En septembre 1575, le bateau qui ramène Cervantes en Espagne est attaqué par des pirates musulmans. L’équipage et les passagers sont emmenés captifs à Alger. Après bien des tribulations, le futur écrivain est finalement racheté cinq ans plus tard par deux prêtres de l’ordre des Trinitaires qui obtiennent la libération de 500 captifs espagnols. Cette anecdote témoigne de l’omniprésence de la captivité et de l’esclavage en Méditerranée entre le VIIIe et le XVIIIe siècle, ainsi que des relations conflictuelles entre pays catholiques et musulmans.
Razzias musulmanes
Jusqu’au XIe siècle au moins, la Méditerranée est largement dominée par la marine musulmane car les Sarrasins en contrôlent les îles principales ainsi qu’une grande partie de la péninsule ibérique. Ils font régulièrement des incursions en territoire chrétien – Espagne libérée, France, Italie – à la recherche de butin, essentiellement humain. La fréquence des razzias terrestres diminue, sans disparaître totalement, à la fin de la Reconquista espagnole (1492). Ces razzias sont alors remplacées progressivement par les actions de piraterie sur mer. L’être humain est une marchandise très prisée par les Maures, comme esclave ou captif, c’est-à-dire butin vivant destiné à être échangé ou libéré contre rançon. La distinction entre esclave et captif est ténue. On peut dire que le captif est un esclave en attente d’être racheté, l’esclave est un captif qui n’espère plus être racheté.
Le trafic de l’homme-marchandise est intense sur tout le pourtour méditerranéen. C’est un commerce très lucratif qui donne lieu à de véritables spéculations en Afrique du Nord. Une fois débarqués, les pirates vendent leurs prises. Les prix sont fixés selon des critères de sexe, âge, constitution physique, qualification particulière, mais aussi selon la valeur supposée de la rançon. Les nouveaux maîtres sont libres de requérir ou non une rançon.
On peut distinguer trois sortes d’esclaves : ceux que le pouvoir se réserve et qui sont employés aux travaux publics ; ceux qui sont envoyés aux galères ; ceux qui appartiennent à des particuliers. Cette dernière catégorie vit souvent dans des conditions moins terribles que les premières. Tout dépend du caractère de leur maître et de l’intérêt qu’il peut avoir à ne pas surmener cette précieuse marchandise. Cependant, la situation d’un esclave non racheté s’aggrave avec le temps, son maître perdant l’espoir d’une rentrée d’argent conséquente. Il est en grand danger, tant physiquement que spirituellement car il est souvent menacé de mort s’il n’apostasie pas.
Trinitaires et Mercédaires
Au tournant des XIIe et XIIIe siècles, deux ordres religieux sont créés pour le rachat des chrétiens en captivité : l’ordre de la Très Sainte Trinité pour la rédemption des captifs – appelé plus simplement ordre des Trinitaires – et l’ordre de Notre-Dame de la Merci – ordre des Mercédaires. Rapidement et jusqu’au XVIIIe siècle, ces ordres – dits rédempteurs – occupent une place centrale dans les opérations de rachat. Ce sont en effet des intermédiaires plus honnêtes et plus dévoués que les marchands ou les consuls, et moins coûteux que les ambassades officielles. Après les premiers voyages en Afrique qui permettent de libérer quelque 600 esclaves, ces deux ordres connaissent une expansion très rapide dans toute l’Europe.
Les ordres rédempteurs rachètent en priorité les captifs pauvres qui n’ont pas les moyens de payer une rançon, mais aussi et surtout ceux qui perdent espoir et qui sont prêts à apostasier pour améliorer leur sort ou éviter le martyre. Le salut des âmes compte plus aux yeux des religieux que le salut du corps. Selon le Carme Jeronimo Gracian, plus de la moitié des captifs chrétiens finissent par renier leur foi s’ils ne sont pas rachetés. C’est ce que constatent aussi les Jésuites qui attirent l’attention des pouvoirs civils sur la nécessité d’une rédemption rapide et efficace.
Les procédures de rachat sont longues, complexes et onéreuses. Il convient tout d’abord d’établir la liste des captifs à racheter, puis de vérifier leur identité après le rachat. En plus de la rançon qui est souvent élevée, il est nécessaire de rémunérer tous les intermédiaires, musulmans, chrétiens ou apostats. Les Trinitaires et les Mercédaires sont des ordres mendiants. Pour faire connaître leur œuvre et récolter les sommes nécessaires aux rachats, ils organisent régulièrement des processions d’esclaves libérés, avec témoignages, et mettent en place une collecte de fonds efficace. Ainsi, 313 captifs libérés processionnent en 1785 dans les rues de Paris.
Saint Vincent de Paul captif
Ces deux ordres ne sont pas les seuls à s’intéresser au sort des esclaves chrétiens. Jésuites, Capucins et Dominicains effectuent ponctuellement des rédemptions. L’ordre de Malte est également très impliqué dans ce processus, ainsi que plusieurs confréries laïques qui ont en charge des secteurs géographiques définis. Vincent de Paul, lui-même prisonnier à Tunis pendant deux ans, fonde à Marseille un établissement lazariste spécialisé dans le rachat des captifs.
Les ordres rédempteurs sont entièrement dévoués à leur dangereuse mission. En plus des trois vœux classiques des religieux, les Mercédaires en font un quatrième par lequel ils promettent, si nécessaire, de prendre la place des captifs délivrés et de rester prisonniers comme gage de la rançon à venir. À cette place, ils sont souvent torturés ou tués. Si saint Pierre Armengol et saint Raymond Nonnat survivent à la torture, saint Sérapion est éviscéré et démembré, la rançon n’étant pas parvenue à temps.
L’œuvre de miséricorde des rédempteurs est encouragée dans toute l’Europe. À cette époque, on perçoit avec acuité la nécessité de sauver les âmes et chaque chrétien est soucieux d’apporter sa contribution à cette œuvre pieuse. Ainsi, lorsque l’architecte Borromini édifie Saint-Charles-aux-Quatre-Fontaines, la petite église romaine des Trinitaires, il refuse d’être payé, préférant que l’argent de son salaire serve à libérer des captifs afin de les sauver de l’apostasie.
