En quoi l’intelligence artificielle menace-t-elle notre humanité ?
Véronique Lévy : Si des experts comme le milliardaire Elon Musk ou l’écrivain Yuval Noah Harari se font lanceurs d’alerte et réclament une pause face aux risques de l’intelligence artificielle, c’est parce qu’ils ont peur de devenir esclaves de cette technique. Le transhumanisme, c’est le grand remplacement de l’homme. Face à des cerveaux numériques toujours plus puissants, notre cerveau deviendra une simple interface de l’intelligence artificielle. Nous ne serons plus libres. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », disait Rabelais. L’intelligence artificielle est sans doute hyper développée, mais elle ne connaît pas l’amour. Elle est, au sens propre, inhumaine. Les caractéristiques de cette intelligence sont celles de Lucifer, l’ange à l’intelligence froide, incapable d’être dans le don. Or, qu’est-ce qui nous rend libres ? La quête de vérité qui s’exprime à travers l’amour, nous dit le Christ. La seule chose que le transhumanisme ne pourra jamais voler à l’homme, c’est l’amour. Récemment, un Belge s’est suicidé après avoir trouvé refuge auprès d’un robot conversationnel, un chatbot, avatar d’une femme prénommée Eliza. Elle était devenue la confidente de cet homme qui était rongé par l’éco-anxiété. Or, ses proches ont découvert, dans son téléphone et sur son ordinateur, qu’Eliza ne contredisait jamais son « ami ». Au contraire, elle renforçait ses angoisses ! Cet homme s’est laissé, au sens propre, posséder par ce chatbot qui l’a conduit à la mort… Imaginez ce qui pourrait se passer avec la manipulation de masse…
Le christianisme est-il une réponse au transhumanisme et aux dérives de l’intelligence artificielle ?
Les promoteurs de l’intelligence artificielle redoutent la mort. Ils espèrent l’immortalité car ils ne croient pas en l’éternité. Ils développent des programmes pour tenter de faire vivre nos cellules plus longtemps car ils ne supportent pas la vulnérabilité. La force du christianisme est d’accepter nos fragilités et la mort, parce que nous savons que Jésus viendra nous prendre la main pour la traverser. Pour être touché par la grâce, il faut accueillir cette parole du Christ confiée à saint Paul : « Ma grâce te suffit. Ma force se déploie dans ta faiblesse. » Les transhumanistes veulent traverser l’humanité sans l’habiter, ils deviennent orphelins de la vraie vie, celle où il n’y a pas d’amour pensé sans la grâce.
Y a-t-il une forme d’idolâtrie dans le transhumanisme ?
L’Ancien Testament et l’Apocalypse nous mettent en garde contre le pire des adultères : être soumis à autre chose que Dieu et l’éternité. Le veau d’or et les idoles préfigurent les robots mus par une intelligence artificielle déconnectée du divin : « Ils ont des yeux et ne voient pas, des oreilles et ils n’entendent pas »… L’homme est un être de relation et c’est en ce sens qu’il est fait à l’image de Dieu, selon Jean-Paul II. Comment cet être vivant capable de communion peut-il volontairement se faire esclave d’une intelligence artificielle, idole inanimée ? Pourquoi ce consentement ? Cela s’explique par la convoitise et la soif de pouvoir, mais aussi par le gain de temps qui découlerait, par exemple, de la greffe d’une puce sous la peau pour passer sous un portique de sécurité… N’oublions pas aussi la rivalité mimétique qui pousse à posséder toujours plus et mieux que le voisin…
Retrouvez l’entretien complet dans le magazine.
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Jésus-Christ ou les robots, Véronique Lévy, éd. du Cerf, 2019, 312 pages, 20 €.