Henri-Irénée Marrou, grand historien français du siècle dernier, catholique engagé, écrit que saint Augustin « nous apprend, par son exemple, un art de vivre par temps de catastrophe ». Les 24, 25 et 26 août 410, des barbares pillent Rome. Ce n’est pas la chute de l’Empire, mais un désastre comparable à ce qu’est pour les États-Unis le 11 septembre 2001. Augustin réconforte son peuple : « Frères, ne nous laissons pas abattre ! Tous les empires terrestres auront une fin. Si c’est maintenant la fin, Dieu le sait. Peut-être n’est-ce pas encore la fin. »
Ni désespoir, ni orgueil
Il ose déclarer que l’Empire romain n’est pas éternel, mais il ne se figure pas que « la fin » arrive déjà ; il a la prudence du « peut-être » (lire encadré). Il refuse aussi les spéculations sur la fin des temps : « C’est en vain que nous nous efforçons de calculer et de préciser les années qui restent à ce monde. Il ne nous appartient pas de le savoir. La Vérité nous l’a dit de sa bouche. » « La Vérité », c’est Jésus s’adressant à ses Apôtres avant son Ascension (Ac 1,7). De quel droit des chrétiens se prononceraient-ils sur ce que le Christ a décidé de ne pas leur enseigner ?
Pour Augustin, l’histoire de l’Église combine deux aspects : « La cité de Dieu qui chemine en ce monde reçoit de la divine providence des succès pour sa consolation, afin que les échecs ne la brisent pas, et des échecs pour son entraînement, afin que les succès ne la corrompent pas. » Ni désespoir ni orgueil. La vie chrétienne fait confiance à Dieu dans les épreuves comme dans les joies. Cette amoureuse confiance conduit à l’action : « Aimez la Loi de Dieu, et ne vous scandalisez pas ! Nous vous le demandons, nous vous en supplions, nous vous y exhortons, soyez doux ! Ayez de la compassion pour ceux qui souffrent, prenez soin des victimes ! En cette conjoncture où il y a beaucoup d’exilés, de gens dans le besoin, de gens qui souffrent, qu’abonde votre hospitalité, qu’abondent vos bonnes actions ! »
Spécialiste de saint Augustin, je cite ici, en les traduisant du latin, des textes d’il y a seize siècles. Croyant, j’ai le devoir de proclamer que ces textes doivent nous servir aujourd’hui même. Cette leçon vaut pour tous les temps, dont le nôtre : « Que chacun fasse attention, non à ce qu’il subit, mais à ce qu’il fait ! » Une personne qui ne connaîtrait que cette phrase, mais qui la mettrait en pratique, serait infiniment plus proche d’Augustin que tous les travaux universitaires sur celui-ci. Cela s’appelle la communion des saints.
Rome frappée mais non ruinée
« C’est, dit-on, sous le christianisme que Rome est détruite. Peut-être ne l’est-elle point : peut-être est-elle frappée et non ruinée, châtiée et non renversée. Est-elle détruite d’ailleurs si les Romains ne le sont pas ? Or ceux-ci ne périront point s’ils louent Dieu, tandis qu’ils périront s’ils le blasphèment. Qu’est-ce en effet que Rome, sinon les Romains ? Car il ne s’agit pas ici d’amas de pierres ni de monceaux de bois, de palais qui ressemblent à des îles entières ni de remparts immenses. Tout cela était construit pour tomber en ruines quelque jour. La main de l’homme en bâtissant mettait pierre sur pierre, et la main de l’homme en démolissant ôtait pierre de dessus pierre. Ce qu’un homme a fait, un autre l’a détruit. […] Le ciel et la terre passeront ; est-il alors étonnant qu’une ville cesse d’exister ? […] Aimez donc la loi de Dieu et que pour vous il n’y ait pas de scandale. »
Saint Augustin, Sermon 81, Sur les scandales présents