Durant l’année écoulée, je ne sais comment, je suis devenu un patriarche. Pas une de ces anciennes figures à l’abondante chevelure grise (je n’ai pas beaucoup de cheveux gris – résultat de bons gènes plutôt que de bonnes habitudes). Mais quand vos petit-enfants, quoique jeunes encore, sont plus nombreux que vos enfants, vous devenez plus qu’un simple grand-père. Une rareté à notre époque. Je veux dire un patriarche.
Un patriarche est attentif à beaucoup de choses : parce que, sauf catastrophe, sa tribu, étendue et nombreuse, sera là pour un bon moment. Pour beaucoup de gens, c’est rarement vrai de nos jours. Mon propre nom de famille – il y avait des douzaines de Royal dans ma génération – était en péril jusqu’à ce que mon fils Jean-Paul ait un fils en novembre, Robert troisième du nom. Peut-être que ce petit Robert, qui arpentera ce monde longtemps après moi, m’a aidé à prendre conscience de mon statut de patriarche.
Cette année, le taux de natalité aux Etats-Unis a été historiquement bas, alors que le nombre de départs en retraite et de décès a augmenté. Dans une époque sensée, les responsables culturels et politiques s’alarmeraient de la baisse de la natalité et du déclin de la population. Au lieu de cela, les femmes qui comme ma fille Elizabeth ont trois enfants sont regardées avec des yeux ronds et s’attirent même ce commentaire : « ce sont tous les vôtres ? »
Oui, et ils financeront votre Sécurité Sociale et vos soins infirmiers à domicile, malgré tous vos gémissements à propos de la taille de leur empreinte carbone. Ou vos inquiétudes à calculer si vos deux salaires peuvent payer à la fois une nourrice et des vacances à l’étranger. Nulle part un merci pour les gens qui prennent la responsabilité d’élever la prochaine génération, que nous chargeons d’une dette grandissante de 16 000 milliards de dollards.
Un ami de The Catholic Thing a envoyé une analyse des charges de travail des pères travaillant. La Maison Blanche y célèbre les avantages de payer un congé de paternité ou d’offrir une flexibilité du travail pour les pères. En d’autres mots, davantage de pression de l’Etat pour reconfigurer la famille. Notre ami compare cela avec le dessin animé Julia, de la campagne présidentielle de 2012, dans lequel toute la vie du personnage de fiction est magnifiée par différents programmes du président Obama – « Julia rencontre Julio » comme il dit.
Des programmes comme celui-ci semblent avoir germé dans l’esprit de jeunes diplômés de programmes d’étude des femmes de Vassar ou de Mont Holyoke, qui du puits profond de leur expérience et de leur réflexion sur la nature humaine et la dynamique de la famille, s’acharnent à faire en sorte que Heather ait deux mamans, même si, en raison de l’injuste loterie de la vie, elle a l’infortune d’être née dans un foyer hétérosexuel.
La « science sociale » ne devrait pas être encouragée, mais quand les chiffres de la chute de la natalité sont tombés en mars, un professeur a observé que l’économie malade était un facteur, mais a courageusement ajouté « c’est lié au rôle des femmes dans la population active ».
Notre classe politique et notre élite culturelle s’échinent à faire croire aux filles qu’elles doivent avoir exactement les mêmes carrières que les garçons. Ca peut se faire pour certaines. Mais cela suppose que les carrières individuelles sont plus importantes que les familles et que l’épanouissement personnel perdurera, quoi que l’on fasse aux familles.
La doctrine sociale de l’Eglise Catholique et le simple bon sens ont toujours proclamé que la famille, et non l’individu, était la cellule de base de la société. Enseigner le contraire a des conséquences. La chute de la natalité. La destruction de la famille. Les naissances hors mariage (un tiers des naissances actuelles) et – ce sont les statistiques et non les moralistes qui le disent – une augmentation de la pauvreté, des crimes, de l’usage de drogue, de problèmes psychologiques, de dépendance etc.
Cela va à l’encontre de notre idéologie égalitaire dans nos démocraties dernier cri, mais dans cette façon – la façon qui pense les familles comme malléables et leurs membres comme interchangeables – réside la folie. Si même il est encore possible d’exister.
Il est dans la nature des choses que les pères et mères jouent des rôles différents, tout comme les garçons et les filles jouent spontanément avec des jouets différents.
« Le père de famille » a dit l’éminent Charles Péguy, du simple fait qu’il est père, est exposé à des risques autres que personnels sur son lieu de travail et dans la société :
« Lui seul donne des otages, épouse et enfant, si bien que la tristesse et la mort peuvent le frapper dans tous ses membres. Les autres peuvent carguer les voiles. Lui seul est contraint d’exposer une importante voilure aux tempêtes. Quel que soit le temps, il est sûr de naviguer toutes voiles dehors. »
Le vrai père – grand-père, patriarche – ne doit pas essayer d’éviter ce péril, mais le saisir sans illusions. Il aspire, non au congé de paternité ou aux horaires flexibles, mais à la possibilité de faire son devoir, sachant qu’il ne récoltera pas beaucoup de gratitude. On le critiquera même peut-être pour « travailler trop » – une chose qui aurait stupéfié la génération de mes parents et de mes grands-parents.
Ils ont pris leurs responsabilités – qui incluait de s’occuper correctement de leurs enfants – sérieusement, pour toute une vie et peut-être au-delà. Durant un moment particulièrement tourmenté de mon adolescence, j’étais en voiture quand, je ne sais comment, un de mes grands-pères décédés est venu à moi. C’était un homme gentil mais pas particulièrment chaleureux. Et quoi qu’il essaya de communiquer, je n’étais pas prêt à l’entendre. Quelques années plus tard, mon frère, lui aussi perturbé, a eu une expérience similaire. Lui l’a rencontré en se promenant dans les bois.
Nous n’avons parlé de ces deux événements que par hasard, une décennie plus tard. Nous avons conclu que ce devait être lui parce qu’il était un conseiller improbable et par conséquent ne pouvait être confondu avec une simple réaction psychologique.
Des théologiens féministes ont travaillé pendant des années pour aller « plus loin que Dieu le Père ». Mais c’est comme aller plus loin que l’atmosphère de la Terre : on n’y trouve pas plus de liberté ni de richesse, rien qu’un vide sans air.
Un bon père est peut-être rare, aussi rare qu’un patriarche. Mais tous les pères sont des bons pères dans la mesure où ils se comporte comme le vrai Père, celui qui se sacrifie lui-même, qui s’expose et ne s’attend pas à être ailleurs, qui devra peut-être passer de longues heures au loin, mais pas toujours, qui éduque, non comme une mère mais comme un homme avec enfants, un père.
Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing et président de l’institut Foi et Raison de Washington.
Illustration : Père et Fils, par Dave McKean, 1963.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/fathers-and-the-father.html
Tableau : Père et le Fils par Dave McKean, b. 1963