Christ bénissant – Bellini, vers 1500
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Vers Noël, j’ai relu le livre d’entretiens de Jean-Paul II avec Vittorio Messori, Entrez dans l’Espérance. J’avais oublié combien ce livre est remarquable. Le pape est franc, honnête, intelligent, et, osons le dire, il secoue l’âme. Le livre est un panorama couvrant foi et raison, thème développé ultérieurement par Jean-Paul II dans l’encyclique Fides et Ratio. Mais c’est le chapitre intitulé « Si Dieu existe, pourquoi se cache-t-il? » qui m’a spécialement frappé.
Dans les chapitres précédents le pape développe une solide argumentation sur l’existence de Dieu — « Dieu existe-t-Il vraiment?» et « les preuves sont-elles encore valables?». Dans la réponse du Pape Wojtyla j’ai été prappé par un argument que j’avais lu dans un des essais de Monseigneur Robert Sokolowski: le problème, ce n’est pas l’existence de Dieu, c’est Son Incarnation. Les gens sont à l’aise d’avoir un Dieu caché. Mais ce qui dérange, c’est qu’Il se révèle distinctement, surtout quand ils n’ont guère envie d’en entendre parler, ou de vivre avec cette idée.
Descartes a défini existence et pensée comme un tout. Cependant, pour Thomas d’Aquin, c’est l’existence qui prime, et qui définit la pensée et ses contours. Dieu est mystère. « s’Il n’était pas Mystère — remarque le pape — il n’y aurait nul besoin de Révélation, ou, plus précisément, on n’aurait pas besoin que Dieu Se révèle.» L’intelligence humaine ne permet pas de saisir la plénitude de Dieu, mais seulement Son existence.
Pour beaucoup l’existence de Dieu devrait être évidente même pour un esprit obtus. Une telle idée abaisserait Dieu au niveau de l’intellect humain. Et l’homme serait alors Dieu. Dans ce cas, Dieu ne serait plus Dieu. Le vrai Dieu montre plutôt aux créatures intelligentes ce qu’Il veut leur faire savoir de Lui. Mais Dieu Se révèle directement en Se faisant homme. Il le fait à Sa façon. « Il s’est fait homme en Son Fils né de la Vierge. C’est précisément par cette naissance, puis par la Passion, la Croix et la Résurrection que Dieu se révélant dans l’histoire humaine porte au sommet la révélation du Dieu invisible en l’humanité visible du Christ.»
Les Apôtres demandaient au Christ de leur montrer le Père. Le Christ répondit qu’Il le leur montrait: « Le Père et moi sommes un.» Ce qui semble répondre presque exactement à l’attente de l’homme actuel. « Mais cette évidence ne donne pas la connaissance de Dieu face à face, la connaissance de Dieu en tant que Dieu.»
Alors Jean-Paul II se demande ce que Dieu aurait dû faire de plus pour Se faire connaître à nous? «En vérité Il semble être allé aussi loin que possible. Il n’aurait pu aller au-delà. D’une certaine manière, Dieu est allé trop loin.» Cette phrase m’a particulièrement frappé. Dieu Se révélant trop à nous!
Pourquoi ce soupçon? Parce que le Christ, le Fils de l’Homme, est devenu « la pierre rejetée par les maçons » pour le Juifs, « une folie » pour d’autres. Cette réaction est survenue quand Dieu est apparu: « Il (le Christ) a appelé Dieu Son Père parce qu’Il (le Christ) Le révélait si ouvertement en Lui-même. On avait l’impression que c’était trop.» Voici une idée originale. Nous réfuterions Dieu non parce qu’Il est caché, mais parce qu’Il est lumière, accessible, en Sa façon de nous traiter.
Le problème avec Dieu, dans la pensée moderne, c’est Son existence. Mais en réalité le problème est ailleurs. L’existence de Dieu est présente presque partout dans l’histoire de l’humanité. Même les athées niant son existence apportent une preuve négative. Et ça se termine avec leur « preuve » que Dieu n’existe pas, révélant inconfortablement leur quête du divin.
L’homme ne pouvait accepter que le Christ fût la révélation de Dieu. « cette contestation se trouve précisément dans la Synagogue, puis dans l’Islam. Aucun ne peut accepter un Dieu si humain.» La vie intime de Dieu et le souci qu’Il a de nous devaient rester cachés. L’Incarnation était une idée dangereuse. En Se révélant trop largement dans Son Mystère « Il ne se rendait pas compte qu’en Se dévoilant autant il brouillerait d’une certaine façon la vue des hommes, car l’homme n’est pas capable de supporter l’excès dans le Mystère.»
Mais le Dieu caché a poursuivi, et S’est révélé dans le Christ. Ce n’est que dans le Christ qu’Il réaliserait le plan divin établi pour chacun de nous, le projet de nous tenir face à Dieu. Quel paradoxe chez Jean-Paul II. Dieu Se serait révélé trop largement! Il aurait mieux fait de rester caché. Voilà le rejet de Dieu qui marque de plus en plus notre époque. Le Verbe, Son Fils fait homme a souffert, est mort, a été enseveli, et Il est ressuscité.
James V. Schall, S.J., professeur à l’Université Georgetown (Washington) est l’un des écrivains Catholiques les plus prolifiques en Amérique.
Son dernier ouvrage: The Mind That Is Catholic (la tournure d’esprit Catholique).
Note du traducteur
Entrez dans l’Espérance, version française de Crossing the Threshold of Hope. (je n’ai pas retrouvé le titre original en Italien).
Les citations extraites de ce livre sont donc des traductions de mon cru, il y a un petit risque de confusion.
Merci pour votre indulgence.
P.L.