Un an après le cessez-le-feu, quelle est la situation des chrétiens du Liban ?
Benjamin Blanchard : Les chrétiens sont comme tous les Libanais. Cela fait des années qu’ils subissent une situation extrêmement difficile. D’un point de vue économique, le Liban est loin de s’être remis de la crise bancaire de 2019 et de l’explosion du port de Beyrouth en 2020. La classe moyenne libanaise, très appauvrie, disparait peu à peu au Liban.
D’un point de vue politique, la situation est aussi inextricable. Certes un président, Joseph Aoun, l’ancien chef de l’armée, a été élu en janvier et un gouvernement stable est aux affaires depuis le printemps, mais les institutions tournent encore au ralenti. Enfin, la situation internationale est plus que complexe, puisque le Liban est toujours l’objet de bombardements quasi quotidiens de la part d’Israël, qui possède encore cinq postes militaires au Liban, en violation du cessez-le-feu du 27 novembre 2024. Ces derniers jours, la pression n’a cessé d’augmenter sur le Liban. Le 23 novembre, Israël a tué le chef militaire du Hezbollah, lors d’une frappe sur la banlieue sud de Beyrouth. Le président libanais a même ordonné à l’armée libanaise de répliquer contre Israël, après qu’un bombardement a manqué de peu de détruire une caserne.
Officiellement, les frappes israéliennes ne visent que le Hezbollah, le mouvement chiite, soutenu par l’Iran qui avait attaqué Israël au lendemain du 7 octobre 2023 en soutien au Hamas. Le cessez-le-feu devait d’ailleurs mettre fin à ce conflit entre le Hezbollah et Israël. Dans la réalité, les chrétiens n’échappent pas à la guerre. J’étais moi-même au Liban le mois dernier et j’ai vu certains villages du sud du pays totalement détruits, des églises en ruine, etc.
Quels sont les enjeux de ce voyage apostolique, le premier depuis l’élection de Léon XIV ?
Je ne sais pas s’il s’agit des enjeux décryptés par les spécialistes romains, mais, pour nous, qui travaillons en Orient, ce voyage en Turquie et au Liban est doublement symbolique. D’une part, parce qu’il vient célébrer les 1700 ans du concile de Nicée, central dans la vie de l’Église parce les 318 pères conciliaires, venus surtout de l’Orient, ont combattu l’hérésie et résumé notre foi dans le Credo. Autant dire que ça compte ! Et d’autre part, parce qu’il vient souligner l’importance que nous devons donner, nous, chrétiens d’Europe, à toutes ces chrétientés orientales parfois méconnues et souvent oubliées.
Ce sont des chrétientés qui souffrent, tant en Syrie, en Irak qu’au Liban ou en Arménie, par exemple. Il est de notre devoir de les soutenir. C’est ce que nous tâchons de faire avec les volontaires de SOS Chrétiens d’Orient.
Et puis, la situation au Liban demeure extrêmement difficile, que ce soit en raison de la guerre ou du contexte économique. La venue du successeur de saint Pierre, dans ce contexte sécuritaire complexe au milieu de ce peuple marqué par les épreuves a de quoi redonner l’espérance en un avenir de paix ! Et je crois que c’est aussi là tout l’enjeu de ce premier voyage apostolique : redonner l’espérance. Il y a quelques semaines, à la reine de Jordanie qui lui demandait lors d’une audience « Votre Sainteté, pensez-vous qu’il soit sûr de voyager au Liban ? », Léon XIV a répondu « Eh bien, nous y allons. » Tout est dit.
Vous avez récemment rencontré des autorités religieuses libanaises : qu’espèrent-elles de ce voyage, placé sous le signe de la paix ?
J’étais le mois dernier au Liban. J’y ai rencontré plusieurs responsables, tant politiques que religieux. J’ai trouvé les évêques – ceux que j’ai rencontrés – à la foi pessimistes pour l’avenir de leur pays et en même temps, accrochés fermement à leur foi. L’un d’entre eux, à la tête d’un diocèse situé en zone chiite, bombardé régulièrement pas Israël, faisant le constat de la situation m’a répété à plusieurs reprises : « Pauvre Liban, pauvre Liban. » Tous espèrent que le voyage du pape sera l’occasion de réunir non seulement les chrétiens du Liban, qui sont divisés politiquement, mais plus largement tous les Libanais autour de ce message de paix. Le voyage de Léon XIV au Liban est placé sous cette devise, issue des Béatitudes : « Heureux les artisans de paix. » C’est, je crois le souhait de tous les Libanais, usés par ces périodes de guerre qui succèdent à des périodes d’instabilité. C’est sans doute pour cela – mais aussi pour des raisons pratiques, que le gouvernement a décrété deux jours fériés, les 1er et 2 décembre, afin de permettre aux Libanais d’accueillir le successeur de Saint Pierre.
Pour aller plus loin :
- Le Liban, chrétien depuis 2000 ans
- « Pour les chrétiens du Liban, la venue de Léon XIV est un encouragement à rester »
- Nicée, Éphèse... La Turquie et le Liban, terres aux racines chrétiennes
- Le « symbole » de Nicée
- « Dieu n’abandonne pas son Église » : extraits de la nouvelle lettre apostolique de Léon XIV





