Les grands hommes et les tocards - France Catholique
Edit Template
Pontificat de François - numéro spécial
Edit Template

Les grands hommes et les tocards

Copier le lien

Quand vous pensez aux grands hommes de l’histoire, qui vous vient à l’esprit ? Et quels sont les attributs de la grandeur ? A l’époque du Christ, les César étaient de grands hommes. Ils avaient conquis de vastes territoires et les géraient à grands frais. Pour faire court, comme grands hommes, ils dépensaient beaucoup d’argent que leurs sujets avaient payé comme tribut – et répandaient en quantité le sang des hommes ordinaires dans des batailles.

De même, Hérode le Grand était également considéré comme « grand » parce qu’il avait construit un Temple magnifique pour les Juifs et était sans pitié dans la défense de son pouvoir. Il a assassiné les Saints Innocents dans ses années crépusculaires, prouvant une nouvelle fois que la mesure de la grandeur terrestre d’un chef d’état s’évalue par la quantité de l’argent de ses sujets qu’il dépense et par la quantité de leur sang qu’il répand.

Quand les Apôtres disputaient entre eux à qui était le plus grand, ils ne pensaient probablement pas en terme de dépense du gain des autres ou de sang répandu en abondance. Mais ils pouvaient avoir quelque peu pensé aux avantages de la grandeur. Après tout, les grands chefs d’état, avant de penser à accomplir de grandes choses, ont besoin de réfléchir à ce qu’ils vont obtenir, personnellement, de la grandeur.

Le Christ entend par hasard les arguments et profite de l’occasion pour leur enseigner la vraie grandeur : « si quelqu’un souhaite être le premier, il devra être le dernier et le serviteur de tous. » Et « quiconque reçoit en mon nom un enfant tel que celui-ci me reçoit ; et quiconque me reçoit reçoit également Celui qui m’a envoyé. »

D’après ce que je lis des grands hommes de l’histoire, ça ne me semble pas être l’étoffe de la grandeur telle que le monde la comprend.

Mais la grandeur chrétienne ne peut pas se mesurer à l’aune du monde. Selon Jésus, le plus grand homme né d’une femme (avant l’inauguration du royaume) est Jean le Baptiste. Il s’est opposé à Hérode en raison de l’immoralité de son mariage et comme corollaire il a perdu la tête. Pour le monde, c’était un tocard.

Saint Thomas More est simplement resté silencieux face à l’adultère de Henry VIII. Mais le silence de Thomas était suffisamment éloquent et lui aussi a perdu la tête. Selon le monde, Thomas More était un tocard.

Saint Isaac Jogues a prêché le Christ aux sauvages des Grands Lacs et du nord de New-York. Torturé au-delà du supportable, il n’en réchappe que pour demander sa réaffectation en Amérique, pour prêcher de nouveau. Il fut massacré. Et autant que je puisse m’en assurer en lisant l’histoire, très peu d’Iroquois se convertirent à la foi catholique. Le fruit des quêtes est resté infime. Selon les vues du monde – et peut-être même selon les vues ecclésiales – Saint Isaac Jogues était un tocard.

Cela me concerne. Durant ma première nomination comme prêtre, j’ai vécu une sorte de lune de miel, les gens sont toujours enchantés quand un jeune prêtre nouvellement ordonné arrive dans leur paroisse. Aussi imaginez le désarroi que j’ai ressenti quand j’ai été confronté à la résistance en proclamant l’Évangile. En une occasion, l’évangile du jour rapportait l’enseignement de Jésus quand il dit : « je vous le dis, quiconque répudie sa femme pour en épouser une autre commet l’adultère. » L’enseignement du Christ est suffisamment clair, n’est-il pas vrai ? Aussi mon homélie portait-elle sur la première lecture.

Après la messe, je fus pris à partie par un paroissien furieux. Qui étais-je pour oser déclarer « celui qui renvoie sa femme et en épouse une autre commet l’adultère » ! J’ai protesté : « hé ! J’ai seulement lu l’Évangile. Ne me crucifiez pas ! Crucifiez Jésus ! » (Bon, c’est une figure de style bien sûr.)

Ce fut l’une des nombreuses leçons salutaires que j’ai reçues comme prêtre. Si j’aspire à la grandeur, je dois aspirer à prendre ma croix et à souffrir avec le Christ. « En vérité, je vous le dis, aucun serviteur n’est plus grand que son maître, ni un messager plus grand que celui qui l’a envoyé. » (Jean 13:16)

J’imagine que la grandeur telle que la conçoit le monde a toujours été mesurée en termes de popularité et de sondages. Mais si un candidat actuel à la présidentielle voulait bâtir sa campagne autour des Dix Commandements et de l’Évangile, combien de temps s’écoulerait-il à votre avis avant qu’il ne soit environné de foules vociférant : « Crucifie-le ! Crucifie-le ! » Jésus nous avertit tous, y compris ceux d’entre nous qui annoncent l’Évangile : « malheur à vous quand tout le monde dit du bien de vous, car c’est ainsi que leurs ancêtres traitaient les faux prophètes. » (Luc 6:26)

Il y a des raisons pour lesquelles les plus grands des saints chrétiens ont été mis à mort tout comme le Christ a été mis à mort sur le bois de la Croix. S’ils avaient choisi la grandeur selon le monde, ils auraient peut-être échappé au cachot, au feu et à l’épée. Mais leur grandeur n’était pas de ce monde. Ils ont choisi la porte étroite de la Vérité et de la Croix, le seul passage sûr pour atteindre la vraie grandeur de la Résurrection.

Le père Jerry J. Pokorsky est un prêtre du diocèse d’Arlington. Il est curé de l’église Saint Michel Archange à Annandale (Virginie).

Illustration : « Malheur à vous, scribes et pharisiens » de J.J. Tissot, vers 1890 (Brooklyn Museum)

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/10/09/great-men-and-losers/