La fin de l’année universitaire - France Catholique
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La fin de l’année universitaire

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Hier, j’ai donné mon dernier cours de l’année universitaire. J’ai dit aux étudiants : « Soyez là. » Le semestre s’est achevé par la lecture des derniers livres de la République et de la Cité de Dieu, deux livres dont les titres sont presque identiques, livres qui contiennent la moitié de la sagesse de l’univers.

Alors que les étudiants disparaissent après ce dernier cours, tout enseignant sait qu’il ne les verra probablement plus jamais. Il ne faut pas s’en plaindre, même si c’est un choc. Les étudiants ne sont là que brièvement, pour quarante heures de cours dans leur vie.

Chaque semestre, j’ai un grand nombre d’étudiants. Certains reviennent me voir, ou m’écrivent. Un jeune homme diplômé il y a quatre ans est passé me voir récemment. Il m’a dit deux choses : 1) « Je me souviens votre insistance sur le fait que ni Socrate, ni le Christ n’ont écrit le moindre livre. » 2) « Vous nous avez dit de constituer notre propre bibliothèque de livres que nous avions lus. »

Parmi ces livres lus, j’espère qu’il y a ceux écrits sur Socrate et sur le Christ. En leur absence, une bibliothèque n’en est pas réellement une.

Après le semestre de printemps, les élèves de dernière année s’en vont vivre leur vie. Ils ont à peu près vingt-deux ans, sont au sommet de leur beauté et de leur brillance, presque au stade où, comme le disait Platon, ils peuvent commencer à connaître les choses importantes, les choses de la vie et de la mort, de l’ordre et du désordre de l’âme, de ce qui est noble et de ce qui est corrompu.

D’après Yves Simon, la pire des choses qui peut arriver à un jeune philosophe, « est de donner son âme à un professeur indigne. » Cette maxime devrait être écrite noir sur blanc et placée sur le bureau de chaque professeur. Mais qu’est-ce qu’être un professeur « digne » ?

La réputation n’est certainement pas nécessaire. La réputation, en fait, pourrait bien être un obstacle, quelque chose recherché pour soi et non pour ce qui justifie la louange. Et qu’est-ce qui justifie la louange de la réputation ? Seulement le fait de rechercher la vérité et de la montrer en tant qu’elle est enracinée dans ce qui est.

Dans les universités où la « diversité » est le dogme, cet effort n’est pas facilité, puisque les prémices de la notion même de diversité présupposent l’absence de vérité. La vérité n’est pas un sujet populaire dans le monde académique contemporain alors même qu’elle est l’objet du plus grand désir de notre âme.

Pourtant tout professeur reconnaît qu’il n’est pas seul, alors même qu’une solitude appesantit l’activité académique elle-même. « Je n’étais jamais aussi peu seul que lorsque j’étais seul, » nous dit Cicéron. Souvent nos compagnons les plus importants sont morts depuis bien longtemps.

Socrate, dans le cinquième livre de la République, explique : « Discourir en effet, au milieu d’hommes sensés et amis, sur des questions de la plus haute importance qui nous tiennent à cœur, est chose que l’on peut faire avec sûreté et confiance quand on connaît la vérité. » (450d) N’est-ce pas la charte de l’académie ?

Je ne me lasse jamais de citer à partir du dix-neuvième livre de la Cité de Dieu : « Nulla est homini causa philosophandi nisi ut beatus sit – L’homme ne trouve pas d’autre raison de philosopher si ce n’est pour être heureux. »

De même, je pense que la Pensée n°786 de Pascal s’approche de la définition du cadre étroit de l’activité des universités modernes : « Jésus-Christ dans une obscurité (selon ce que le monde appelle obscurité) telle que les historiens n’écrivant que les importantes chose des Etats l’ont à peine aperçu. » (Pensées, Scellier 331, Bruschvicg 786) A l’origine, les universités furent fondées par la rencontre entre révélation et raison. La perte de ce fondement mène bien à l’ »obscurité. »

Sur les campus universitaires, il est peu fréquent d’entendre parler des menaces sur la liberté religieuse ou de la question des limites de l’action gouvernementale. Des rumeurs percent sur la colère des évêques, mais cela n’a point d’importance ici. La potentialité du surgissement de la tyrannie à partir de la démocratie, quoique familière à Platon et Aristote, est ici rarement évoquée.

Et pourtant nous lisons Nietzsche : « Nous qui avons une autre foi, nous qui considérons le mouvement démocratique non seulement comme une forme décadente de l’organisation politique, mais comme une forme de la décadence, c’est-à-dire de rapetissement de l’homme, de nivellement et de diminution de valeur, où devons-nous placer notre espoir ? » (Par-delà le bien et le mal, n°203)

Où donc ? Nous n’avons pas remarqué que les fondements d’un ordre politique juste ont été mis à bas, alors même que ceux qui ne les ont pas défendus sont parvenus à des positions de pouvoir. Voici le monde dans lequel les étudiants entrent avec bien peu de préparation.

Dans Jésus de Nazareth, un ouvrage dont la lecture est rarement requise, Benoît XVI écrit : « L’homme qui entend par liberté l’arbitraire absolu de sa volonté propre, de son chemin personnel et d’eux seuls, vit dans le mensonge, car, par nature, sa place est d’être dans la réciprocité, sa liberté est une liberté à partager avec autrui. » (volume 1, p. 229, édition Flammarion, 2007).

A la fin du deuxième livre de la République, Socrate déclare que la pire des choses en nous serait d’avoir en nos âmes le mensonge sur les choses telles qu’elles sont (382a). Alors que l’année universitaire s’achève, un professeur de valeur se doit de dire à ses élèves que Socrate avait raison.

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James V. Schall, S.J., professeur à l’université de Georgetown. Parmi ses ouvrages : The Mind That Is Catholic et The Modern Age.

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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/the-ending-of-an-academic-year.html