Un magistère au risque de sa possible caricature « bergoglienne » - France Catholique
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Un magistère au risque de sa possible caricature « bergoglienne »

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Chaque pontificat a ses zelanti qui, par enthousiasme sin­cère, quand ce n’est pas par réflexe courtisan, poussent à l’extrême les orientations doctrinales et pastorales du pape, au point de rapidement les caricaturer en slogans simplistes et outranciers. De son côté, le pape apprécie le plus souvent cet enthousiasme mobilisateur et ne voit pas tout de suite le tort que font à son ministère ceux qui extrapolent de manière exorbitante ses intuitions. Cet « effet pervers » peut d’ailleurs être constaté autour de tous ceux qui ont un pouvoir. Chez les papes, qui exercent une autorité sacrée, il brouille parfois leur magistère.

Les dérives dommageables que leurs zelanti ont fait subir aux pontificats précédents sont désormais sous les yeux des observateurs attentifs. À partir des magnifiques idées-forces de saint Jean-Paul II, les zelanti de son pontificat ont enthousiasmé la « génération JMJ » avec une morale sexuelle, conjugale et familiale idéalisée à l’extrême, au point de parasiter parfois le grand élan spirituel et missionnaire de cette « génération Jean-Paul II » par des dérives formalistes, élitistes voire « pharisiennes », comme on l’a vu dans nombre de communautés nouvelles. Par la suite, la sensibilité baroque de Benoît XVI et son souci, en lui-même excellent, de s’insérer dans la continuité de la Tradition vivante, exorbités par de nouveaux zelanti, allaient ranimer dans l’Église un traditionalisme frileux et un intégrisme soupçonneux rêvant de refermer la parenthèse de Vatican II.

Chaque nouveau pontificat corrige les « effets pervers » des précédents et celui du pape François ne manque pas de le faire. En particulier, à la suite des deux derniers synodes romains, il a montré dans son exhortation apostolique Amoris laetitia la volonté, à la fois réaliste et miséricordieuse, de dégager la magnifique doctrine du couple proposée par saint Jean-Paul II d’une extrapolation idéaliste et maximaliste, qui risquait de conduire certains vers le mirage d’une « Église de purs », si différente de la « nasse mêlée » de la parabole évangélique. Je suis convaincu que, dans le cas de personnes vivant en situation objectivement irrégulière, le pape a été assisté par l’Esprit Saint en ne procédant pas par mode de normes, ni même d’exceptions à la norme, mais par le biais d’un discernement pastoral miséricordieux sur l’exercice de l’acte libre par des personnes subissant aujourd’hui lourdement des conditionnements négatifs de divers ordres. Ce faisant, le pape reconnaissait l’authenticité d’une longue tradition théologique et pastorale de prise en compte du sujet, que les zelanti de saint Jean-Paul II avaient cru pouvoir disqualifier à jamais au nom de Veritatis splendor et des actes intrinsèquement mauvais. À la suite du Catéchisme de l’Église catholique, le pape François a rendu ses droits à une authentique morale d’acquisition progressive des vertus, délivrant ainsi les catholiques du danger d’un formalisme kantien du permis et du défendu plaqué de manière « géométrique » sur leur agir humain.

Sur la base de cette adhésion totale et sincère au magistère authentique du pape François, que j’ai défendu et continuerai à défendre comme théologien, qu’il me soit permis de formuler néanmoins mon inquiétude de voir encore une fois se développer, cette fois-ci chez les zelanti « bergogliens » du nouveau pontificat, une extrapolation exorbitée des intentions du pape, utilisant au besoin certains de ses propos impromptus voire primesautiers, extrapolation qui risque en contrecoup de brouiller son magistère. Une chose est, comme le fait Amoris laetitia en se référant sans cesse au magistère antérieur, d’apporter à la doctrine objective du mariage le précieux complément du discernement des actes posés par le sujet. Une tout autre chose est de prétendre que la question de savoir si les divorcés remariés ont accès aux sacrements ou non pourrait bien ne plus avoir aucun sens, dans la mesure où elle renvoie à l’idée obsolète d’une règle générale applicable à tous les cas, en positif ou négatif. Il me semble redoutablement faux en particulier d’affirmer que le pape a démantelé cette logique en la remplaçant par le discernement face à des situations qui sont trop différentes pour relever d’une norme générale. N’est-ce pas revenir à cette « morale de situation », tellement en vogue dans les années 1970, dans laquelle les circonstances, qui sont un des éléments conditionnant la moralité de l’acte, en deviennent le critère déterminant ? De même, autant il est juste de prendre en considération la façon dont nous sommes rejoints hic et nunc par Dieu qui nous parle, autant il me semble abusif d’opposer ce discernement existentiel et historique de la Parole de Dieu dans nos vies à une doctrine catholique objective et universelle, dans laquelle on ne veut plus voir qu’un vain « jeu logique » d’énoncés à coordonner dans l’abstrait à partir d’un Dieu notionnel et d’un corps d’affirmations qui en découle.

L’on voit apparaître de nouveau aujourd’hui, au nom d’une extrapolation « bergoglienne », l’herméneutique de rupture et de table rase qui a gravement caricaturé l’interprétation de Vatican II dans bien des milieux d’Église pendant deux décennies. Or le magistère catholique a un développement « homogène » et ce qui s’avère postérieurement trop dis­parate ne tient pas dans la durée et risque même souvent de provoquer une réaction inverse. Et les intentions du pape François sont trop authentiquement évangéliques pour que l’on se résigne à risquer de les voir réduites, faute d’une durable inscription doctrinale et équilibrée, à une parenthèse purement événementielle, atypique et éphémère, vite refermée. C’est normalement la tâche de la Congrégation pour la Doctrine de la foi : non pas de prétendre recadrer le pape, mais de l’aider à formuler de manière durable et homogène ses intentions les plus profondes. L’Église a besoin de sa collaboration effective, à la fois confiante et adroite, avec le successeur de Pierre.