Partis du Havre, les quatre Trinitaires – Jean de la Faye, Denis Mackar, Augustin Darcisas et Henry Le Roy – font une première halte à Cadix où ils attendent pendant plusieurs mois une autorisation du roi du Maroc. Ils profitent de ce temps pour prendre des renseignements sur la situation marocaine et visiter les personnalités locales susceptibles de leur donner des lettres de recommandation. Ils préparent aussi les innombrables cadeaux indispensables pour voyager dans un pays qui fonctionne uniquement grâce aux bakchichs. Enfin, au mois de juillet, les Trinitaires reçoivent leur passeport et embarquent pour le Maroc.
Des cadeaux pour le pacha
Après plusieurs jours d’attente dans une ville côtière, le pacha local fait dire aux prêtres que les cadeaux prévus pour lui ne sont pas suffisamment fastueux ni précieux. L’un des Trinitaires est alors obligé de retourner à Gibraltar pour trouver d’autres marchandises. Cet épisode n’est que le début d’une interminable série de marchandages et d’intimidations, l’intention étant de soutirer le plus d’argent possible aux rédempteurs. Ce procédé est bien connu des Occidentaux car il est le même à chaque voyage. Enfin, les choses se débloquent et nos courageux prêtres partent en caravane à travers le désert pour se rendre à Meknès rencontrer le roi. Tous les captifs du pays appartiennent au roi du Maroc, il est donc le seul qui puisse leur rendre la liberté.
Autorisés à rendre visite au roi, les Trinitaires apportent leurs présents : deux grands miroirs, un fusil de chasse garni d’argent, deux pièces de brocart à fond d’or, plusieurs pièces de draps, quatre caisses de porcelaine de Chine, une caisse de confiture, une de sucre et une de thé, quatre douzaines de peaux de chamois et trois grands chiens. Ces présents sont purement diplomatiques et ne remplacent pas l’argent qui sera donné comme prix du rachat des esclaves.
Après cette audience, les Trinitaires rencontrent une grande partie des esclaves chrétiens dans la chapelle qui jouxte l’hôpital chrétien tenu par des Franciscains. Les captifs sont au nombre de 740 environ, regroupés par nation. Un Jésuite portugais, captif lui aussi, célèbre tous les jours la messe pour ses compatriotes. Les prêtres rédempteurs souhaiteraient le faire libérer en priorité mais il refuse, préférant rester en servitude afin de continuer à secourir ses frères de captivité.
Tentative d’intimidation
Le fils aîné du roi demande à rencontrer les Trinitaires. Il est heureux de discuter avec eux et les interroge sur les lois et coutumes françaises. Il semble impressionné de les voir affronter tant de dangers pour sauver quelques-uns de leurs frères chrétiens. Malgré ces différentes rencontres, les jours passent et rien ne se débloque. Après une dernière tentative d’intimidation – on menace de les emprisonner s’ils ne règlent pas les dettes d’un marchand français –, le roi accepte de leur vendre 15 esclaves, parmi les plus âgés. Et c’est le retour vers l’Europe, accompagné une fois de plus par de multiples tracasseries administratives. Un des esclaves libérés et un prêtre trinitaire meurent, épuisés par les fatigues du voyage. Avant de rentrer en France, les rédempteurs se rendent encore à Alger où ils réussissent à racheter 43 captifs. Ils arrivent finalement à Marseille en septembre 1725, deux ans après leur départ. Le salut des âmes n’a pas de prix.
Je briserai vos chaînes, Loïc Huygues-Despointes, Nouvelle Cité, 1995.
