« Y a quelqu’un ici, s’écrie l’inconsolable Charlie Brown, qui peut m’expliquer le véritable sens de Noël ? » 1
« Ouais, Charlie Brown, dit Linus » C’est un enfant théologien, malgré qu’il traîne sa couverture. « Je peux t’expliquer le véritable sens de Noël. »
Alors, sur une scène plongée dans la pénombre, avec une seule lumière qui brille au-dessus de lui, lui qui n’arrive jamais à retenir les deux ou trois lignes qu’il doit déclamer pour un spectacle de Noël répète, mot pour mot, ces versets tirés de la Bible de Jacques Ier. 2
Et il y avait dans le même pays des bergers qui demeuraient dans le champ et qui gardaient leur troupeau la nuit. Et alors, l’ange du Seigneur vint sur eux, et la gloire du Seigneur les enveloppa de lumière : et ils eurent grand peur.
Et l’ange leur dit : N’ayez pas peur, car, voyez, je vous apporte de bonnes nouvelles de grande joie, destinée à tout le peuple.
Car il vous est né ce jour dans la cité de David un Sauveur, c’est le Christ le Seigneur. Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez le bébé enveloppé de langes, couché dans une mangeoire.
Et soudain il y eut avec l’ange une multitude d’hôtes célestes qui louaient Dieu et disaient : Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur terre paix et bienveillance pour les hommes.
« Et voilà de quoi parle Noël, Charlie Brown, dit Linus »
Oui, je sais, ce n’est qu’une bande dessinée, mais ce garçon qui fait tout de travers, dont tout le monde se moque, même ses camarades, même son chien, crie dans son angoisse et sa solitude. Il fait nuit. Pour un pécheur, il y a toujours la pénombre, ou la nuit, ou la lumière dure et métallique et le bruit de ses tentatives effrénées pour garder la nuit à distance.
Pourquoi supposons nous que nous serions heureux de contempler la gloire du Seigneur ? Les bergers ne furent pas heureux. Leur nuit calme et paisible en fut complètement bouleversée. Ils eurent peur avec une grande peur, dit Saint Luc, qui connaissait parfaitement le Grec, mais qui ici utilisait une tournure Sémitique, comme s’il traduisait quelque chose qui lui était rapporté par un locuteur Araméen encore frappé de stupeur.
Ils étaient remplis de crainte, » nous dit la Revised Standard Version (Nouvelle Version Autorisée) 3, en ne mentionnant pas la répétition. Les traducteurs de la Bible du Roi Jacques, généralement plus attentifs à préserver le son et la couleur de l’original, s’évertuent ici à trouver une expression, n’importe laquelle, qui évoquera non seulement le degré de peur mais le genre de peur. Ils ont donc l’idée originale de transformer un verbe en adjectif, et d’y ajouter un adverbe rare évoquant un traumatisme (en anglais : They were sore afraid).
Les bergers ne sont pas les premiers dans l’évangile à avoir peur. Zacharie fut bouleversé et saisi de crainte quand l’ange Gabriel lui apparut pour lui annoncer l’heureuse nouvelle qu’il aurait un fils, Jean, qui aurait la faveur du Seigneur. Marie fut toute bouleversée lorsque Gabriel lui apparut pour lui annonce l’heureuse nouvelle qu’elle aurait un fils, Jésus, qui serait appelé saint, le fils de Dieu lui-même .
Eh bien, ces hommes ordinaires, au milieu d’une tâche ordinaire dans une vie rude, éveillés sous le ciel nocturne, ou bien recroquevillés dans leur sommeil pour se préserver du froid, entendent une bonne nouvelle destinée à toute l’humanité, et eux aussi sont troublés. On dirait que la première rencontre avec la gloire de Dieu cause une douleur – expérience douloureuse parce que tout premier effort timide de l’homme limité et pécheur pour inviter dans sa masure le Dieu saint et omnipotent.
On m’a dit que le mot utilisé dans l’ancienne version n’était qu’un adverbe, tout comme son cousin allemand sehr, très. Mais ce n’est pas le cas. En Vieil anglais, le mot » sar » voulait dire « plaie », à la fois la blessure et la douleur, et il tenait sa force adverbiale de cette signification fondamentale.
Dire qu’on a cruellement besoin (sorely needed) de quelqu’un n’est pas la même chose que de dire qu’on en a grandement besoin (greatly needed). Ceux qui en ont besoin ressentent la douleur du manque. Et de qui a-t-on eu, a-t-on et aura-t-on plus douloureusement besoin que de Jésus ?
Les bergers eurent donc grand-peur : tout comme n’importe qui d’autre rempli de respect certainement. Quand Isaïe vit les anges qui servaient à l’autel de Dieu, il s’écria qu’il allait mourir, parce que personne ne peut regarder le Saint et vivre.
Marie contemplait le visage de l’enfant Jésus, sachant en quelque sorte qu’elle n’aurait guère pu expliquer qu’elle contemplait la divinité. Sa peur, c’était avant le moment de la conception, lors de sa première rencontre avec l’ange. Notre peur, cette grand-peur de l’humanité, arrive après, lorsque nous entendons la bonne nouvelle qui ébranle le monde.
Nous catholiques reconnaissons comme dogme que Marie n’a pas souffert lors de la naissance. C’est à nous que revient le travail de l’accepter, Lui, et puis, avec l’aide de la Mère de Douleur, d’attendre l’accomplissement de sa venue, car « lorsque la femme enfante , elle est dans l’affliction, parce que son heure est venue ; mais lorsqu’elle a donné le jour à l’enfant, elle ne se souvient plus de son accablement, elle est tout à la joie d’avoir mis un homme au monde » (Jean 16,21) 4
Cependant, il ne faut pas être paralysé par la peur. Loin de là : la peur est douloureuse, la peur ramène des sensations dans les membres engourdis, elle renvoie du sang dans des cœurs de pierre, elle force à ouvrir les yeux et les oreilles.
Elle conduit les bergers tout d’abord à Bethléem et ensuite dans toute la campagne environnante, louant Dieu. Elle pousse les apôtres à aller dans toutes les nations pour rendre témoignage de la seule chose nouvelle qui a eu lieu dans ce vieux monde : elle les conduit à la mort et à la Croix. C’est la première lueur de joie, effrayante.
« En ce monde, vous faites l’expérience de l’adversité, dit Jésus la nuit qui précède Sa mort, mais soyez pleins d’assurance ; j’ai vaincu le monde » (Jean 16, 33).
Tableau : L’Ange apparaissant aux bergers par Thomas Cole, 1833.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/they-were-sore-afraid.html
Pour aller plus loin :
- NDT : http://www.youtube.com/watch?v=DKk9rv2hUfA
- La Bible du roi Jacques (King James Version en anglais, souvent abrégé KJV), publiée pour la première fois en 1611, est une traduction de la Bible en anglais réalisée sous le règne de Jacques VI d’Écosse et Ier d’Angleterre. (Wikipédia)
- La Revised Standard Version est une traduction anglaise de la Bible publiée en plusieurs parties au cours de la seconde moitié du XXe siècle, en commençant en 1946 par le Nouveau Testament. (Wikipédia)
- Traduction TOB