Jour fixé dans l’Histoire que le 8 avril, comme étant celui de l’Annonce faite à la Vierge Marie : une annonce que nous devrions fêter à l’égal de Noël et de Pâques et que je voudrais m’essayer à méditer. (Je ressens parfaitement la quasi incongruité qui est la mienne de penser que je vais réussir à tirer de moi quoi que ce soit qui soit digne de ce mystère : mais en fait je me confie ici à Celui dont le rôle est bien de nous faire entrer, aussi peu que ce soit, dans l’intimité de ces merveilles dont le Père éternel est la seule source. Combien de joies ai-je pu goûter de ces essais que j’oublie trop souvent de tenter !)
Donc ceci : une seule fois les paroles de l’Annonciation furent prononcées dans leur plénitude ; une seule fois dans toute l’Histoire, non seulement humaine mais cosmique, fut ainsi énoncée, d’abord dans le plus grand secret, l’arrivée sur terre du Verbe éternel, l’Unique du Père éternel : et cette annonce fut d’emblée une parole efficace qui stupéfie (surtout aujourd’hui !) l’intelligence de celui qui avait, avant même que fut notre univers, choisi, non l’ordre de la Création initiale, celui voulu par Père, l’ordre de l’Amour, mais celui du Savoir dont il espérait tirer des pouvoirs qui l’égaleraient à Dieu. Ainsi que le lui avait soufflé l’Ennemi, le Prince des Ténèbres et Père du Mensonge, comme le nomme Jésus. Et Dieu, respectant en son amour la liberté, pur don fait à l’Homme, objectiva sa Création tout immatérielle pour que cet Homme, qui s’était préféré à tout même à Lui, en fit l’objet désiré d’études et de réalisations : sans pour autant que ce Dieu abandonnât son projet, seulement adapté à la situation nouvelle : rien moins qu’associer cet homme, même si devenu rebelle, à la divinité de son BienAimé, de son Unique, par la médiation de la Vierge Marie, la plus parfaite et sublime, la plus aimante et fidèle parmi nous.
Ce qui est dit si brièvement par l’Ange est d’une portée que l’on est tenté avec justesse de ne dire qu’égale à celle de l’irruption du Grand Événement – autrement dit biguebangue – qui sidère d’abord les astrophysiciens, puis la communauté des scientifiques, enfin tous les êtres humains soucieux de connaître ce qu’il en est de leur univers : alors qu’il faut le dire infiniment plus important puisqu’il signifie l’entrée de Dieu en notre « espace-temps » son œuvre, et plus encore en notre « chair ».
Le signe donné par le premier des évangélistes, soit le premier porteur de cette « Annonce transcendante », semble d’une humilité propre à le rendre inaudible : l’enfantement par une « jeune femme » comme on traduit aujourd’hui ce qui était compris hier comme « une vierge ». (Est-ce que ce « jeune femme » pourrait être l’équivalent de notre « jeune fille » ? À un connaisseur de l’hébreu de le dire.)
Mais Celui qui est ainsi annoncé, Isaïe écrit qu’Il se nomme « Dieu avec nous » ! Mais si profondément « avec nous » qu’Il naît au milieu de nous.
Nos contemporains, de plus en plus éloignés de la foi, de plus en plus enfoncés dans le néant de la matière, ricanent en lisant chez saint Luc (I,26-38) le récit de la conception virginale de l’enfant dont le nom imposé par son Père dit tout : « Dieu sauve ». Et ces gens ont tout à fait raison dans la mesure où ils ont rejeté Dieu dans les oubliettes de la connaissance, au plus profond de l’inexistence, car alors ce récit n’est rien d’autre qu’une illusion, un rêve fantasmatique. Comment en effet comprendre un tel miracle, une telle invisible « création » au cœur même du corps de cette jeune fille si Dieu n’est pas ? C’est en effet impossible, et puisqu’impossible et pure légende1. (Seulement décréter que « Dieu n’est pas » n’appartient pas à ce qu’il revient à l’homme de décider, étant donné que l’infini de Dieu n’est pas maîtrisable par son intelligence limité, même si ce pauvre être la croit indéfiniment en expansion : un tel décret de sa part est à la fois absurde et irréel, pour le coup pur fantasme.)
Jacques de Saroug, mort en 521, l’une des lumières de l’école d’Édesse et qui fut surnommé « harpe de l’Église », a cette formule admirable : « L’Emmanuel s’énonce dans l’étonnement ». Je cite de lui2 : « Ô toi qui t’efforces de percevoir la route du Christ, mets un terme à ta recherche, ne t’égare pas à découvrir l’impossible. Le début de sa révélation dans la chair, rien d’autre que sa naissance d’une Vierge ! Il entra dans le monde par une porte fermée », comme plus tard il entra dans le Cénacle alors que la porte avait été fermée à double tour, comme barricadée tant les apôtres étaient restés figés dans la peur.
Jésus déclare, dès ses douze ans accomplis comme tout au long de sa vie publique, qu’Il se doit « aux affaires de son Père »3 : un singulier qui s’oppose absolument au pluriel et qui trouble l’esprit de ceux qui veulent absolument que son père biologique soit saint Joseph, oublieux d’un fait nécessaire quoiqu’inimaginable en saine raison. En effet Dieu, qui en éternité a « engendré mais non créé » ce Fils sa Parole, cet Unique infiniment parfait qui donc ne peut ni ne doit être doublé d’un « second » – ce qui est d’emblée parfait ne « se réplique » pas en effet –, ne saurait admettre que ce Fils éternel entrant en notre chair afin d’y accomplir sa volonté, le grand œuvre de notre salut, puisse être dit fils d’un autre que Lui-même : il veut naturellement être son père en tout. Quand l’Ange obtient de Marie son accord au projet divin, aussitôt et à l‘ombre de l’Esprit Saint le capital génétique masculin et donc complémentaire de celui dont elle dispose et offre en quelque sorte par son « fiat » lui est associé par création immédiate : nécessairement par création ! Ainsi, Fils éternel, deuxième personne de la très sainte Trinité, et Fils en notre humanité… Jésus n’a pas deux pères, seulement Celui qui l’a engendré en tant que Verbe en éternité ; qui l’a créé en notre temps dans le sein de Marie en une alliance dont le fruit est cet embryon dont l’âme organisatrice s’emploie aussitôt à son développement.
Oui, cet embryon est le « nouvel Adam » et cette Vierge est ce que l’on dira plus tard à son sujet, qu’elle est bien devenue la « nouvelle Ève » en ayant accepté par amour d’être la Mère de Dieu.
Diverses formules s’énoncent et que je me répète comme pour mieux comprendre : Jésus fils de Marie et du Père éternel ; le Verbe éternel issu de ce Père, unique Personne en Jésus… Entendre Jésus c’est entendre directement le Verbe, d’où pour le Christ être en mesure de dire à Philippe que s’il Le voit « il voit en même temps le Père »… (Je comprends cela sans vraiment le comprendre, même si je saisis la nécessaire ressemblance entre le Fils et le Père, ce que dit le dicton « tel père, tel fils » : je le dis d’abord et avant tout dans la foi qui me fait admettre obscurément mais non aveuglément que ce ne peut pas être autrement et je tiens à cela, accroché vitalement comme à une barre de fer plantée dans mon cerveau comme dans l’infini de la Parole.)
En Jésus, le Christ, celui qui est présent n’est autre que la personne même dite Verbe de Dieu : et cette chair, qui en fait un homme tel que chacun de nous, est ainsi élevée comme « part-prenant » au sein de la divinité de cette « Personne » en même temps qu’elle élève notre chair en la sienne. L’Envoyé (ou Christ) de ce Père unique et éternel est bien le Verbe (sinon tout ce qui est dit n’aurait aucun sens), et Jésus donne à ce Père sa parfaite parole humaine ainsi que ses douleurs et ses souffrances dont n’ignore rien ce Verbe en lui dont Il est l’expression, ainsi que son amour donné à son Père comme à nous tous, amour à la fois divin et humain.
En vain je m’efforce d’approfondir tout en croyant, pure illusion, être clair, simple, explicite. Que l’on vienne à mon secours s’il semble que ce propos est vacillant, obscur, inexact. Comme il est difficile de tenter d’exprimer ce mystère premier, décisif, celui-là même de notre salut !
Car, en Jésus, le Christ, chacun de nous accède à l’amour du Verbe et reçoit de Lui l’infini de sa miséricorde, en laquelle la misère de nos fautes, péchés, sottises immondes parfois, est réduite à rien dans l’acte de foi, de repentir et d’amour.
Telle est l’espérance qui nous tient tous debout et dont la gérante maternelle est depuis ce jour de l’annonciation la Mère virginale, la toute tendresse et attention, la tout humaine dans la perfection du don d’amour qu’elle fit de sa propre personne, dans une innocence lumineuse qui se perd en un acte de volonté jamais détournée en la Lumière née de la Lumière dont elle est à jamais la Mère.
Telle est aujourd’hui, malgré le bruit assourdissant que fait autour de nous le monde, l’actualité qui s’impose à moi, car elle est aussi bien temporelle qu’éternelle.
Pour aller plus loin :
- L’image du Linceul de Turin est quatre fois impossible : elle ne devrait donc pas exister ; or elle est là sous nos yeux.
- In Magnificat.
- Il ne dit pas « de mes pères », comme l’ont suggéré des adeptes du faux mariage que veut nous imposer l’État français. « Jésus aussi avait deux pères », phrase absurde et laide lue sur des panneaux lors d’une de leurs manifestations.