En Égypte, au cœur du désert de Scété - France Catholique
Edit Template
L'incroyable histoire des chrétiens du Japon
Edit Template

En Égypte, au cœur du désert de Scété

Depuis plus de 1500 ans, à la suite de saint Antoine le Grand, père du monachisme, les moines coptes orthodoxes du désert de Scété, en Égypte, ont choisi la radicalité du retrait du monde pour cultiver toujours davantage leur vie intérieure. Reportage.
Copier le lien
Saint-Bishoy fait partie des plus anciens monastères, sa fondation remontant au IVe siècle.

Saint-Bishoy fait partie des plus anciens monastères, sa fondation remontant au IVe siècle.

© Constantin de Vergennes

Un dépaysement soudain. Rejoindre les monastères coptes orthodoxes depuis la capitale du Caire, située à 80 kilomètres à l’ouest, c’est quitter une ville surpeuplée, criblée d’immeubles, et le fertile delta du Nil, pour s’engager vers la terre rocailleuse. À mesure que l’on se rapproche, le jaune remplace le vert, jusqu’à ce que l’on se retrouve aux portes du désert de Scété – Wadi Natroun en arabe. Parmi les quatre monastères qui sont installés ici, ceux de Saint-Macaire, de Saint-Bishoy et celui dit « des Syriens ». Les édifices, recouverts d’un enduit ocre qui les ferait presque se confondre avec le paysage, semblent difficilement datables et peuvent même laisser penser qu’ils sont assez modernes. Ce n’est qu’à l’intérieur des églises que l’on découvre les traces des reconstructions successives et les fresques multi-séculaires. Car du haut de ces églises, quinze siècles de vie religieuse contemplent le pèlerin.

À l’origine du monachisme

Le monachisme égyptien est le fruit d’une longue genèse, puisant sa source aussi bien dans la communauté de biens des premiers chrétiens, décrite dans les Actes des apôtres, que dans les exhortations christiques à l’abandon de toutes possessions. Le récit fondateur est bien sûr celui des quarante jours du Christ au désert, lieu de jeûne et de prière, deux des piliers du monachisme égyptien. L’histoire de celui par qui arriva le monachisme, saint Antoine le Grand, nous est connue par la biographie que lui consacra saint Athanase, évêque d’Alexandrie.

Jeune homme aisé, saint Antoine décide de tout donner aux pauvres, avant de vivre isolé, en rupture avec la société, devenant ainsi la figure des premiers anachorètes (du grec anakhôrein, « se retirer »). De nombreux candidats à la vie solitaire afflueront auprès de lui.

Parmi eux, saint Macaire l’Ancien, qui fut le premier à s’installer dans le désert de Scété, au IVe siècle, fondant le monastère éponyme. « À l’époque, vivre dans le désert était une folie, car c’était un lieu de mort, où vivaient de nombreux voleurs » note frère Marcos, imposant moine copte orthodoxe d’une quarantaine d’années, à la barbe fournie.

Faire refleurir le désert

Avant d’entrer dans l’église du monastère, il est demandé à chacun de se déchausser, en mémoire de la demande faite par Dieu à Moïse, lorsqu’il se retrouve face au buisson ardent : « Retire les sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte » (Ex 3, 5). À l’intérieur, on est immédiatement saisi par l’odeur d’encens. Sur la gauche, des reliques de saint Macaire, aux côtés d’autres reliques présentées comme celles de saint Jean-Baptiste et du prophète Élisée. Devant l’iconostase, cette cloison séparant la nef du sanctuaire où est célébrée l’Eucharistie, des bréviaires sont alignés.

À l’intérieur, les textes pour les différents offices de moines, écrits en copte. Le monastère compte aujourd’hui 120 moines, dont le plus jeune a 23 ans. Cela grâce au renouveau spirituel porté par Matta el Maskine (« Matthieu le Pauvre ») et ses compagnons, moine copte qui fut chargé par le pape orthodoxe Cyril VI de faire « refleurir le désert » en 1969 (cf. FC n° 3650). À cette époque, le monastère était en ruines et ne comptait qu’une poignée de frères. Ce renouveau du monachisme copte orthodoxe, qui survint grâce à la foi ardente de quelques-uns, alors que tout semblait perdu, paraît être une formidable espérance pour notre société occidentale.

Importance capitale de la cellule

Aujourd’hui, ces moines sont en perpétuelle recherche d’intériorité, malgré ou à cause de leur nombre. Au cœur même du désert, ils cherchent à s’aménager un autre désert. La cellule, à ce titre, est un lieu privilégié. « Pour nous, la cellule est le cœur spirituel du monachisme » explique frère Marcos. Un tel cœur spirituel est à ce point essentiel que si un frère souhaite rester dans sa cellule plutôt qu’assister à un office, il le peut.

De fait, les Pères du désert, fondateurs du monachisme, ont souvent souligné l’importance capitale de la cellule, l’assimilant à la fournaise dans laquelle Nabuchodonosor II jette Ananias, Azarias et Misaël. Secourus par un ange venu les protéger des flammes, les trois jeunes gens se mettent « à louer, à glorifier et à bénir Dieu » (Dn 3, 51), si bien qu’ils convertissent le roi. Dans sa cellule, par la prière, le moine peut tout entier assouvir le désir qu’ont tous les frères présents aujourd’hui dans les monastères du désert de Scété, « l’appel très fort d’aller dans le désert », selon les propres mots du frère Marcos. Le désert, lieu de la vie intérieure par excellence.

Désert intérieur et extérieur

Car la vie intérieure est capitale pour le moine et les maximes tirées des enseignements et de la vie des Pères du désert, les apophtegmes, ne cessent de revenir dessus. « L’activité intérieure apporte la pureté […] et l’humilité fait de l’homme l’habitacle de Dieu. […] De cette habitation sont bannis les démons pervers [et] l’homme devient théophoros, porteur de Dieu », explique saint Antoine. Cette aspiration au désert intérieur reflète également leur envie concrète du désert qui s’étend en face du monastère. « Ici, tous les moines rêvent de mener une véritable vie d’ermite » souligne Marc Jeanson, qui a consacré un documentaire au monastère de Saint-Macaire (La Lumière du désert, 2008). « Peu en sont capables et c’est seulement au terme d’une vie en communauté que certains sont autorisés à aller vivre dans le désert, pour de bon. »

Mais l’intériorité n’exclut pas pour autant la tentation, bien au contraire. De la même façon que le Christ fut tenté au désert et, à l’image de saint Antoine luttant pendant plus de vingt ans contre les démons, la vie spirituelle des moines au désert est un combat, comme le disent les écrits des Pères. Le moine doit ainsi « forcer son cœur ». « De même que Jésus força ses disciples à venir monter dans la barque, pareillement toi, force ton cœur à venir au Seigneur », précise un apophtegme.

Un désert qui se retire

Malheureusement, une problématique bien actuelle vient peu à peu empoisonner la vie de ces moines. « Le désert se retire » se lamente le frère Marcos. « Or ce désert extérieur, qu’il nous est difficile de garder, nous aide à avoir un désert intérieur. » En cause : l’urbanisation progressive de la région, alors que la capitale égyptienne n’en finit plus de grossir et que la démographie explose. Là où il n’y avait avant qu’un sol rocailleux, surgissent désormais lentement mais sûrement cultures et habitations.

Afflux des familles

La soif d’intériorité des moines est aussi mise à l’épreuve par le nombre important de familles qui viennent passer une journée ou un après-midi dans la partie publique du monastère. « Ce sont souvent des familles pauvres, analyse frère Marcos, dont les enfants par exemple viennent jouer au ballon autour de l’église. » Un bruit et une agitation qui ne font pas bon ménage avec la vie recluse des moines. Alors, pour éviter d’être trop dérangés, le monastère est fermé pendant les nombreuses périodes de jeûne qui parsèment l’année, durant lesquelles les moines excluent de leur régime alimentaire tout produit d’origine animale. La période de Carême qui débute est ainsi accompagnée par un jeûne de 55 jours. L’occasion pour les moines de Saint-Macaire d’atteindre, dans la prière et la privation, ce désert tant désiré.