant au contenu et à la portée du mandat a été prise par les Services de Santé et non par le Congrès.

La leçon à retenir est celle-ci, dans les propres mots de G.K. Chesterton : « Les idées fausses ne cessent pas d’être fausses parce qu’elles deviennent à la mode. »


Francis J. Beckwith est professeur de philosophie et d’études des relations Église-Etat à l’université de Baylor, où il est également directeur associé du programme d’études supérieures en philosophie.

Illustration : L’église Saint-Luc (Old Brick Church) à Smithfield (Virginie)

source : http://www.thecatholicthing.org/2015/07/30/fallacies-fashions-and-religious-liberty-cases/