Dans le bras de fer entre l’armée et les Frères musulmans, Etats-Unis et Union européenne ne sont pas entendus car leur message est brouillé.
Comme les « libéraux » égyptiens, ils sont pris entre deux feux.
L’armée égyptienne a décidé d’en découdre avec les Frères musulmans. Le bilan est lourd : officiellement 638 morts le 14 Août, 70 les 16 et 17 Août, lors de dispersions de manifestations. Des milliers de blessés, des milliers d’arrestations, une procédure de dissolution de la Confrérie est à l’étude, l’état d’urgence a été instauré.
Le vice-président intérimaire, Mohamed el-Baradei, figure de l’opposition libérale, a démissionné. Les auteurs de la révolution de 2011 qui avait chassé Moubarak, les protestataires de la place Tahrir qui avaient réclamé le départ du président Morsi, en sont pour leurs frais une fois de plus. On leur vole leur victoire, d’abord les Frères, puis maintenant le général Al-Sissi. Ils n’avaient pas voulu cela. Mais que voulaient-ils au juste ? Une démocratie libérale qui n’a pas de majorité ainsi que l’ont amplement montré les résultats décevants des politiciens qui pouvaient l’incarner, tels Amr Moussa ou El-Baradei. Quitte à influencer le mouvement, il faut choisir son camp. Il y a un an, dans les urnes : au deuxième tour des élections, entre le candidat des Frères ou un ex-militaire de l’ancien régime. Aujourd’hui dans le sang versé.
Au moment du choix, il n’y a pas de ligne médiane, de « juste milieu ». Les chancelleries occidentales ne peuvent pas plus que les libéraux se cacher derrière des illusions. Mais si l’on savait au moins ce qu’elles veulent ? Hier, le président Obama était accusé par les uns de ne pas avoir soutenu Moubarak, pour les autres d’avoir traîné les pieds pour le lâcher. Aujourd’hui, on lui reproche ici d’avoir favorisé les Frères, là de ne pas avoir condamné le coup d’Etat militaire. L’Union européenne semble plus décidée car les enjeux sont moindres : Mme Ashton, chargée des affaires extérieures de l’UE, a visité le président déchu Morsi dans sa résidence surveillée, demandé son élargissement mais n’a pas osé réclamer sa restauration. A Bruxelles, on s’oriente vers une suspension des aides financières, qui sera dans l’immédiat sans effet. Les Américains pourraient décider de suspendre leur aide militaire, autrement décisive, mais outre qu’il n’est pas sûr qu’il y ait une majorité au Congrès pour l’entériner, les Saoudiens ont déjà fait savoir que dans ce cas, ils s’y substitueraient.
Car c’est bien là le paradoxe apparent de la situation : Ryad, Koweit, Abou Dhabi, approuvent le général Al-Sissi (qui fut d’ailleurs attaché militaire dans le Royaume). Le Qatar est isolé dans son soutien aux Frères, mais sa chaîne d’information Al Jazeera continue de véhiculer une image biaisée des événements du Caire. Le Premier ministre turc qui a réussi à mettre l’armée turque hors-jeu a condamné les militaires. Mais les Frères ne sont pas l’AKP !
Pour les Occidentaux, l’enjeu est la démocratie. Pour les dirigeants arabo-musulmans aujourd’hui, il ne s’agit toujours que d’un affrontement de puissances : outre la rivalité sunnites contre chiites en Irak et en Syrie, c’est au sein du camp sunnite, les Frères contre les salafistes, c’est-à-dire grosso modo un projet politico-religieux contre un projet socialo-religieux (sans oublier qu’au sein du camp chiite s’opposent réformateurs et conservateurs). Chacun a donc des relais dans la lutte de partis, chacun a choisi son camp et agit selon sa logique propre là où nous ne portons qu’un regard extérieur, froid et abstrait. Sauf que la division est implicite dans les milieux politiques tant aux Etats-Unis qu’en Europe : si les lignes officielles sont aussi floues, c’est bien aussi qu’elles ne sont pas assurées. Le débat existe non seulement au niveau des instances diplomatiques, mais également dans les partis et l’opinion. Il serait intéressant de savoir ce qu’un sondage donnerait dans nos pays entre pro-Morsi et pro-Sissi…