Le célèbre philosophe [allemand] Robert Spaemann parlant des ratés de l’enseignement en Allemagne déclarait qu’on peut faire porter le blâme à la campagne de déstabilisation et d’intimidation que nous avons subie au cours de la décennie 1968-1978. Cette campagne était, à bien des égards, la suite de celle menée lors de la révolution culturelle en Allemagne, débridée à partir de 1933 dans les universités par l’Union des Étudiants National-Socialistes.
De manière analogue, à l’époque des « Raids Palmer » (1919) [rafles policières contre des éléments subversifs], il y avait rien qu’à New York soixante trois cellules du Parti Communiste. Il va sans dire que ces cellules se consacraient activement à l’organisation d’unions d’étudiants. Les méthodes peuvent avoir varié légèrement entre cellules, mais les résultats étaient bien homogènes. Et, reconnaissons pour tenter de tout expliquer, que l’attitude de la droite centrant tout sur la recherche du profit a eu aussi des effets désastreux sur l’enseignement..
Tant en Allemagne qu’aux États-Unis ce qu’on attendait de l’éducation était « de faire partager à nos enfants ce que nous-mêmes, les adultes entrés dans la vie, considérons comme bon, beau, valable, significatif ou utile.» (Spaemann).
Ce qui a été bouleversé en Allemagne par une « campagne d’intimidation ». Et on trouve le même phénomène aux USA. Ridiculiser les valeurs est devenu un rite — le slogan « comment pouvez-vous croire ça ? » est une méthode efficace pour bloquer la présentation d’une vérité, parfois même avant qu’on commence à l’énoncer.
Spaemann rappelle le slogan des années trente « Seuls des jeunes peuvent diriger des jeunes », réitéré vers 1968 et toujours brandi en Allemagne comme aux USA. Cette exclusion prive les jeunes de l’accès aux taditions.
Que ce soient les Jeunesses hitlériennes écartées de leurs traditions germaniques ou les étudiants de l’Université de Columbia haïssant la culture qui paie pour leurs études, la disjonction de tradition pour les jeunes a eu pour résultat la venue de générations « orphelines ».
Les hommes et femmes de ces générations, même trente ou quarante ans plus tard, sont encore privés de parents ; qu’ils soient professeurs d’Université transmettant la fausse monnaie de leur années de jeunesse radicale, ou auditeurs de conférences sur l’Église, prononcées comme si Elle n’existait pas avant eux. La mentalité perpétuellement puérile engendrée par le refus du passé signifie qu’ils ne peuvent transmettre que le moyen d’être déconnecté, apatride.. Joli cadeau empoisonné fait aux jeunes. Bon moyen pour se priver soi-même de père! « Quel est d’entre vous le père auquel son fils demandera un poisson, et qui, à la place du poisson lui remettra un serpent ? Ou encore s’il demande un œuf, lui remettra-t-il un scorpion ? » (Lc, 11 : 11 – 12).
Spaemann ne cite pas l’aspect commercial ambigu de cette idéologie. Les médias ont ouvert un vaste et nouvel espace pour toucher les jeunes et leur vendre des produits, des services et autres ingrédients matérialistes. Le tout attaché à l’instant présent (nouveau, dernier cri) et par sa propre nature contournant ce que les parents pourraient tenter de faire pour leurs rejetons mal informés.
Selon Spaemann, l’éducation est « pour la plus grande partie un effet secondaire de la vie ensemble, de l’intimité de la vie familiale, et pour partie aussi de l’instruction reçue à l’école.» Nous tentons d’être à l’aise dans tous ces rapports au sens humain et humaniste du terme. Les jeunes sont alors inclus dans le déroulement du temps de sorte qu’ils puissent aussi devenir pleinement humains, ou, comme il dit, « acquérir l’identité d’une civilisation.»
Le retour de l’enfant prodigue, si on ne le prend pas pour un simple événement personnel, est le retour du fils à la maison de ses racines. Chez lui, il est proche de son père, de sa mère, de toute la famille.
Ce contact physique a un caractère profondément humain. C’est l’ouverture même aux réalités. C’est le refus de l’arbitraire, du « barbarisme néopaïen ». Reconnaître la dette envers la nature temporelle de l’être humain est une part essentielle de la formation. « Tradition » n’est pas un gros mot. C’est la tradition qui donne à l’homme sa pleine stature dans le domaine temporel.
La tradition, inspirée par l’Esprit, est aussi un des composants de l’Église, même si de nombreux catholiques l’ont rejetée au XVIe siècle lors de ce qu’on appelle la Réforme. C’est pourquoi nous lisons les Écritures au travers de la tradition. Comme le déclarait Vatican II : « il y a un lien étroit et une interdépendance entre la tradition sacrée et les Saintes Écritures.»
L’Église prend sa part dans la protection et la défense matérielles des êtres humains. En plus de transmettre la vérité de l’Écriture et de la tradition, l’Église éprouve le besoin d’entourer les hommes. Le père de famille aide ses enfants à se situer dans leur époque. Une mère en fait autant par ses attentions maternelles. Le curé se comporte en père pour sa paroisse, avec plus ou moins d’efficacité selon sa nature et la formation qu’il reçue.
À présent, l’arbitraire et le paganisme de l’anti-tradition tentent de tout balayer. Il faut du courage et du dévouement pour résister à la pression et conserver toujours présentes la tradition et notre entière nature humaine.