Un roi ne porte couronne qu’en de rares occasions. Le reste du temps, il se doit à ses peuples s’il est digne du sacre reçu. Il en est un dont les royaumes sont visibles et invisibles et qui règne avant même la Création. Longtemps il demeura inconnu car le regard de l’homme était encore enténébré de péché. Et puis, après une longue attente, celle d’Israël qui appelait de ses vœux un Messie à la fois roi, prêtre et prophète, il surgit enfin dans notre monde, faisant briller son autorité sur toutes choses dans l’univers. Il est celui que nous adorons comme le Christ-Roi. De toute éternité il exerçait sa puissance, au sein de la Trinité, ce triple diadème de la divinité ne formant qu’une unique couronne.
L’annonce par les prophètes
Les pauvres prophètes, tremblants et accablés, n’avaient cessé de l’annoncer à la face du peuple élu demeurant tantôt sceptique, tantôt enthousiaste mais se construisant son propre monarque bien éloigné de celui préparé de tout temps. Les souverains de ce monde ne voyaient guère d’un bon œil ce Roi promis risquant de remettre en cause leur pouvoir. Ainsi parle le Messie par la bouche du psalmiste : « Les rois de la terre se sont levés, et les princes se sont ligués contre le Seigneur et contre son Christ. […] Pour moi, j’ai été établi roi par lui sur Sion, sa montagne sainte, annonçant ses préceptes. […] Et maintenant, ô rois, comprenez ; instruisez-vous, vous qui jugez la terre. Servez le Seigneur dans la crainte, et réjouissez-vous en lui avec tremblement » (Ps 2, 2, 6, 10-11).
Les cœurs les plus endurcis finissent par s’assouplir lorsque le chef est juste et charitable. Jérémie prophétise : « Voilà que des jours viennent, dit le Seigneur ; et je susciterai à David un germe juste ; un roi régnera, il sera sage, et il rendra le jugement et la justice sur la terre » (Jr 23, 5). Aussi, dès la salutation de l’archange à la Très Sainte Vierge jusqu’au déchirement des cieux au jour de l’Ascension, la royauté du Christ brille-t-elle sans qu’aucune gemme précieuse n’ait jamais orné son front. La Vierge troublée entendit les paroles angéliques et les conserva aussitôt dans son cœur. Ce Jésus qu’elle porterait dans sa chair « sera grand, et sera appelé le Fils du Très-Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père ; et il régnera éternellement sur la maison de Jacob. Et son règne n’aura point de fin » (Lc 1, 32-33). Cette double insistance sur l’éternité du règne souligne bien que cette royauté est à nulle autre pareille. À la crainte d’Hérode répondra l’adoration de ces rois mages qui, eux, n’hésiteront pas à offrir l’or, symbole de la royauté, le déposant, avec l’encens et la myrrhe, aux pieds de cet Enfant vagissant, roi sur la paille, entouré d’animaux divers qui, eux aussi, reconnaissent à leur manière l’autorité de leur Pasteur.
Un Enfant reconnu roi par les enfants
Toute enfance est un royaume, tout enfant règne en ses terres, tout enfant est familier des rois. Georges Bernanos écrit très justement, dans Nous autres Français : « Les petits enfants se moquent des ministres, mais ils prennent les rois très au sérieux, les rois appartiennent à l’univers des enfants – l’univers des enfants où n’entrent jamais les ministres, les banquiers ou même, révérence gardée, les archevêques, à moins qu’ils ne soient des saints. » Sans doute est-ce la raison pour laquelle Noël demeure si cher, malgré toutes les déformations, car cet Enfant est au moins reconnu comme roi par les enfants.
Un prince à Nazareth
Notre-Seigneur ne fut point humainement éduqué dans les cours royales, mais Nazareth fut plus brillant que Rome ou Versailles. Pour Joseph le juste et pour Marie la toute pure, alors qu’ils l’aidaient à grandir en taille et en sagesse devant les hommes, Il fut ce prince à eux confié par le Père, précieux trésor qui allait relever le trône de David pour l’humanité entière et pour un règne de justice libérant de l’accablement du Mal. Nul ne sait ce que furent ses jeux avec les gamins du village, mais on peut supposer que, déjà, il impressionna par cette majesté naturelle qui frappa par la suite les foules marquées par l’autorité de sa parole. Point besoin de sceptre alors car Il ne rechercha pas le pouvoir. La volonté du Père le couronnait et le guida jusqu’à sa fin terrestre.
Combien de fois dut-il se défendre contre les attentes trop humaines de ceux qui n’espéraient qu’une libération politique, que la renaissance d’Israël. Jérusalem était un trône trop petit pour lui puisqu’Il siégeait sur l’univers. Il n’est pas seulement le roi des Juifs, tel que les mages et Pilate le nomment. Il fuit ceux qui veulent réduire son règne à la terre : « Et Jésus, ayant connu qu’ils (les hommes) devaient venir pour l’enlever et le faire roi, s’enfuit de nouveau sur la montagne, tout seul » (Jn 6, 15). Le Christ porte seul sa couronne. Personne n’a besoin de l’oindre et de le sacrer puisqu’il vient du Père. Il sait que son trône sera la Croix et que son front saignera sous les épines : telle sera sa glorification. Ce couronnement, bien loin du faste de Reims ou de Westminster Abbey, signe la seule monarchie sans tache.
Ce Roi n’avait pas une pierre sur laquelle reposer sa tête et l’accueil enthousiaste de l’entrée à Jérusalem fut un mensonge supplémentaire commis par ceux qui prétendaient l’honorer et le servir. Lorsque nous pensons au Christ-Roi, nous ne pouvons pas échapper à ce regard qu’il pose sur le monde, sur nous tous, sur chacun, alors qu’il est prêt à expirer et qu’il confie dans un souffle à peine perceptible : « Tout est consommé » (Jn 19, 30). Normalement les fins de règne doivent être, si possible, grandioses, majestueuses. Sur le Golgotha, rien de tel : une apparente défaite promise à sombrer dans le silence de l’histoire. Or, justement, parce que cette royauté n’est pas des hommes, elle va transpercer les ténèbres.
Ceint du diadème royal
Bien des crucifix des premiers siècles représentent le Christ mort revêtu de la tunique impériale et ceint du diadème royal, non point pour nier la réalité de la Croix mais pour souligner qu’elle est le véritable escabeau de toute autorité et que la couronne d’épines est transformée par la Résurrection qui est un acte royal, qui signe la toute-puissance de Dieu bien davantage que les conquêtes d’Alexandre et de Napoléon. Les puissants du monde sont bien misérables en face de l’Amour triomphant. Lorsque saint Ignace parle de ce Souverain à servir et à aimer, il précise bien qu’il est en humble place, malgré sa beauté et son autorité.
Tel est le Roi que nous adorons et auquel nous nous consacrons. Son règne n’utilisera jamais les moyens trop humains de la puissance, de la dureté, de la terreur. Le Christ-Roi est couronné de la Charité qui est toute sa personne. Les mages de l’Orient adorèrent l’humilité en cet Enfant. Sans doute repartirent-ils dans leurs contrées, après avoir offert leurs précieux présents, le cœur brûlant de cette Charité que l’Incarnation du Roi devait planter en terre.