Le personnalisme de John Henry Newman - France Catholique
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Le personnalisme de John Henry Newman

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Note : ce billet fait partie de la série consacrée au cardinal Newman, lequel sera canonisé le 13 octobre prochain.

Un écrivain futé écrivant sur John Henry Newman a remarqué que le futur saint « se tenait sur le seuil de l’époque moderne comme un Socrate chrétien, pionnier d’une nouvelle philosophie de l’individu et de la vie personnelle. ». Cela est bien dit. Cela caractérise le personnalisme de Newman comme central dans son enseignement. Maintenant que Newman est sur le point d’être présenté comme saint à l’Eglise et sera probablement nommé docteur de l’Eglise avant longtemps, nous voulons naturellement en savoir davantage sur son personnalisme novateur, d’autant plus que cet aspect de Newman est parfois négligé, même par ses admirateurs.

Commençons avec la distinction qu’il fait entre assentiment théorique et véritable assentiment, une distinction qui est fondamentale dans sa pensée.

Supposons que je pense à ma mort à venir de cette façon : tous les êtres vivants meurent, et je mourrai également car je fais logiquement partie de « tous les êtres vivants ». De cette façon, je pense à ma mort de l’extérieur, car je la relègue là comme l’une des milliards de morts qui adviendront. Je la considère comme simple exemple de la mortalité universelle dans la nature. Je suis spectateur de ma mort à venir. En conséquence, je ne lui donne qu’un assentiment théorique.

Mais supposons que je laisse de côté les milliards de morts pour penser que moi – moi et aucun autre – je vais mourir un jour. Supposons que je refuse de généraliser ma mort à venir en la fondant dans un cas d’espèce mais en l’envisageant dans sa particularité radicale, celle d’être ma mort. C’est alors que je lui donne un consentement non mas théorique mais réel.

Newman enseigne que des deux modes d’assentiment, l’assentiment vrai est le plus proprement personnel. Car dans l’assentiment théorique, je me considère comme seulement un exemple d’une sorte et comme un élément parmi beaucoup là où par mon véritable assentiment je me considère comme telle personne et non telle autre. Et dans l’assentiment théorique, j’exerce une connaissance uniquement abstraite, qui ne m’engage pas profondément comme personne. Alors que dans le véritable assentiment, les eaux de mon existence personnelle sont profondément remuées. Par un assentiment théorique, je peux juste évoquer vaguement ma propre mort alors qu’avec un assentiment réel je frémis à cette pensée.

Maintenant, Newman pense que cette importante distinction se trouve également dans notre relation à Dieu. Je peux connaître Dieu par le moyen de ce qu’il appelle « l’intelligence théologique », qui est Le connaître de façon théorique ou alors par le biais de « l’imagination religieuse », qui est Le connaître vraiment.

Newman a eu un jour cette parole célèbre : « je suis loin de nier la véritable force des arguments pour prouver l’existence de Dieu… mais ils ne me réchauffent ni ne m’éclairent ; ils n’éloignent pas l’hiver de mon désespoir ni ne font s’ouvrir les bourgeons et croître les feuilles au-dedans de moi, ni ne me poussent à me réjouir ». Il dit en effet : ce que l’intelligence théologique me donne par les arguments et les preuves est en soi insuffisant, stérile ; c’est l’imagination religieuse qui m’engage véritablement comme personne, me nourrit et me donne ce qui me fait vivre.

Mais quelle est exactement la source de l’imagination religieuse ? Newman répond : les exhortations de la conscience. Dans l’expérience d’être moralement satisfait ou dans l’expérience d’avoir honte en raison d’un mal commis, je rencontre dans ma conscience le Dieu vivant, je suis en Sa présence. Je fais l’expérience de ma condition de créature et de Sa souveraineté.

Cependant, nous comprendrions Newman de travers si nous pensions qu’il raisonne de Dieu à partir de la conscience, comme s’il prenait le devoir moral comme un effet et tenait Dieu comme la seule cause possible de cet effet. Car dans ce cas il ferait usage uniquement de l’intelligence théologique et n’irait pas au-delà d’un assentiment théorique à Dieu. Il perdrait la rencontre personnelle avec Dieu dans la conscience, laquelle est si importante pour lui. C’est plutôt qu’il discerne Dieu dans l’expérience du devoir ; c’est un discernement qui est davantage une perception qu’une déduction.

Newman discerne dans la conscience un être vu, un être interpellé ; dans cette situation relationnelle il discerne un Autre, absolu et divin. Il expérimente en lui-même « un abîme infini d’existence » qui entre en résonance avec l’Autre divin. Cette rencontre est pour Newman « le principe créateur de la religion », la source primordiale de l’imagination religieuse. Elle peut nous donner ce que l’intelligence théologique ne peut pas donner, à savoir un véritable assentiment à Dieu, un assentiment qui touche le cœur et nous donne le pouvoir de vivre une existence attachée à la religion.

Notez bien : Newman n’est pas en train de proposer de démanteler l’intelligence théologique pour la remplacer par l’imagination religieuse. Il veut seulement la compléter par l’imagination religieuse. Considérez les sermons inspirés de Newman, les sermons anglicans tout autant que les catholiques. Ils ont provoqué au fil des ans des miracles de conversion chez ses auditeurs et ses lecteurs. Et le secret de leur puissance, au moins en partie, est l’aptitude remarquable de Newman à convertir des assentiments théoriques en assentiments véritables.

Newman avait vu que beaucoup dans sa congrégation n’avaient qu’un assentiment conventionnel et théorique aux choses de la foi et il savait comment insuffler dans leur assentiment une plénitude basée sur l’expérience, non pas en abolissant les contenus théoriques de la foi, mais en formant dans l’esprit de ses auditeurs un mélange de « théorie » et « d’expérience » qui vivifiait et changeait leur vie.

Et pourtant, Newman a parfois été soupçonné de cautionner un subjectivisme subversif. Certains disent qu’avec son personnalisme, il donne beaucoup trop d’importance à l’expérience religieuse. D’autres qu’il a préparé la voie pour le modernisme théologique dans l’Eglise, lequel a été condamné par le pape Pie X en 1907.

Je voudrais défendre Newman ainsi. Il est vrai que, en dépit de ses racines dans les Pères grecs de l’Eglise, il est de toute évidence un penseur moderne. Nous pouvons discerner en lui quelque chose de ce « s’adresser au sujet » qui est supposé être la signature de la pensée moderne. Car Newman se préoccupe non seulement de la vérité objective en elle-même, mais de la façon dont cette vérité est reçue et vécue par les croyants.

Mais ce souci pastoral de Newman, fort semblable au souci pastoral de Vatican II, n’a rien à voir avec le renversement de la vérité objective. En convertissant des assentiments théoriques en véritables assentiments et en réveillant l’expérience religieuse, Newman veut libérer la puissance transformante de la vérité que nous reconnaissons déjà. Compris de cette manière, son personnalisme améliore la puissance de son témoignage chrétien et n’a rien à voir avec le subjectivisme.

Nous pourrions peut-être l’exprimer ainsi. Ce n’est pas du subjectivisme quand je passe d’un assentiment théorique à un assentiment véritable en ce qui concerne ma mort à venir ; en fait, dans l’assentiment véritable, j’entre bien plus profondément dans la réalité en ce qui concerne ma mort. En matière de religion, passer d’un assentiment théorique à un véritable assentiment est tout aussi peu une chute dans le subjectivisme ; là aussi nous entrons plus profondément dans la vérité sur Dieu par l’approche personnaliste.

John F. Crosby est professeur de philosophie et directeur du programme de master philosophique à l’université franciscaine de Steubenville. Il est connu au plan international pour son travail sur John Henry Newman, Max Scheler, Karol Wojtyla et Dietrich von Hildebrand.

Illustration : « John Henry Newman », par Emmeline Deane, 1889 [National Portrait Gallery, Londres]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/09/14/the-personalism-of-john-henry-newman/