L’anglais, toujours et partout ! La publicité pour la chanson (anglaise et française) - Assassinat de la poésie - France Catholique
Edit Template
Pontificat de François - numéro spécial
Edit Template

L’anglais, toujours et partout ! La publicité pour la chanson (anglaise et française) – Assassinat de la poésie

Copier le lien

Même sur l’ordimac la publicité clandestine en faveur de l’anglais fonctionne admirablement. Je me demande si l’inverse se constate en faveur du français aux Etats-Unis… (Coup d’œil méprisant d’un quidam inventé, qui me considère comme un fantôme du XVIIe siècle.)

Le problème existe cependant ! Il n’est pas toujours facile par exemple de trouver le moyen de se faire rembourser quand il y a eu erreur ; acheter un logiciel pour découvrir qu’il ne vous convient pas relève presque de la roulette russe : un coup c’est du tout anglais, un coup on arrive au français, soudain remplacé par à nouveau l’anglais.

Existe d’autres nuances…

Autre secteur où l’anglais nous est imposé par des Français : ainsi les radios, exceptée l’une d’elle qui s’avoue spécialisée en notre langue (en somme une radio pour « Réserve francophone en Auvergne »).

Mystère explicable : pourquoi autant de ces publicités quotidiennes déguisées en « informations » pour vanter l’avalanche régulière de soi-disant albums qui ne sont que collections de chansonnettes… en anglais ou en français (les autres langues n’existent plus !) ? L’explication doit tenir au fric : les chansonnettes – qui parfois se métamorphosent en vraies et excellentes chansons – se vendent bien et même davantage : tous les Français chantent, il faut donc qu’ils aient chaque jour leur ration de mélodinettes, quand encore mélodie se découvre ; toutes les maisons d’édition de chansons sont donc aux petits soins pour les « radianimateurs » qui se trouvent très heureux de recevoir quantités de cédés à albums nouveaux…

Je soupçonne que d’autres types de cadeaux viennent stimuler les bonnes volontés, surtout lorsque les radios en question touchent les multitudes : ce point sera toujours extrêmement difficile à vérifier.

J’écoute régulièrement une radio, toujours la même, et je l’écoute par conviction quoique ses tendances soient plutôt du côté senestre, mais comme pratiquement aucune 1, surtout celles subventionnées par l’État français, ne parvient à observer une harmonieuse synthèse intellectuelle, culturelle, chansonnière, politique à part celle que j’écoute aussi imparfaite qu’elle soit, à mon sens et seulement sur ce point précis de la chanson, cette tendance point trop affirmée ne me pose pas de dilemme insoluble : sauf, hélas, l’abus des chansons en anglais, œuvrettes qui soutiennent l’impérium de l’angloricain, et le jeûne total de celles en italien, espagnol, allemand, russe, hongrois, roumain, polonais, souabe, souahéli, etc., qui me pousse parfois, parce que mes goûts volent vers d’autres cieux musicaux à couper vigoureusement le son.

Mon intellect souffre d’une certaine faiblesse qui fait que je ne connais aucune autre langue comme la française. Jai perdu l’essentiel de ce que je savais du latin et du grec d’autrefois : il ne m’en reste que quelques bribes, précieuses cependant. Mais j’aime les sons : quoique je finisse par ne plus souffrir les sons anglophones, si souvent mués en bruits effarants, d’une toxicité certaine. Les esclaves de Rome devaient eux aussi connaître ce phénomène, détester les sons rauques des ordres que leur donnaient leurs maîtres.

(Que les descendants des esclaves qu’achetaient les riches Yanquis du Sud et du Nord aient adopté l’anglais me donnent tort, hélas pour moi. Ce qui fait que j’écoute plus volontiers les « gospels » ou « chants spirituels » chantés en français : car ici il est très intéressant de comprendre les paroles, au contraire de bien des musiquettes entendues. A ce propos, je n’ai jamais compris la raison qui oblige les accompagnateurs des chanteurs à forcer à ce point sur le volume sonore qu’on finit par ne plus entendre le malheureux artiste : faut-il penser qu’on le sait si mauvais qu’il vaut mieux, d’entrée de jeu et dans l’intérêt de l’éditeur, de le rendre inaudible ?)

Cependant le principal de mes revendications, qu’apparemment je suis le seul à formuler, consiste en ceci : il est scandaleux de nous contraindre sans cesse à entendre, où que l’on soit, des chansons en anglais. Quelques-unes en français pour nous reposer des autres.

Là encore, je n’ai aucune antipathie naturelle pour les œuvres issues de la culture anglo-saxonne : comment pourrais-je ne pas porter aux nues William Shakespeare, John Milton, Henry Vaugham, William Blake, Alfred – Lord Tennyson, David Gascoyne, Katleen Raine, parmi bien d’autres, pour ne mentionner que des auteurs issus de la vieille Angleterre alors que celle des Etats-Unis occupe également une place des plus importantes ? Dois-je vraiment me justifier quand je dis que la langue de ces œuvres remarquables n’a pas à nous être imposée au point même de supprimer quasiment dans nos esprits celles de tous les autres peuples vivants en cette planète, porteurs eux-aussi de chansons et de poèmes ? On reconnaît ici une position impérialiste : c’est pourquoi je m’interroge sur le rôle joué par nos « radianimateurs ».

*

Cependant, il y a la poésie ! Le grand crime culturel commis depuis des années soixante-dix : justement parce que, vers ces années-là, les Ondes ont choisi la chanson, pour ne pas dire le plus souvent la chansonnette.

Là encore je ne suis pas un partisan déraisonnable : j’aime beaucoup chanter (et même siffler, ce qui me permet d’en improviser uniquement pour mon propre service) ; j’aime donc écouter chanter (mais bien, mais beau, mais juste).

L’autre soir, sur une radio privée, j’écoutais avec admiration Serge Réggiani interpréter de sa voix si prenante quelques-unes des ses plus belles chansons : je crois qu’il ne s’est jamais trompé dans le choix de ce qu’il pouvait et devait chanter, alors que suivent derrière lui des cohortes de nullissimes dont une fois, juste quand sortent leur foutus albums, l’on préfabrique exprès des louanges que l’on n’entendra (par bonheur) qu’une fois ells aussi alors que déjà se présente (par malheur) ceux qui les remplaceront, merveilles qui passeront, tout aussi éphémères…

Car existe toujours la poésie, aussi sacrifiée qu’elle l’ait été depuis bientôt quarante ans sur l’autel du fric que rapporte l’industrie dite culturelle des chansons : les poètes quant à eux continuent d’écrire mais ils ne sont que des ombres, des exilés, des précipités en des déserts de solitude… Leur œuvres, le plus souvent, ne sont tirées qu’à cent, deux-cents exemplaires en une France qui se vante de compter soixante-six millions d’habitants ! Aucune radio – aucune ! – ne se soucie, ne fusse qu’une fois, ne fusse qu’une seconde, de parler de ces naissances qui parfois ont demandé des années d’efforts, de réflexions, de stupeurs, de souffrances. L’un des deux ou trois plus remarquables moyens d’expression que les êtres humains, hommes et femmes ensemble, ont su porter au plus haut niveau de l’esprit, il a été perdu, effacé, assassiné.

(Armand Robin, poète anarchiste, fut arrêté un soir de guerre d’Algérie : il mourut sous les coups donnés en secret dans le commissariat où il avait été conduit… et la concierge de son immeuble se dépêcha de jeter le plus possible de ses papiers : en réalité des centaines et des centaines de poèmes, les siens et ceux de plusieurs dizaines de poètes issus de 26 langues, apprises essentiellement pour ce travail de dévotion. Car il ne traduisait que les poètes qu’il aimait. Henri Thomas, aidé d’un ami dont le nom m’échappe dans l’instant (fichue mémoire), réussirent à en récupérer quelques poignées… L’une de mes joies d’éditeur, est d’avoir pu sortir un gros cahier à sa mémoire d’excellent poète et de merveilleux traducteurs de poètes… Nos « radianimateurs » devraient en prendre de la graine, eux qui mettent sous le boisseau toutes les langues de l’Europe au bénéfice d’une seule.)

Dans les années cinquante, le Figaro chaque jour réservait dans sa pagination une place à un poème, pas immense certes mais ainsi il existait. France Culture célébrait nombre d’œuvres de poésie, bien plus qu’aujourd’hui : ainsi je fus invité lors de la sortie aux Cahiers Bleus de mon recueil « Etoiles d’ombre ». Gallimard publiait des poètes, et je fus l’un d’eux en cette maison où rayonnait un Jean Paulhan: c’était mon premier recueil, mon premier livre, alors que je faisais mon service militaire, à Trèves… Petit, mais livre quand même, au titre bizarre : « Atteintes attendues ».

J’accuse les médias de France d’avoir organisé ce crime apparemment parfait, l’extinction d’une civilisation, celle des mots en poésie. Je les accuse de nous avoir coupé la main à plume, de nous avoir réduits à la plus extrême des solitudes.

Il m’est arrivé assez souvent de dire des poèmes à haute-voix pour des publics très différents : des retraités, du tout venant, des adolescents et même des enfants… Je puis écrire, me souvenant de leur écoute, de leur attention, de leurs regards : merveilleux enfants. Toujours de la joie dans les yeux de tous… Je joignais, pour mes spectateurs/auditeurs, à des poètes vivants ceux du passé, à des œuvres très complexes d’autres toutes simples quoique tout aussi belles : je vais même recommencer le 10 mars prochain en la médiathèque de Bouchemaine, en Anjou. Je savais alors faire ce que je ne sais plus, ma mémoire s’étant recroquevillée du côté de mes neurones les plus inaccessibles : les dire « par cœur » ces poèmes qui sortaient du plus profond de l’âme, de l’esprit, du cœur, aussi du corps ; dans quelques jours je les dirai en lecteur qui sait encore, je l’espère, faire en sorte que la lecture soit tout aussi naturelle et sensible que ce « par cœur », pourtant la façon de dire la plus vivante. On peut alors fermer les yeux, lever les mains comme en adoration, regarder dans les yeux ceux qui écoutent, s’avancer vers eux, s’en éloigner, s’asseoir sur les planches au point central qui a nom théâtre … à certains moments perdre les sons tant il est vrai que les mots du poète deviennent parfois ses larmes.

Le vieux diseur ne s’attarde pas sur les souvenirs : il s’alarme trop au bord de cette tombe immense qui voile nos cœurs de sa pierre sculptée sur laquelle sont inscrits les noms de François Villon, le voyou angélique, de Clément Marot, l’exilé, de Pierre de Ronsard, le triomphant, de Corneille et de Racine, dont les vers souvent s’élèvent jusqu’à la pure musique du poème… Tant d’autres, dont quelques-uns ne s’oublient jamais, Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud, Charles Péguy, Paul Claudel, Armen Lubin, Armand Robin, Catherine Pozzi, Jean Mambrino, Salah Stétié, Marie Noël, Renée Guirguis, Jean Grosjean… Que de noms qui veulent passer le seuil des lèvres ! Mais impossible de les aligner comme autant de fusillés ! Hollocauste aussi bien ! Oui, accuser est un mot trop faible, car tous ceux qui participent, d’une façon ou d’une autre, aux programmes des médias, quels qu’ils soient, sont les complices de ce qu’il faut dénoncer comme une sorte de génocide culturel, d’abord en chassant les langues, donc toutes celles de l’Europe de l’Esprit, ensuite en bannissant comme autant de criminels ces poètes qui ont donné les plus belles lettres d’humanité à notre culture.

Il arrive que certains de ces poètes finissent par émerger de la piscine, devenant par exemple romanciers, ou essayistes brillants. Mais ce n’est qu’après des lustres d’oubli, de méconnaissance : autant on bavarde parfois excessivement sur des romans que guettent les jurés du Goncourt ou du Renaudot, sur les moissons d’octobre où le critique jette sa faucille dans les champs envahis de presque un millier de nouveautés, les ruisseaux où s’écoulent les nouveaux recueils demeurent inaudibles aux oreilles mortes de nos amuseurs publics.

  1. … sauf une que je ne puis capter et dont certains collaborateurs sont excessifs du côté droitier.