« L’ascèse ne se réduit pas à une liste d'interdits » - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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« L’ascèse ne se réduit pas à une liste d’interdits »

© pexels, – bisesh-gurung

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« L’ascèse ne se réduit pas à une liste d’interdits »

« L’ascèse ne se réduit pas à une liste d’interdits »

Redécouvrir le sens et la valeur de l’effort dans le domaine spirituel. C’est ce que propose le Frère Clément Binachon, dominicain de la province de Toulouse dans son nouveau livre : L’Entraînement et la Grâce (Le Cerf).
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L’ascèse, n’est-ce pas une liste d’interdits de l’Église ? Qu’apporte-t-elle donc à la vie chrétienne ?

Fr. Clément Binachon : C’est une malheureuse erreur que de réduire l’ascèse à une liste d’interdits. Elle est beaucoup plus que cela. Selon la belle définition de Louis Bouyer, l’ascèse correspond à « l’ensemble des efforts pour mettre notre vie en accord avec la foi ». Il ne s’agit donc pas de se restreindre mais de chercher à suivre le Christ au plus près. L’ascèse apporte un peu de « stratégie » à notre vie chrétienne. Nous faisons tous, un jour ou l’autre, l’expérience de notre incohérence. Nous ne faisons pas le bien que nous voudrions et accomplissons le mal que nous ne voulons pas, pour reprendre les mots de saint Paul. L’ascèse consiste à affronter ce constat avec réalisme et essayer d’y répondre. Confronté à une énième chute dans un même péché ou à la difficulté d’accomplir tel commandement, le chrétien s’attèle, avec l’ascèse, à faire ce qu’il peut pour y remédier.

Vous comparez l’ascèse à un entraînement sportif. Quel est l’adversaire à combattre ?

Pour continuer avec saint Paul – car c’est à lui que l’on doit la comparaison sportive – l’adversaire à combattre, c’est le « vieil homme » : ce fond de paresse et d’égoïsme qui, en nos cœurs, n’a pas envie de suivre le Christ, ni d’aimer comme lui. Tout baptisé et confirmé que je suis, il y a quelque chose au fond de moi qui résiste au déploiement de l’amour de Dieu et c’est d’abord cela que l’ascèse cherche à combattre.

Comment cette notion a-t-elle évolué au cours des siècles ?

Le mot « ascèse » n’est pas présent dans la Bible. Ce mot en grec signifiait aussi bien l’entraînement des sportifs pour les jeux Olympiques que la discipline des apprentis philosophes à l’école d’un maître. La tradition chrétienne l’adopte très tôt pour désigner les efforts des Pères du désert qui cherchent à vivre de manière évangélique. Avec Louis Bouyer encore, on peut distinguer quatre étapes dans la conception chrétienne de l’ascèse. À l’origine, elle est une ascèse de libération. Elle ne vise qu’à nous rendre libres : libres pour accepter l’amour de Dieu et pour suivre son Fils.

Cet équilibre va être remplacé par une deuxième perspective. Avec les moines celtes, puis saint Pierre-Damien, l’ascèse de compassion prend le dessus. Il s’agit moins de se vaincre avec le Christ que de souffrir avec lui.

La dévotion au Sacré-Cœur opère une troisième étape avec le passage à une ascèse de réparation. Désormais, les ascètes cherchent à « souffrir pour compenser les souffrances causées à l’Humanité du Christ par les infidélités des chrétiens ».

Finalement, vint l’ascèse de substitution où « les âmes pieuses en s’infligeant des souffrances volontaires en union avec le Christ se substitueraient comme lui aux pécheurs que le châtiment devrait frapper ».

Pour le P. Bouyer, ces dernières conceptions courent le risque de déformations théologiques graves. Ces évolutions expliquent en partie le dégoût, puis le tabou qui ont recouvert l’ascèse chrétienne au cours du XXe siècle. Un retour aux sources est indispensable.

Si l’ascèse chrétienne est une ligne de crête, quels en sont les écueils ?

La difficulté de l’ascèse consiste à ajuster notre effort au travail de la grâce en nous. Le premier écueil consiste à ignorer ce travail de la grâce, c’est-à-dire à agir comme si notre sanctification ne dépendait que de nous, comme si le Seigneur se contentait de nous féliciter, à la fin, pour nos efforts. Ce volontarisme a été condamné avec l’hérésie de Pélage grâce à saint Augustin.

Le second écueil est l’exact contraire, il consiste à ne fournir aucun effort et attendre passivement que Dieu fasse de nous des saints tandis que nous nous tournons les pouces. Cette fausse conception de l’abandon a été condamnée sous le nom du quiétisme. En fait, tout l’enjeu est de coller à l’adage jésuite : « Agir comme si tout dépendait de nous, en sachant bien que tout dépend de Dieu. »

Comment éviter l’orgueil dans l’ascèse ?

La meilleure prévention contre l’orgueil, c’est de rester tourné vers Jésus. Quand nos yeux sont fixés sur son amour infini, nos petits mérites trouvent leur juste place. La seconde, c’est de retrouver un sens communautaire de l’effort, soit par un accompagnement spirituel, soit une forme de compagnonnage. Partager simplement nos maigres victoires et nos petits échecs avec un frère évite de s’en faire des montagnes.

L’ascèse a mauvaise presse… Quel en est le volet positif ? Quel lien avec la charité ?

Dans une culture de l’immédiateté, c’est certain que l’ascèse ne peut pas être à la mode. Le volet positif, c’est que l’ascèse nous rend acteurs de notre sanctification. Bien sûr, l’ouvrier principal, ça ne peut être que Dieu lui-même. Mais Dieu qui nous a créés sans nous ne veut pas nous sauver sans nous (saint Augustin). Il veut nous rendre acteurs de notre progrès. Sa gloire est plus grande s’il nous sanctifie comme des enfants, libres, responsables et actifs, que comme d’inertes marionnettes. Dès lors, c’est de notre ressort de nous disposer à accueillir la charité, et l’ascèse doit toujours rester au service de sa croissance. Puisque nous désirons aimer comme le Christ et que nous rencontrons quelques difficultés à le faire, nous nous entraînons.

Peut-il y avoir du plaisir dans l’ascèse ?

Bien sûr ! il en faut même pour qu’elle soit achevée, dirait saint Thomas d’Aquin. Certes, ce n’est pas au moment où je jeûne que j’aurai plaisir à avoir faim. Mais quand, par mon jeûne, je deviens plus maître de mes pulsions et que j’associe mon corps à ma prière en offrant cette privation au Seigneur, alors jaillit une vraie joie, qui se déploie dans le temps long. Ici encore, la métaphore du sportif est éclairante. Ce n’est pas en pleine ascension, quand il est en nage, les mollets douloureux, le souffle court et le cœur en chamade que l’alpiniste éprouve du plaisir ; mais ses efforts participent à sa joie quand il arrive au sommet, se remémore le chemin parcouru et contemple, ébloui, le panorama qui s’offre alors à lui. 

L’Entraînement et la Grâce, Clément Binachon, éd. Cerf, février 2025, 152 pages, 17 €.