Il y a de nombreuses années, un ami plutôt pragmatique me demanda de rédiger pour lui un aperçu général du christianisme en une demi-page de papier écolier. Son athéisme vacillait de lui-même, donc point n’était besoin d’en débattre. C’est pourquoi je m’efforçai d’exprimer ma conception du christianisme de manière positive. Récemment converti moi-même (à l’Eglise anglicane, dans un premier temps), j’estimais que cet exercice pouvait m’être profitable. A cette fin, je choisis de recopier trois passages de la Bible classés sous différentes rubriques.
A la rubrique « Ancien Testament », ces lignes d’Isaïe :
« Jusqu’à votre vieillesse, moi je resterai tel, jusqu’à vos cheveux blancs, c’est moi qui supporterai ; c’est moi qui suis intervenu, c’est moi qui porterai ; c’est moi qui supporterai et qui libérerai ».
A la rubrique « Nouveau Testament », cet extrait de saint Mathieu :
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. C’est le premier et le plus grand commandement. Et voici le second qui lui est semblable : tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes».
Et à la rubrique « Futur », cette citation de l’Apocalypse :
« Quand je le vis, je tombai à ses pieds comme mort. Il posa sur moi sa main droite, en disant : Ne crains point ! Je suis le premier et le dernier, et le vivant. J’étais mort ; et voici, je suis vivant aux siècles des siècles. Je tiens les clés de la mort et du séjour des morts. »
Que le lecteur compatissant entreprenne lui-même cet exercice avant de critiquer mon effort. Il m’en coûta, si je m’en souviens, presque une nuit entière, il y a trente-six ans. Si j’avais à le refaire, j’essaierai d’écrire plus petit.
Mon sermon laïque aujourd’hui porte spécifiquement sur le troisième extrait, mais ne s’y limite pas. En fait, il concerne les trois rubriques.
Sur mon propre site Internet j’ai affiché mardi un texte intitulé « La fin des temps ». Il traite de la mauvaise habitude qu’ont les gens en général de privilégier des scénarios apocalyptiques rabâchés et bon marché. La plupart ne sont que du blabla médiatique : du catastrophisme porno se complaisant dans d’imminents méga-cataclysmes politiques, économiques, sociaux et environnementaux. Chacun d’entre eux appelle la question : « Et alors ? »
La désintégration des Etats-Unis, par exemple, ne serait pas la fin du monde. Pas plus qu’une importante élévation du niveau des mers. Je peux envisager divers inconvénients pour les populations vivant dans les zones touchées, mais la vie continuerait. La planète en a vu bien d’autres.
Ce qui me préoccupe davantage, c’est le décadence de la pensée apocalyptique chez les catholiques (et d’autres chrétiens) de nos jours. Une espèce de fatalisme gnostique ou oriental envahit notre Eglise, affaiblissant la vertu théologale de l’espérance. Une vanité ambiguë sous-tend cette attitude : la croyance qu’à cause de nos péchés nous méritons une rétribution divine d’ordre absolument cosmique : nous avons, sans même trop essayé, « forcé la main de Dieu ».
De toute manière, nous pouvons attendre des châtiments de la nature elle-même. Nous méritons certainement la punition de nos péchés. Mais quand nous assimilons les événements immédiats à ceux de la Fin des Temps, nous agissons comme Pilate. Nous nous en lavons les mains. En effet, nous nous plaçons au-dessus de Dieu, et nous renonçons à la responsabilité de nos actions.
C’est comme la dette nationale : il ne faut rien faire parce qu’on ne peut rien faire. La seule tâche qui reste c’est de deviner l’échéance : calculer quand elle finira par nous engloutir.
Le mot Apocalypse vient du verbe grec άπο-καλυπτω qui signifie « découvrir ». Pour commencer, nous envisageons les choses à l’envers ou à contresens. Nous imaginons une « couverture » ; un voile descendant sur notre monde au lieu de la mise à découvert de ce qu’il recèle d’invisible.
Laissez-moi évoquer brièvement une apocalypse canadienne à laquelle j’ai assisté. C’est la terre que révèlent les neiges hivernales qui la cachaient ; l’explosion soudaine de la vie au printemps : herbe, feuillage, fleurs et fruits, agneaux et chants d’oiseaux. Un royaume caché qui gisait enfoui dans notre monde comme le grain émerge spontanément.
Supposez maintenant que nous ayons toujours vécu en hiver sans jamais voir le printemps. Supposez que nous assistions à cette incompréhensible et apocalyptique éclosion de la première fleur.
Comment décrire ce spectacle à ceux qui vivent en hiver ? Comment leur dépeindre des couleurs qu’ils n’ont jamais vues ? Ou tenter de faire sentir l’odeur, le contact de chaque créature du printemps ? On pourrait commencer de la sorte : « Il y a un royaume caché sous la neige ; il adviendra ».
Considérons ceci comme un acte de rétribution divine – en échange de l’hiver, de son froid mortel, de l’accumulation pesante de la glace. Nous pouvons aussi assimiler son début à une fonte des neiges spectaculaire, à une inondation, un déluge ; à la catastrophe qui met fin à l’hiver.
Cette idée m’est venue à l’esprit en relisant dans cette perspective le « sermon de la montagne des Oliviers » ou la « petite Apocalypse » du Christ (Matthieu 24, Marc 13, Luc 21). D’infatigables recherches ont été consacrées à son interprétation à des fins tout à fait perverses. On a tenté de tirer une échéance de ces remarques qui me semblent avoir été énoncées à dessein pour brouiller toutes les échéances.
Ce « discours » (ou cette prophétie) est sans cesse traité comme un simple pronostic. Ce n’est guère surprenant car le Christ essayait de répondre à des questions très temporelles de Ses disciples : « Dis-nous quand cela arrivera-t-il ? A quels signes connaîtrons-nous que ces choses vont arriver ? »
Le Christ raconte la parabole du figuier.
Nous posons des questions humaines naturelles depuis notre monde hivernal, tout en essayant d’imaginer ce que nous ne pouvons imaginer. La « date » est essentielle pour nous, elle ne l’est guère pour le Christ. Il répond par un étonnant déploiement de poésie prophétique, dont chaque ligne est restée gravée dans la mémoire chrétienne et littéraire pendant tous ces siècles.
Dans ce que C.S. Lewis a appelé « le vers le plus embarrassant de la Bible », le Christ dit que cela arrivera pendant la vie de cette génération. Mais qui peut dire que nous ayons jamais été ou serons un jour morts ?
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David Warren est un ancien rédacteur du magazine Idler et un journaliste du Ottawa Citizen. Il a une grande expérience du Moyen-Orient et de l’Extrême-Orient. Son blog, Essays in Idleness, peut être consulté à l’adresse : http://davidwarrenonline.com/
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/the-hidden-kingdom.html