Aujourd’hui, partout dans le monde se sont organisés des groupes dévoués — et beaucoup d’entre eux sont chrétiens — pour accueillir et éduquer des « enfants des rues ». Au XIXe siècle ce genre d’institutions existait déjà comme, par exemple, celles de Don Bosco à Turin. à Bayonne, c’est l’abbé Louis-Édouard Cestac, vicaire à la cathédrale depuis 1831, qui en avait pris l’initiative. Le vieux curé, survivant des proscriptions révolutionnaires, lui avait donné la charge de s’adresser aux pauvres. Il les accueillit au confessionnal, mais alla aussi à leur rencontre dans la rue. Bientôt ceux-ci trouvèrent le chemin de sa maison, et assiégèrent l’escalier pour recevoir aide matérielle.
Louis-Édouard habitait chez ses parents. Madame Cestac, sa mère, découvrait un jour la disparition d’une poule au pot prête pour le déjeuner, qui s’en était allée nourrir une pauvre mère et ses enfants affamés. Un autre jour elle constatait qu’une douzaine de chemises confectionnées deux semaines auparavant pour son fils prêtre s’étaient envolées…
Ému de compassion, Louis-Edouard Cestac remarque dans les rues de Bayonne « des jeunes filles de 11 à 13 ou 14 ans vêtues de haillons et, un panier sous le bras aller çà et là, chercher leur vie en ramassant les copeaux dans les chantiers de charpentiers, des os dans les campagnes, exposées évidemment à tous les dangers et à tous les malheurs ». En 1833 pour les loger il obtient du maire une cuisine et une chambre dans la campagne ; une ancienne femme de chambre accepte de tenir la maison. Sept petites filles sont accueillies ; mais le nombre de cesse de grandir. La municipalité donne alors une maison appelée « Le grand paradis ». Aux trois premières auxiliaires qui s’occupent des orphelines vient s’adjoindre, en 1838, Élise, sœur de l’abbé.
Difficultés pour ces petites habituées à la liberté de changer de vie, difficultés de trouver l’argent pour les nourrir… Mais l’œuvre tient, et elle avance. Cestac confie tout à la Vierge Marie : c’est elle qui a inspiré l’œuvre, à elle de la faire vivre !
Ensuite, ce sont des femmes voulant sortir de la prostitution qui demandent l’aide de l’abbé. On les loge d’abord dans le grenier du Grand Paradis. En 1839, Cestac visite une maison en vente à Anglet : dans la dernière chambre, il trouve une gravure de Marie-Madeleine ! Il achète la maison. Le domaine de « Châteauneuf » devient « Notre-Dame du Refuge ». Là, dans le respect de la liberté et de la personnalité de chacune, on accueille des volontaires ; les éducatrices vivent avec les volontaires une même vie de famille. « Point de clôture, point de contrainte. » Et comment faire vivre tout ce monde ? Il y a des dettes, au lieu de les aider on leur prédit l’échec. « Une maison, des sables, une vingtaine de filles sans compétence et leurs éducatrices… » On fait d’abord du blanchissage. Puis, grâce à l’initiative et la sagacité d’une sœur sans instruction se développent des ateliers de couture, broderie, chaussures, jardinage et poulailler.
Louis-Édouard Cestac est entreprenant et créatif : il faut mettre en valeur le domaine. Il laisse la fondation aux mains de sa sœur Élise, et s’en va étudier à l’école d’agriculture de l’Abbaye de la Meilleraye, en Bretagne. Il achète quelques hectares de terrain autour de la maison, on lui en donne d’autres. Il assèche les marais et fixe les sables en semant des pins. Après des semailles recommencées quinze fois, ils finiront par pousser. Cestac trouve une nappe d’eau à trois mètres et peut irriguer les champs. Il invente un engrais spécial pour les sables, appelé depuis le composé Cestac. Il sélectionne semences et animaux. Le Refuge d’Anglet non seulement peut subvenir à la fondation, mais encore devient une grande ferme modèle où l’on vient observer les méthodes nouvelles.
« Quand la bonté divine a voulu me confier des âmes pour les sauver, j’ai compris que dans cette vue et cette fin suprême, je devais aussi m’occuper du pain qui doit les nourrir sur la terre tout en les dirigeant vers le ciel. » Cestac sera nommé en 1857 président du Comice agricole du département…
En 1842 les collaboratrices de l’abbé prennent le nom de « Servantes de Marie », congrégation approuvée par l’évêque de Bayonne. Les vocations se multiplient. C’est bien de recueillir orphelines et enfants des rues, mais pourquoi ne pas s’en occuper avant ? L’abbé envoie les sœurs ouvrir des écoles dans les campagnes. Il y en aura jusqu’à 120 ! Pour former ces institutrices, une école normale est créée au Refuge.
Le nom de Servantes de Marie correspond bien à l’œuvre de Cestac : c’est à la Vierge qu’il s’est confié tout au long des créations, des soucis et des aventures. En 1830 il allait en pèlerinage à de Buglose (près de Dax). Il voulait demander à la Vierge l’argent pour nourrir les orphelines. Mais il entendit celle-ci lui dire dans son cœur : « Ne me demande que mon esprit. » C’est ainsi qu’il fera, attentif à suivre la ligne qu’elle lui inspire.
Une seconde congrégation offre la vie religieuse à celles qui ont quitté la prostitution et ne retournent pas à la vie civile : les « Bernardines ». Elles vivent silencieuses dans les sables d’Anglet, priant, et travaillant à la ferme.
Napoléon III vient avec l’impératrice Eugénie visiter le Refuge. Celle-ci prie dans l’humble chapelle pour demander un fils. L’abbé Cestac prophétisa que cette prière serait exaucée, elle le fut.
Louis-Édouard Cestac le 27 mars 1868 quitte la terre où il a fait pousser les âmes, les bêtes et les plantes. Du ciel il continue à veiller sur ses congrégations florissantes. Les Servantes de Marie sont aujourd’hui en Espagne, en Amérique latine, en Afrique, en Inde, « comme une invitation pour tous ceux qui, encore aujourd’hui entendent résonner dans la rue la clameur des pauvres ».