La récente mise en cause du cardinal Jean-Marc Aveline dans Paris Match n’a pas manqué de surprendre, bien au-delà des faits rapportés eux-mêmes. Sur huit pages, grandes photos à l’appui, sont traitées quatre affaires différentes, dont certaines assez anciennes. Toutes tendent à mettre en cause la responsabilité de l’archevêque de Marseille, accusé d’avoir minimisé des cas d’abus.
Fait très rare, le diocèse de Marseille a répondu précisément, le 18 septembre, à chacune des accusations portées par l’hebdomadaire : « La lutte contre les abus et les violences sexuelles est trop importante pour se risquer à de telles confusions », affirme l’archevêché, qui rappelle que Mgr Aveline a promulgué en 2024 une charte pour la protection des mineurs. Le communiqué du diocèse souligne aussi que « les journalistes semblent mettre sur le même plan des faits avérés qui ont été traités et des insinuations non fondées ». C’est une vraie question.
Il est bien entendu qu’un seul de ces cas avérés d’abus, quel que soit le cadre dans lequel il est exercé, reste un scandale. Le pape Léon XIV vient de montrer sa détermination et sa fermeté en la matière, en renvoyant de l’état clérical, ce 16 septembre, un diacre reconnu coupable de pédocriminalité.
Mais à travers les échanges contradictoires entre la presse et le diocèse de Marseille, une interrogation demeure : où se situe la justice ? Dans une société où l’information circule très (trop) vite, l’enquête médiatique est un genre séduisant. Elle attire le lecteur, capte son attention et promet des révélations que l’institution est supposée vouloir taire.
Pourtant, ce mode de traitement n’est pas neutre : le choix des mots, des faits rapportés et des silences peut suffire à installer un récit orienté et une image négative durable. Le risque est alors que la presse, au lieu d’informer, rende un verdict souvent sans appel. On peut aussi s’interroger sur l’insistance, depuis plusieurs années, à cibler des personnalités de l’Église en France. Pourquoi une telle surexposition de cas concernant des clercs ? Est-ce une marque de la visibilité persistante de l’Église dans l’espace public, même dans une société sécularisée comme la nôtre ? Faut-il faire la part du climat culturel, voire idéologique, dans lequel ces figures spirituelles, par leur simple existence, constituent un repère dans une société prête à tous les bouleversements anthropologiques ? Sur les débats dits sociétaux comme la fin de vie par exemple, l’Église constitue souvent une pierre d’achoppement…
Certes la presse a toujours revendiqué sa mission de contre-pouvoir, et les institutions religieuses font partie du paysage. Mais cela devient problématique lorsque l’activité journalistique se réduit à mettre en cause une personnalité sur la base de soupçons ou d’insinuations, sans offrir la possibilité d’une véritable mise en perspective. Confondre critique légitime et condamnation est un pas dangereux. Est-ce le rôle des journalistes que de vouloir s’ériger en procureurs pour faire « tomber les têtes » ?
Car la justice véritable repose sur des faits établis, sur l’écoute des différentes parties, sur le temps long de l’enquête, qui suppose la patience. La justice médiatique, elle, se contente trop souvent de suggérer et d’orienter. Elle érode alors la confiance du public autant qu’elle fragilise la réputation des personnes exposées. L’Évangile rappelle cette exigence de prudence : « Ne jugez pas selon les apparences, mais jugez selon la justice » (Jn 7, 24).
La presse a un rôle essentiel dans la vie démocratique : informer, expliquer, confronter les points de vue. Pour rester crédible, elle doit éviter de céder à la tentation de l’accusation facile. De leur côté, les lecteurs ont eux aussi une responsabilité : prendre du recul, discerner la véracité de l’information, et ne pas se laisser enfermer dans le récit d’un seul média repris en boucle.