Le 11 septembre 2001, le début de matinée, la vie était normale. Après le petit-déjeuner, on avait conduit les enfants à l’école puis on s’était rendu au bureau. Quelques minutes plus tard, la destruction des deux plus hautes tours de New York a pétrifié le monde entier, vidé les immeubles, jeté les Américains sur les routes dans des embouteillages gigantesques, figé le trafic aérien sur toute l’étendue du territoire. Ce schéma est indéfiniment ressassé au début de tous les films-catastrophe qu’Hollywood a multipliés depuis, comme les deux plus récents sur la destruction de la Maison Blanche (l’un par des nord-coréens, l’autre par des Américains extrémistes néo-conservateurs), la seule cible qui avait échappé aux terroristes du 11 septembre.
Il y avait ceux qui y croyaient mais ne savaient pas et ceux qui savaient mais n’y croyaient pas.
Au cours de sa brève histoire biséculaire, l’Amérique a connu diverses phases dites de « renouveau » évangélique axées sur une vision apocalyptique. La dernière en date remonte aux années 1990. Illustrée par le succès phénoménal d’un ouvrage intitulé « Left Behind » (« laissés derrière ») inaugurant une série de douze autres livres, à raison de un par an, conclus en 2007 par « l’avènement du Royaume », la victoire finale dans une guerre mondiale contre les forces de l’Antéchrist. Plus de soixante millions de ventes. Tim La Haye et Jerry Jenkins se sont efforcés de traduire l’Apocalypse de St Jean en des termes résolument contemporains et prosaïques, l’histoire commençant à bord d’un avion de ligne qui perd mystérieusement une partie de ses passagers (« enlevés au ciel » selon les mots même de St Paul, premier épître aux Corinthiens, « rapture » en anglais), déclenchant une série de catastrophes aériennes, et ainsi de suite. La qualité d’un ouvrage de science fiction est en effet d’insérer progressivement des événements extraordinaires dans un environnement familier, de rendre plausible l’inimaginable.
La série évangélique reprenait aussi une série de clichés chers à la « droite religieuse » : l’Antéchrist secrétaire général des Nations Unies (et avec les vieux préjugés anticatholiques, le Pape son adjoint), Israël mis à part ( ?) pour réaliser la prophétie, la terre sainte théâtre de l’ultime combat (Armageddon). La présidence de George W. Bush devenait le pinacle de ce mouvement. La catastrophe du 11 septembre allait évidemment faire exploser les ventes. L’histoire se réalisait sous nos yeux, même si les formes étaient différentes.
A l’inverse, les attentats signalaient les dysfonctionnements de la bureaucratie américaine dont certains éléments disposaient des bonnes informations mais ne les avaient pas recoupées, ni partagées, ou, pire, n’y avaient pas cru. La leçon semble s’être perdue à la lumière des controverses actuelles sur l’affaire Snowden. Vu sous l’angle de la sécurité – il en va autrement des droits individuels -, le scandale n’est en effet pas tant dans la collecte d’informations que dans leur manque d’exploitation. Si les Allemands croient, comme on le dit, que leurs messages e-mail ou sms sont lus, classés, répertoriés, par des fonctionnaires américains d’une néo- STASI, ils se trompent. « Trop d’infos tue l’info » a-t-on coutume de dire.
Mais quand bien même ils « liraient », enregistreraient ou trieraient ces tonnes de documents, cela ne voudrait rien dire. Qui comprend ce qu’il lit ? L’un des enseignements de Pour aller plus loin :