Pour son premier voyage « hors d’Italie », Léon XIV s’est montré aussi affable que concentré, autant diplomate que déterminé. En Turquie comme au Liban, face au monde musulman et aux foules chrétiennes, son parcours aura permis de clarifier sa pensée spirituelle et géopolitique. Venu en Turquie à l’occasion de la célébration des 1 700 ans du concile de Nicée, accompagné du patriarche de Constantinople et de responsables d’églises évangéliques, le Saint-Père a plaidé, sans surprise, pour la fraternité avec les autres Églises, malgré « le scandale des divisions ». Le Pape l’a fait dans les pas de ce prédécesseur qu’il admire, Léon XIII (1878-1903), premier pape à ouvrir le dialogue avec l’orthodoxie.
Léon XIV s’est aussi posé en sentinelle du dogme chrétien, face à l’évolution relativiste de certaines tendances « progressistes » de l’Église catholique, tentées de réduire le Christ à sa nature purement humaine, en gommant sa nature divine : « Les chrétiens risquent de réduire Jésus-Christ à une sorte de chef charismatique ou de surhomme. » Le Pape a au contraire insisté sur la divinité de Jésus, réhabilitant la place de la prière dans l’Église.
Ce rappel dogmatique en terre d’islam, où le Coran présente Jésus en simple prophète, sans nature divine, a permis au Pape de préciser – en filigrane – le cadre du dialogue islamo-chrétien, qu’il veut poursuivre, mais « en vérité ». Sa ferme condamnation de « l’utilisation de la religion pour justifier la guerre et la violence, comme toute forme de fondamentalisme et de fanatisme » a pris un relief particulier, dans cet Orient où tant de « guerres saintes » ont été menées au nom d’Allah.
Face à Erdogan
D’autres sujets sensibles ont été abordés, en toute franchise. Sous la coupole de la Bibliothèque nationale de Turquie, devant le président Recep Tayyip Erdogan, représentant d’une majorité islamo-conservatrice des plus intransigeantes, Léon XIV a appelé au respect de toutes les confessions, en soulignant la dimension chrétienne de cette terre où les disciples du Christ « furent appelés pour la première fois chrétiens ». Devenus des citoyens de seconde zone, ils forment un « petit reste » – 100 000 fidèles sur 85 millions d’habitants – mais, insiste le Pape, la chrétienté fait « partie intégrante de l’identité turque » : « Une société n’est vivante que si elle est plurielle… »
Plus tard, l’hommage du Pape au « courageux témoignage chrétien donné par le peuple arménien au cours de l’histoire, souvent dans des circonstances tragiques », allusion claire au génocide de 1915-1916 – 1,5 million de morts –, un terme réfuté et un sujet toujours banni des débats en Turquie, aura refroidi un peu plus l’ambiance.
« Un soutien capital au Liban »
Au Liban, au contraire, Léon XIV a rencontré la joie, à la rencontre de foules soulevées par l’espoir, dans un pays ravagé par tant de guerres, ruiné par un effondrement économique sans précédent, démoralisé par les deux explosions du port de Beyrouth le 4 août 2020 – 235 morts, 6 000 blessés. « Cette visite apporte aux Libanais un soutien capital », confirmait Fadi Assaf, le nouvel ambassadeur du Liban près le Saint-Siège.
Pays multiconfessionnel de 5,8 millions d’habitants, partagés en dix-sept communautés, dont douze Églises chrétiennes, le Liban a perdu ses repères. Longtemps vanté, son modèle de coexistence confessionnelle est très dégradé. Le Pape en a pris acte, en soulignant les voies d’une renaissance possible, favorisée par l’énergie du nouveau président chrétien, Joseph Aoun, général, patriote et souverainiste, et par l’affaiblissement de la milice armée chiite du Hezbollah que l’Église appelle à déposer les armes.
Appel à l’enracinement chrétien
Du monastère d’Annaya, sur la tombe de saint Charbel Makhlouf (1828-1898), au port de Beyrouth, du patriarcat maronite de Bkerké au sanctuaire de Notre-Dame du Liban, Léon XIV a tenu à conforter l’identité chrétienne des Libanais, à saluer leur foi ardente qui a forgé leur résistance, malgré les sirènes de la diaspora. Chaque année, des milliers de jeunes chrétiens diplômés quittent le pays. Confiant, le Pape leur a demandé de stopper cette « hémorragie », en rappelant « une qualité resplendissante » des Libanais : « Vous êtes un peuple qui ne succombe pas, mais qui sait toujours renaître avec courage face aux épreuves. »
Cet appel à l’enracinement chrétien, gage d’un vrai sursaut, a enthousiasmé les jeunes, dans un pays devenu si matérialiste : « Il y a en vous une espérance, un don qui semble désormais nous échapper, à nous les adultes… Vous avez l’enthousiasme nécessaire pour changer le cours de l’histoire ! Votre patrie, le Liban, fleurira à nouveau, belle et vigoureuse comme le cèdre, symbole de l’unité et de la fécondité du peuple. […] Jeunes Libanais, grandissez vigoureux comme les cèdres et faites fleurir le monde d’Espérance. » Boussole d’un peuple désorienté, en quête de repères pour l’avenir, Léon XIV n’aura cessé de prêcher autant la paix que le pardon, l’espérance que l’enthousiasme. Avec cette explication de texte lancée à la jeunesse libanaise : « Le mot enthousiasme signifie : “Avoir Dieu dans l’âme.” »
Journaliste et écrivain, Frédéric Pons a notamment publié L’Arménie va-t-elle disparaître ? (Artège) et Le Martyre des chrétiens d’Orient (Calmann-Lévy).
