La chronique anachronique d’Hubert de Champris
Claude Imbert, Ce que je crois, Grasset, 322 p., 12,50 euros, première édition : 1984, et Le Livre de Poche.
CE QUE JE SAURAIS
Ne leur a-t-on pourtant pas, pendant leurs études supérieures, dix fois répété qu’il fallait, avant de se lancer, lire le sujet ? Mais non, les personnalités qui se risquent, dans la célèbre collection, à traiter des objets de leur croyance, continuent à nous gratifier de leurs pensées. Et, comme la seiche crache son encre, ils disséminent et dissimulent d’un même geste leurs vérités – et, qui sait ?, leurs vérités dernières – derrière la forme livresque de l’essai, comptant sur l’indulgence (qu’on ne saurait qualifier de plénière) du lecteur et sur sa perspicacité pour faire son propre miel au milieu de ce clair-obscur qui laisse l’être se voiler tout en se dévoilant et transparaître moins l’état présent de certitudes intimes que leur devenir, ce qui pourrait advenir de ce noyau dur, exempt de fusion, d’absorption et de compromission qu’on appelle croyances et sont objet de profession de foi.
On ne pourra faire grief à l’auteur d’avoir, ici, en partie confondu cette dernière avec l’essai, exercice d’actualité qui, émane-t-il d’un grand journaliste par essence « spécialiste du général », pour reprendre la formule de Camus, n’en demeure pas moins en l’occurrence hors sujet.
Alors, précisément, ce sujet, tournons-nous vers lui. Pas encore occupé, mais préoccupé par les questions spirituelles, le fondateur du Point, par-delà son côté rationnel et un bon sens de moins en moins partagé par nos contemporains, par-delà ce qu’il nomme instinct, mais qui est intuition, se laisse aborder par les thèmes du rire, des femmes et de la musique où surgit l’Imbert au naturel. Du « buste glorieux d’une jeune touriste américaine à l’allure de frégate » aperçue un dimanche matin au Louvre à la litanie des préceptrices de son éducation européenne, d’Isabel l’Andalous à Clara la Romaine en passant par Helena de Lesbos, de cette cohorte de belles plantes dont on devine ce furent la beauté et la fragilité mêlées s’élève un chant d’actions de grâces en faveur de la communion des sens, heureux prolégomènes à la perception de la musique. Et celle-ci, qui ouvre à la nostalgie, contient en même temps les fossiles de l’avenir tant, relève Claude Imbert, « les compositeurs d’aujourd’hui ressentent et traduisent, en médium qu’ils sont, l’ébranlement où nous sommes ».
Mais, idéaliste rentré, médium souterrain, c’est en adepte secret de la chose qu’il pratique cette religion sensible, prenant ainsi place, un soir, lors des Noces de Figaro, dans la théâtrale, paradoxale catacombe que constitue peut-être la passerelle suspendue vingt-cinq mètres au-dessus de la scène de l’Opéra de Paris, laissant, à la suite de Schopenhauer, monter en lui dans le noir absolu la compréhension que « le monde est musique incarnée ».
Pour délayer ces sentiments, Imbert avait jadis prévu – jadis ? mais non, c’était hier ! – de les confronter à ceux d’André Frossard, envisageant alors l’écriture d’un livre à quatre mains. Manière, dorénavant, de laisser aussi à ses émotions et à ses sensations le soin de lui imprimer sa direction. Manière d’être d’un homme de presse en marche vers l’impressionnisme.
Hubert de Champris