Partout dans l’Union européenne, les principaux vainqueurs des élections sont d’abord les abstentionnistes qui représentaient, au soir du 7 juin, 43 % des inscrits. On discerne ensuite un net ancrage conservateur et une poussée écologiste plus surprenante.
En France, cette victoire de l’abstention est très prononcée : un peu plus de 40 % des inscrits sont allés aux urnes et l’on y a compté plus de 4 % de votes blancs. Cet échec de la consultation s’inscrit dans une tendance longue de désintérêt pour les élections européennes : dans notre pays, les taux d’abstention sont passés de 39,3 % en 1979, à 43,3 % en 1984, a 51,3 % en 1989, à 57,2 % en 2004…
Faiblement représentative, l’Assemblée de Strasbourg est en outre fortement contestée par un grand nombre d’électeurs qui rejettent plus ou moins radicalement les institutions européennes : nationalistes de droite, socialistes de gauche, communistes de diverses obédiences, jacobins français se sont quant à eux mobilisés pour dire qu’ils ne voulaient pas d’Europe du tout – ou pas de cette Europe-là.
La seconde caractéristique des élections du 7 juin est la confirmation d’un paradoxe désormais banal : on vote aux « européennes » en fonction des enjeux nationaux et du charisme de tel ou tel dirigeant politique national. Les élections en Allemagne et en Grande-Bretagne se sont faites en vue des législatives qui auront bientôt lieu dans ces deux pays, les Belges ont voté aux européennes en s’intéressant surtout aux élections régionales qui avaient lieu le même jour, Silvio Berlusconi a transformé le scrutin en un plébiscite sur sa personne, la plupart des Français ont voté en fonction de la politique intérieure.
Les caractéristiques des élections du 7 juin s’expliquent par le fait qu’il n’y avait pas d’enjeux européens. Ce n’est pas l’Union européenne en tant que telle qui est récusée, mais l’absence de véritable débat qui décourage les électeurs.
En 2005, les Français s’étaient fortement mobilisés pour une campagne qui opposait clairement et durement les partisans et les adversaires du « traité constitutionnel ». Mais la victoire du Non n’a rien changé : les « nonistes » se sont alors désintéressés du scrutin ou ont voté pour des formations hostiles au nouveau projet de traité.
Par ailleurs, les médias français avaient répété tout au long de la campagne que les Français ne s’intéressaient pas aux élections européennes, tout en se gardant d’organiser des débats de fond sur l’avenir de notre continent bousculé par la crise économique et financière : ce qui fut diffusé tenait de la caricature et les journalistes en sont peut-être plus responsables que les hommes politiques eux-mêmes.
L’échec de
François Bayrou
Une des raisons de la non-mobilisation de l’électorat centriste du Modem (8,7 % des voix seulement) semble d’ailleurs bien avoir été la contre-performance de François Bayrou qui, lors du seul grand débat télévisé – mal – organisé à la veille du scrutin, ne sut pas maîtriser son tempérament face aux provocations répétées de Daniel Cohn-Bendit. Sur le fond, le candidat centriste avait-il tellement tort de rappeler que Daniel Cohn-Bendit a toujours été un briseur de tabous, un contestataire de l’ordre moral, jusqu’à l’ignominie si ce mot a encore un sens ? Mais le temps des polémiques, quel qu’en soit le fondement, n’est pas celui des générations actuelles et François Bayrou a ainsi probablement fait fuir la partie la plus jeune de son électorat et même décontenancé une bonne part de tout son électorat modéré…
La jeunesse française est au contraire en recherche de consensus humaniste tel que le film écologiste Home, du photographe Yann Arthus-Bertrand (vu à la veille du scrutin par 8,3 millions de téléspectateurs) peut en offrir l’image la plus « politiquement correcte ». Ce film a eu – on ne peut pas en douter – un impact non négligeable sur le scrutin du 7 juin.
Ces considérations générales ou particulières incitent à analyser avec une très grande prudence les rapports de force entre nos partis politiques au soir du 7 juin : pour l’élection présidentielle et pour les élections législatives, les Français se mobilisent fortement et ne votent pas de la même manière puisque le vote européen n’est pas « utile » (on vote selon ses affinités sans se soucier du reste) et est étranger aux calculs de premier et de second tour. Pour ce scrutin, aussi imprécis et révisable qu’un sondage, l’UMP (28,3 % des voix et 30 sièges au Parlement) est le vainqueur incontestable et Nicolas Sarkozy qui a, de fait, mené la campagne peut se féliciter de cette victoire. Comme en 2007, le succès est dû au talent du Président, qui n’a pas d’adversaire dangereux dans son propre camp, et à la faiblesse de l’opposition.
Daniel Cohn-Bendit (Europe-Écologie a atteint 15,7 % des voix et aura 14 sièges) peut lui aussi se réjouir d’avoir su rassembler les déçus du Parti socialiste (du moins les plus libéraux d’entre eux) mais cette base électorale est fragile.
La déconfiture
des socialistes
L’échec du Parti socialiste (avec 16,8 % des voix et 14 sièges) est dû sans aucun doute au fait que cette formation ne parvient toujours pas à présenter une « alternative » politique crédible, à la rivalité entre Martine Aubry et Ségolène Royal et à la concurrence des Verts et des deux formations d’extrême gauche (Le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon et Marie-George Buffet qui obtiennent 6,3 % et le Nouveau Parti Anticapitaliste d’Olivier Besancenot qui plafonne à 5 %). Mais cet échec est aussi celui de l’ensemble de la social-démocratie européenne face à la droite libérale. (on lira à ce sujet le billet de Jean Étèvenaux FC n°3169).
La représentation française, comme le Parlement européen dans sa totalité, auront donc une nette dominante à droite, ce qui, en période de grande crise, n’est qu’un paradoxe apparent.
Alice Tulle
Pour aller plus loin :
- Abstentionnisme : L'absence d'Europe?
- Les surprises de l'Épiphanie
- L'affaire Sea-France et autres surprises
- Les Manifs pour tous : brèves réponses à quelques questions récurrentes
- Appel urgent au calme, à Karl Zéro, à Alexandre Dousson et à quelques autres ! de leur sœur et amie Frigide Barjot qui les aime