Le 10 juillet 1858, Abraham Lincoln prononçait à Chicago son premier discours de candidature au Sénat des États-Unis. Quelques jours auparavant on avait célébré le 4 juillet 1 et Lincoln remarquait que beaucoup de participants à la fête n’étaient pas les descendants des familles ayant vécu à l’époque de la révolution.
C’étaient des nouveaux venus. Lincoln disait que
« venus d’Europe — Allemands, Irlandais, Français, Scandinaves… ils s’étaient établis ici, trouvant en tout les conditions de l’égalité.»
Et il poursuivait :
« S’ils cherchent des liens du sang avec cette époque 2, ils verront bien qu’ils n’en ont aucun… mais en consultant cette bonne vieille Déclaration d’Indépendance ils découvrent ce que les anciens affirmaient « nous tenons pour vérité fondamentale que tous le hommes ont été créés égaux », et ils éprouvent cette impression de lien avec ces hommes tel que révélé ce jour, base des principes moraux qui les animaient, et ils peuvent revendiquer le droit de se dire « sang du sang, chair de la chair » de ces hommes qui rédigèrent la Déclaration 3, et ils le sont vraiment. C’est le fil électrique de la Déclaration qui connecte les cœurs des patriotes épris de liberté, et qui les reliera tant que l’amour de la liberté animera l’esprit des hommes de par le monde.»
Comme le remarquait Harry Jaffa 4, c’était une espèce de « transsubstantiation démocratique ». Si ces gens saisissaient ce principe central, base du sentiment commun, alors, ils étaient vraiment « chair de la chair, sang du sang » de ces hommes qui avaient fait la révolution. S’ils comprenaient ce principe (« proposition », comme l’appelait Lincoln), « Les hommes ont tous été créés égaux », ils comprenaient que tous autour d’eux avaient les mêmes droits, car ils saisissaient le fondement moral de ces droits. Et, conscients de ces bases, ils adhéraient au cœur de ce qu’il faut savoir pour être un bon citoyen de ce pays.
Feu le Père Richard Neuhaus 5 publia un jour un essai remarquable intitulé : Un athée peut-il être un bon citoyen ? Si par « citoyen » on entend celui qui paie ses impôts et respecte les lois, la réponse instantanée était « oui ». Mais c’était une bien médiocre définition pour décrire un citoyen.
Le fond du problème était dans ce dilemme, un athée pouvait-il ou non apporter un soutien moral à ce régime exigeant un profond respect et une vraie loyauté. La question a simplement été évacuée, de même que nous nous sommes éloignés de tout ce qui peut porter des exigences morales dans la nationalité, simplement parce que nous nous sommes éloignés du sens moral de la politique.
En cet âge de relativisme nous avons reculé vers une notion de politique ressemblant à la fréquentation d’un hôtel. Lieu de résidence, on y arrive, on en part, l’essentiel est de payer la note (les impôts), et de respecter le règlement intérieur. Mais ce n’est pas au Waldorf Astoria que nous serons mobilisés en cas d’intervention militaire.
Si je soulève la question maintenant, c’est dans le remous du récent attentat à Boston, commis par deux frères, « citoyens naturalisés », et la controverse surgie quelques semaines plus tôt à propos d’Américains qui avaient rejoint les terrorristes. Méritaient-ils la protection légale refusée selon la constitution aux terrorristes étrangers ?
Poser la question n’a eu qu’un faible écho, comparé à ce qu’elle aurait eu naguère, quand la notion de nationalité avait une bien plus grande signification que de nos jours. Elle mettait alors son empreinte sur les gens, peut-être des immigrés, qui avaient contracté un attachement profond envers le pays et adhéraient pleinement au régime américain, pour de bonnes raisons.
Certains d’entre eux se seraient sentis fortement obligés envers le pays, au point de risquer leur vie en le défendant. Ironiquement, des gens venus se réfugier dans ce pays ont souvent un sens plus aigu de ce qu’il représente que bien des gens qui y sont nés et y ont grandi. Dzhokhar Tsarnaev a radicalement changé, mais l’Amérique a aussi eu connaissance de ses propres traîtres, qui n’hésitaient pas à procurer à nos plus mortels ennemis des moyens pour commettre de grands massacres d’Américains.
Vers la fin de la décennie 1970 la Cour suprême a été saisie du cas de généreuses subventions de l’État de New York au profit de l’enseignement supérieur pour des étudiants citoyens U.S. — ou candidats à la nationalité américaine. La Cour a réformé cette politique de discrimination odieuse. Et pourtant qu’y avait-il d’anormal à demander à des étudiants adultes de montrer leur attachement profond à un régime qui les aidait ?
Fallait-il que les habitants de l’État de New York subventionnent les élèves-ingénieurs qui, dans les années 1930, retourneraient en Allemagne se mettre au service de Hitler ? Ou, plus près de nous, des Irakiens apportant leur nouveau savoir-faire à Saddam Hussein ? La sentence de la Cour ne s’expliquait que si on supposait que la nationalité ne comportait plus aucun caractère de signification morale.
Bienvenue, donc, en notre Amérique actuelle, qui débat encore sur l’immigration, mais qu’il soit bien clair que si nous invitons des gens sous notre régime, et avec notre mode de vie la moindre des choses est d’en attendre le respect.
Photo : Cérémonie de naturalisation. 6
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/the-bombings-and-the-claims-of-citizenship.html
Pour aller plus loin :
- Fête nationale U.S.
- 1776
- d’Indépendance
- NDT: l’Historien des États-Unis depuis leur fondation, et spécialiste entre autres de l’époque d’Abraham Lincoln
- Pasteur luthérien converti au catholicisme, 1936 – 2009
- NDT: ces jours-ci, débat législatif aux U.S.A., le président Obama pousse à la régularisation massive d’immigrés clandestins. Un argument lancé par un sénateur: danger ! les immigrés clandestins circulent dans nos rues sans permis de conduire et sans assurance !