Cessation de la fabrication de l’Airbus A380 et gigantisme moderne - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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Cessation de la fabrication de l’Airbus A380 et gigantisme moderne

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Encore heureux qu’on interrompe la fabrication de l’Airbus A 380 avant qu’il n’ait subi un crash provoquant la mort de centaines de personnes, ou plus, si l’accident était survenu au-dessus d’une zone habitée. La décision d’abandonner cette super-production prouve que le marketing a failli ou qu’il a été résolument – idéologiquement – trop optimiste. Et pourquoi ? Parce que nos programmeurs-ingénieurs-techniciens ont été happés et tourneboulés par le gigantisme des réalisations industrielles. On croit facilement aujourd’hui, dans ce domaine comme en bien d’autres, que ce qui est faisable et possible devient par le fait même souhaitable et bon. Mais pourquoi alors n’avoir pas construit, tant qu’à faire, un avion pouvant accueillir trois mille passagers, puisque c’était techniquement réalisable ? (la bêtise ici cependant saute aux yeux, alors qu’avec un millier « seulement » on se trouvait certes dans l’hyper-raisonnable, mais raisonnable tout de même.)

Je pense qu’avec les immenses paquebots de croisière construits aujourd’hui, gloire de nos chantiers navals de Saint-Nazaire, capables d’accueillir six mille personnes pour des vacances luxueuses, on est dans la même aberration anti-écologique. Si un naufrage survient un jour pour des raisons accidentelles ou de  « malveillance », comme diraient certains rapporteurs gentils, on s’interrogera sur le bel enthousiasme des décideurs, réalisateurs, politiciens, médias, citoyens, directement bénéficiaires… – ou seulement séduits – à l’égard de ces projets pharaoniques, symboles tout à la fois de puissance, de savoir-faire, de plaisir et de vanité… Voilà pour deux exemples de démesure en matière de taille…

Mais il est une autre démesure qui concerne la vitesse. Nous avons des TGV qui roulent à près de quatre cents kilomètres/heure (inoui). Mais pourquoi faudrait-il donc mettre deux heures pour faire le trajet Paris-Marseille, alors que ce serait plus rentable pour des hommes d’affaire pressés de parcourir cette distance en la moitié de ce temps ? Me vient à l’esprit cette histoire que raconte Saint Exupéry dans le Petit Prince : à quelqu’un qui vantait au petit prince l’existence de pilules apaisant la soif et la précieuse économie de temps qui résultait de leur absorption, celui-ci répond en substance : « Moi, si je disposais d’une heure de temps libre, je marcherais tout doucement vers une fontaine. » Tout un climat, une vision des choses qui tend à disparaitre…

Les chrétiens et les humanistes dignes de ce nom s’inquiètent surtout et parfois s’insurgent contre les progrès techniques en matière de bioéthique qui mettent à mal une anthropologie régulée par des valeurs et convictions psychologiques, métaphysiques et morales. Ce domaine, où l’homme prétend se rendre maître de la vie, de son apparition et de sa transmission – alors qu’il devrait veiller à ne pas violenter les lois de cette nature « reçue » qui le constitue, le traverse et le supporte – est le plus sensible. L’ingérence humaine, qui ne prétend pas guérir, mais changer la donne, présente ici un péril majeur, car elle prétend affranchir les apprentis-sorciers que nous sommes de l’union inter-personnelle masculin-féminin qui est au fondement de notre espèce et de son devenir.

Toujours plus grand, toujours plus vite, toujours plus performant, toujours plus haut… Notre civilisation vit au superlatif. « Notre civilisation » ? pas tout entière à vrai dire : il y a ceux qui profitent et jouissent de ses exploits et les autres, encore les plus nombreux, qui peinent et regardent passer le cortège, ramassent quelques miettes, héritent des déchets et subissent la pollution envahissante. Faut-il dire : c’est comme ça ? L’humanité se construit en cherchant sans cesse à se dépasser, progresse en franchissant des limites autrefois interdites ou impensables, et parfois se trouve condamnée à faire des prouesses ou à mourir. Il ne faut donc pas mégoter sur les aberrations auxquelles nous conduit la course au bonheur matériel… Sans elles, ce serait la stagnation et le recul, car qui n’avance pas…

« Qui ne monte ni ne s’élève plus haut …» affirmeront certains, saluant les édifices toujours plus hardis construits dans le désert des Emirats. Heureusement Paris a su éviter jusqu’à présent les gratte-ciel vertigineux de New York, d’Abu Dabi et des métropoles chinoises et extrême-orientales. Le gigantisme de ces métropoles modernes donne froid dans le dos : phénomène universel qui ne prête pas à dérision tant la vie de leurs habitants se trouve malmenée. C’est un mal contre lequel il semble que nous soyons impuissants, comme une fatalité historique qui s’impose à notre existence collective, due en grande partie à la croissance exponentielle des rendements agricoles… suscitant l’exode rural. Machines hyper-performantes, améliorations et hybridations réussies, engrais et pesticides copieusement répandus, regroupement des terres pour de super-productions, (et de super-bénéfices) «bienfaisance » omniprésente de Monsanto -Siemens… tout cela nous dispense d’être nombreux à occuper les sols pour les faire fructifier et nourrir les populations, si bien (si mal) que le monde rural se dépeuple et disparaît à une allure effrayante. Certains penseurs vantent cependant les mérites indéniables de la civilisation urbaine. Sauf que les mégapoles qui concentrent une part toujours plus grande de la population planétaire ne sont plus des villes, ce sont des monstres tentaculaires aux méfaits presque insurmontables.

L’un des maux du gigantisme incontrôlé va de pair et même s’identifie avec la mondialisation. Celle-ci, surtout celle du commerce et des transports, déplace, à travers les airs et les océans, des millions de tonnes de marchandises d’un bord à l’autre de la planète. Le naufrage abimant parfois d’énormes cargos chargés à ras bord de containers qui se déversent sur nos côtes constitue un redoutable avertissement. Avec celles des marées noires, de telles catastrophes sont de véritables lanceurs d’alerte, nous intimant d’arrêter et de changer de logiciel… Comme si les pays avaient besoin, pour vivre mieux ou survivre, de déplacer en masses leurs ressources naturelles ou productions manufacturées, au lieu de viser à échanger principalement avec mesure quelques complémentarités sélectives. Soit dit entre parenthèses, les énormes pollutions générées par l’intensité du commerce mondial, devenu une sorte de frénésie, est une cause majeure des émissions de gaz à effet de serre et donc du réchauffement climatique, que la diminution de notre consommation terrestre de carburant par l’essor de la voiture électrique ne compense absolument pas… Il s’agit en effet d’une tout autre échelle. On commence par ailleurs à s’interroger aujourd’hui sur le coût écologique de la fabrication des batteries et de leur élimination après de bons et loyaux services…

15 février 2019