Képler (1571 -1640) écrit la lettre d’envoi de son livre à « ses seigneurs » - France Catholique
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Pèlerinage de Chartres : Pour que règne le Christ !
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Képler (1571 -1640) écrit la lettre d’envoi de son livre à « ses seigneurs »

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Aux illustrissimes et nobles seigneurs, Sigismund Friedrich, baron de Herbenstein, Neuberg, Guttenberg, au sieur Lankowitz , trésorier héréditaire et écuyer grand maître de cuisine héréditaire, de Carinthie, conseiller de sa majesté impériale et du très illustre archiduc d’Autriche, capitaine de la province de Styrie

Aux sieurs N.N. des illustres métiers de Styrie, à mes seigneurs bienveillants

Salut et hommage.

Il y a sept mois, je vous avais promis une œuvre que les savants estiment belle et attrayante et bien supérieure aux calendriers annuels ; c’est ce travail que je viens enfin soumettre à votre noble cercle , ô illustres seigneurs. Il est modeste quant à son volume et exécuté avec une peine modérée , mais il traite d’un sujet on ne peut plus merveilleux. Veut-on de l’ancien ? Pythagore déjà s’y est attaché. Souhaite – t – on du neuf ? Je suis le premier à faire connaitre ce sujet aux hommes d’une façon générale. Cherche-t-on l’importance ? Rien n’est plus grand ni plus étendu que l’univers. Exige – t – on de la noblesse ? Rien n’est plus exquis ni plus beau que la clarté de notre temple divin. Veut-on discerner les mystères ? Rien dans la nature n’est ou n’a été plus secret. Mon sujet ne contentera pas tout le monde, uniquement parce que son utilité n’apparait pas aux étourdis. Il s’agit ici du livre de la nature, dont les Saintes Ecritures font si grand cas. Saint Paul le présente aux païens, afin qu’ils y contemplent Dieu comme le soleil dans l’eau ou dans un miroir. Pourquoi nous, chrétiens, ne nous délecterions –nous moins de cette contemplation, alors qu’il est de notre devoir de célébrer, de révérer et d’admirer Dieu dans sa vérité ? Notre recueillement en faisant cela sera d’autant plus grand que nous discernerons mieux la création et sa grandeur.

En vérité, combien de louanges au créateur , au vrai Dieu, n’a pas chanté David, le véritable serviteur de Dieu ? Il a puisé son inspiration dans la contemplation admirative du ciel. Les cieux proclament la splendeur de Dieu, dit-il. Je contemplerai les cieux, l’œuvre de Tes mains, la lune et les étoiles que Tu as façonnées. Grand est notre Seigneur et grande est sa puissance. ; il dénombre la multitude des étoiles et appelle chacune par son nom. A un autre moment, animé par le Saint Esprit, rempli de joie sacrée, il crie à l’univers : Louez, ô cieux, le Seigneur, et vous, soleil et lune, chantez ses louanges. Pourquoi le ciel, les étoiles ont-ils une voix ? Peuvent-ils louer Dieu comme le font les hommes ? Nous disons justement que même ces astres louent Dieu en offrant aux hommes des idées pour le faire.

Dans les pages qui suivent, nous délierons donc la langue des cieux et de la nature pour que leurs voix retentissent plus fort ; et que personne ne nous accuse d’avoir perdu notre peine en faisant cela.

Je ne dirai pas quel témoignage décisif mon sujet apporte en faveur du fait de la création que certains philosophes ont nié. Car nous voyons ici comment Dieu, tel un architecte humain, a entrepris de fonder le monde selon l’ordre et la règle et a tout mesuré de telle manière que ce n’est pas l’art qui prend la nature pour modèle, mais que Dieu lui-même s’est inspiré de l’architecture des futurs hommes pour créer le monde.

Faut-il compter la valeur des choses divines en nous comme si c’étaient des condiments ? Mais, me dira-t-on que sert la connaissance de la nature , et que sert toute l’astronomie lorsqu’on a l’estomac vide ? Les hommes sensés ne prêtent pas l’oreille à l’ignardise, qui donne cet argument pour crier qu’il faut renoncer à toute étude de cette sorte. On tolère les misiciens et les peintres parce qu’ils réjouissent nos oreilles, bien qu’ils ne soient par ailleurs d’aucune utilité pour nous. La puissance que nous procurent leurs œuvres passe pour être convenable et même pour honorer l’homme. Quelle ignardise, quelle bêtise que d’envier à l’esprit ce que l’on accorde volontiers aux yeux et aux oreilles !celui qui s’élève contre une telle réjouissance s’élève contre la nature elle-même ! L’infinie bonté du créateur, qui a tiré la nature du néant et lui a donné la vie, n’a-t-elle pas pourvu chaque être de ce qui lui est nécessaire et donné en plus de la beauté et de la joie à profusion ? L’esprit de l’homme, maître de toute la création, fait à Sa propre image, serait-il seul privé de délices ? Nous ne demandons pas quelle utilité le petit oiseau espère tirer de son chant, car nous savons que chanter est une joie pour lui, parce qu’il a été créé pour chanter. De même, il ne faut pas demander pourquoi l’esprit humain prend tant de peine pour percer les mystères des cieux. Celui qui nous a façonné a ajouté l’esprit à nos sens, pas seulement pour que l’homme puisse assurer sa subsistance – beaucoup d’espèces vivantes, dont l’âme ignore la raison, le peuvent bien mieux – mais aussi pour nous permettre de passer de l’existence des choses que nos yeux aperçoivent aux causes de leur existence et de leur devenir, même si cette démarche n’a aucune autre utilité. De même que la subsistance des autres êtres vivants et du corps de l’homme exige nourriture et boisson, l’âme de l’homme, qui est différente de l’ensemble de l’homme, se nourrit de cette connaissance qui l’enrichit et encourage pour ainsi dire sa croissance. Aussi l’homme qui ne porte pas en lui le désir de ces choses ressemble davantage à un mort qu’à un vivant. Et, de même que la nature veille à ce que la nourriture ne manque jamais aux êtres vivants, nous pouvons dire à juste titre que les phénomènes naturels sont si variés , les trésors cachés dans l’édifice déleste si précieux afin que l’esprit humain ne manque jamais de nourriture fraîche , qu’il ne se lasse jamais de l’ancien ni ne trouve de repos, mais qu’il trouve toujours en ce monde un atelier ouvert pour l’exercice de son esprit.

Ce que j’ai, dans ce livre, soustrait à la table richement servie du Créateur ne perd rien de sa valeur pour ne pas être au gout de la multitude, qui la dédaigne. L’oie est plus prisée que le faisan, car tout le monde connait la première, alors que le second est plus rare ; pourtant aucun gourmet ne ferait moindre cas du faisan que de l’oie. De la même manière, mon sujet aura une valeur d’autant plus grande qu’il trouvera moins de laudateurs, pourvu que ceux-ci fussent des connaisseurs. La même chose ne sied pas au commun qu’aux princes. ; l’astronomie n’offre pas indistinctement une nourriture pour tous, mais uniquement pour l’esprit ambitieux : et cela non pas par ma faute, parce que je l’aurais voulu Les princes se font servir à leurs festins un met particulièrement délicieux qu’ils ne gouttent que lorsqu’ils sont rassasiés, afin de chasser la satiété. De la même manière, l’homme le plus sage prendra goût à ces recherches et à d’autres semblables, seulement quand il aura quitté sa demeure, parcouru les villages, les provinces et les royaumes, embrassant du regard le grand empire de la terre entière pour tout découvrir avec exactitude : alors, s’il ne trouve nulle part ce qui pourrait le rendre bienheureux, qui serait véritablement durable, qui pourrait apaiser sa faim et le rassasier, alors il cherchera mieux, il s’élèvera de la terre vers le ciel et plongera son âme , épuisée par les vains soucis, dans cette grande paix ; alors il dira :

« Heureux l’esprit dont le souci fut d’explorer cela

et qui s’éleva le premier vers les hauteurs célestes »

Il se mettra à mépriser ce qui lui importait jadis et tiendra désormais les œuvres divines en haute considération ; il atteindra enfin par leur contemplation une béatitude complète et pure. Que ces efforts ne rencontrent qu’un mépris profond, que les hommes cherchent le bonheur, la richesse et les trésors où bon leur semble – les astronomes se satisfont de la seule gloire de savoir qu’ils écrivent leurs œuvres pour les sages et non pour les criards, pour les rois et non pour les porchers.

Je proclame sans hésiter qu’il y aura encore des hommes pour imiter Charles Quint , qui, maître de l’Europe, ne parvint pas à trouver ce que, las de règner, il découvrit dans l’étroite cellule du monastère Yuste et qui, au milieu de toutes les fêtes, parmi les titres, les triomphes, les richesses les cités et les royaumes, tira tant de plaisir de la planisphère d’après Pythagore et Copernic qu’il échangea le monde entier contre elle et préféra régner sur les orbites célestes à l’aide d’un instrument de mesure plutôt que de gouverner les peuples avec un sceptre.

Ecrit le 15 Mai, et commencé ce même jour, un an auparavant.

Votre très dévoué

M. Johannes Keplerus

Mathématicien de votre école à Graz

http://fr.wikipedia.org/wiki/Johannes_Kepler


Extrait de

D’un chanoine à l’autre – De Copernic à Lemaître Des « Somnambules » parlent aux veilleurs

Par André Girard

238 pages, 18,50 euros (11,10 au format PDF)

http://www.edilivre.com/d-un-chanoine-a-l-autre-de-copernic-a-lemaitre-20cf04801d.html#.VUHrNdrtlBc

ISBN : 9782332851994