UNE PLANÈTE REBELLE - France Catholique
Edit Template
Van Eyxk, l'art de la dévotion
Edit Template

UNE PLANÈTE REBELLE

Chronique n° 266 parue dans France Catholique-Ecclesia − No 1565 − 10 décembre 1976

Copier le lien
Mars étant en train de passer derrière le Soleil, à plus de 400 millions de kilomètres, les savants de Pasadena ont mis en sommeil leurs deux Vikings, qui reposent pour quelques semaines dans l’immensité rosâtre de la lointaine planète, dociles, quand l’ordre leur en viendra, à reprendre leurs expériences, ou d’autres1. Entre-temps, les savants de Pasadena réfléchissent, aidés de leurs ordinateurs. Ils en ont bien besoin. Car ils ne comprennent rien à ce qu’ils ont découvert. Si c’est la vie, quelle curieuse vie ! Et si ce n’est pas la vie, alors, qu’est-ce que cela peut bien être ? Selon la vigoureuse formule de l’un d’eux (qui s’exprimera sans doute autrement dans les comptes rendus officiels de la NASA…), « nous cherchions la vie ; nous avons trouvé quelque chose qui mange, qui respire, qui digère, et qui meurt. Normalement, que devrions-nous trouver encore, pour être sûrs ? La m… Eh bien, pas de trace de m… ! Et pourtant nos tests sont bons. Ils ont été répétés par les deux appareils. Plusieurs fois chacun. Qu’est-ce que cette vie qui ne laisse après elle ni déchet organique ni cadavre ? » Pour le docteur Klaus Biemann, du MIT, qui fit les plans de l’appareil destiné à mettre ces déchets organiques en évidence, « c’est un échec ; mon appareil aurait pu déceler la présence de tels déchets même s’ils avaient été 100 ou 1000 fois moins abondants que dans le coin le plus désolé de l’Antarctique : pas de déchets, pas de vie. Ce que nous avons mis en évidence doit pouvoir s’expliquer par une sorte de “chimie exotiqueˮ, inconnue sur la Terre ». « Mais dans ce cas, répond le docteur Carl Sagan, de l’Université Cornell, et responsable des autres instruments, quelle est cette “chimie exotiqueˮ ? Comment l’imaginer ? Car elle accomplit les fonctions essentielles de la vie. Elle utilise, puis exhale de l’oxygène, elle métabolise certaines substances ; et surtout, elle “meurtˮ, puisque toutes ces fonctions disparaissent des échantillons étudiés quand on les a chauffés à 120 degrés centigrades : tout se passe comme si ces échantillons avaient été “cuitsˮ ». En définitive, sur les six savants du projet, un, le Dr Biemann, pense que l’on a découvert une « chimie exotique » ; un, le Dr Carl Sagan, qu’il s’agit d’une « vie exotique » ; et les quatre autres donnent provisoirement leur langue au chat. La « chimie exotique » en question étant une chimie du fer, on devrait pouvoir la reproduire en laboratoire. Mais ce n’est pas le cas. On ne connaît aucune substance à base de fer qui réagirait en présence de l’eau au-dessous de 70 degrés en dégageant de l’oxygène et les oxydes ordinaires du fer (plus connus sous le nom de rouille). De plus, cette substance devrait perdre ses propriétés après avoir été cuite ! L’absence de déchets n’est pas moins étrange si l’on suppose que la substance en question est vivante : on est allé jusqu’à supposer que la vie martienne est intégralement cannibale, qu’elle réutilise immédiatement ses propres dépouilles ! 2 En attendant que les savants de Pasadena imaginent de nouveaux tests plus décisifs réalisables par les deux Vikings quand les télécommunications avec ceux-ci redeviendront possibles, c’est-à-dire dans quelques semaines, les biologistes se demandent si la vie telle qu’on la connaît sur terre ne serait pas seulement un cas particulier, au moins dans ses épisodes initiaux. En 1953, l’Américain Miller, en recréant en laboratoire les conditions naturelles d’une planète semblable à la Terre avant l’apparition de la vie, avait trouvé qu’en très peu de temps on voyait apparaître dans son enceinte des composés organiques complexes − les substances chimiques élémentaires de la vie, précisément3. Mais n’y aurait-il pas, avant cette vie organique (qui nous est familière, un stade jusqu’ici passé inaperçu, où le fer jouerait un rôle particulier ? À quoi aboutirait cet épisode « ferreux » dans une atmosphère ténue comme celle de Mars, sans cesse traversée par le rayonnement ultraviolet qui détruit les cellules vivantes terrestres fondées sur le carbone ? Est-ce un cul-de-sac ? Ou bien la vie alors s’orienterait-elle dans une direction qui ne serait pas la chimie du carbone ?4 Étranges questions, que nul ne songeait à se poser avant l’expérience Viking ! Si les savants de Pasadena sont déconcertés − mais cela ne durera guère, on peut en être assuré − du moins plusieurs faits sont acquis. • Vie ou chimie exotique, quoi qu’il en soit, l’eau joue un rôle essentiel (comme sur la Terre) dans les bizarres processus découverts par les deux Vikings. Or, sur Mars, l’eau est presque entièrement souterraine, probablement sous forme d’immenses strates solides, autrement dit de glace, autrement dit de roche. Sur Mars, l’eau, élément de vie, est essentiellement une roche5. Elle est recouverte de pierres et de sable partout, sauf aux pôles, où on peut l’observer depuis la fin du XVIIe siècle, depuis les premiers télescopes6. • Si une vie martienne s’est développée, elle est invisible à la surface, du moins sous forme de gros organismes semblables à ceux qui animent un paysage terrestre ordinaire : arbres, animaux, prairies. Les deux Vikings ont envoyé d’innombrables photos, admirables de netteté. On croirait y être ! Et l’on ne voit que pierres et dunes de sable. Sauf la couleur rose de l’air, on se croirait dans la Hammada7. Pas une trace « vivante », pas un buisson, rien. Mais peut-être ne savons-nous pas voir ? peut-être avons-nous tort de chercher quelque chose qui ressemble à ce que nous connaissons ? Nous sommes ici en pleine science-fiction. • Les savants seraient soulagés d’apprendre que Sagan a raison, et que c’est une vie différente. Car une chimie du fer et de l’eau inconnue des laboratoires, cela semble insensé. Deux substances si familières, tant étudiées depuis des siècles de toutes les façons, pourraient avoir une chimie « exotique » ? Ce serait donner raison aux alchimistes ! Car tout paraît limpide dans les atomes d’hydrogène, d’oxygène et de fer. C’est comme si l’on découvrait un monument inconnu au milieu de la place de la Concorde. Comme l’écrit l’un des promoteurs de Viking, « ce que l’on peut déjà dire en tout cas, c’est que la science de la vie est entrée [avec les résultats de Mars] dans une période de progrès vertigineux rendant toutes les ci-devant certitudes suspectes ». Un échec de plus, donc, pour l’esprit dogmatique. C’est le constant enseignement de la science. Aimé MICHEL Chronique n° 266 parue dans France Catholique-Ecclesia − N° 1565 − 10 décembre 1976 [|Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png|]
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 30 novembre 2015

 

  1. Aimé Michel écrit cette chronique au début du mois de décembre 1976 alors que les deux sondes Viking, lancées le 20 août 1975 pour la première et le 9 septembre 1975 pour la seconde, ont été placées en orbite autour de Mars au terme d’un voyage de dix mois les 21 juin et 9 août 1976, et que leurs modules d’atterrissage se sont posés l’une après l’autre sur le sol de la planète rouge les 20 juillet et 3 septembre, saluant à leur manière le bicentenaire de la Déclaration d’indépendance des États-Unis (4 juillet 1776). Aimé Michel suit avec passion cette première exploration in situ d’un astre qui a fait rêver tant de générations d’astronomes et de curieux. Il a déjà consacré trois chroniques à ce moment d’histoire. Les deux premières, n° 253, Au cœur de l’inconnu (Début) – Viking : un bicentenaire sur Mars (21.01.2013) et n° 254, Viking et l’autre façon américaine d’être plombier − L’univers aime s’amuser et il aime bien ceux qui s’amusent avec lui (28.01.2013), sont parues en juillet et août 1976, peu après l’atterrissage de la première sonde, et la troisième, n° 256, Celui qui pleurait à Pasadena − L’enjeu spirituel de la recherche d’une vie extraterrestre, (12.10.2015), en septembre 1976, alors qu’on ne connaissait pas encore les premiers résultats des analyses. C’est l’occasion pour Aimé Michel de dégager la signification culturelle de ces missions martiennes selon deux perspectives fort différentes : La première concerne le rôle historique des États-Unis. En ces années 1970, il est de bon ton chez nombre d’intellectuels français de manifester son antiaméricanisme et de prédire le déclin et la chute de l’« empire américain ». Ainsi, au lendemain de l’entrée des Khmers rouges dans la capitale cambodgienne le 17 avril 1975, quelques mois seulement avant l’envol des Vikings et le génocide que l’on sait, cet antiaméricanisme inspire les fameux titres « Phnom-Penh libéré » au Monde et « Le drapeau de la Résistance flotte sur Phnom Penh » à Libération (voir note 3 de la chronique n° 224, Les vivants et la mort – Les bonnes et moins bonnes idées de M. Ziegler, 20.08.2012). Aimé Michel prend le contre-pied de cette opinion dont il dénonce l’aveuglement et le sectarisme. Il fonde sa critique sur des arguments qui n’ont pas été démentis (voir entre autres la chronique de la semaine dernière, n° 272, America, America – Toutes les sociétés s’américanisent, et quand elles ne le peuvent pas, s’enlisent), ce qui n’implique nullement de sa part une approbation monolithique des « extravagances » américaines que l’on se plaît souvent à monter en épingle de ce côté de l’Atlantique. La seconde perspective porte sur la signification philosophique de l’exploration de Mars. Aimé Michel regrette « l’indifférence générale » des journaux de l’époque alors que « c’est l’avenir spirituel de l’humanité qui se joue là-bas, dans un désert de pierraille et de sable rougeâtre, à 350 millions de kilomètres de notre planète » car « [l]e petit laboratoire de Viking, gros comme une valise (..) va peut-être nous dire que la pensée, jusqu’ici réputée privilège de l’homme, est en réalité aussi banale dans l’univers qu’un grain de sable dans le Sahara. » Cette lancinante question l’a beaucoup préoccupé. Il a été parmi les tout premiers à la prendre vraiment au sérieux et à comprendre l’ampleur de ses multiples et surprenantes implications. Même si la réponse précise à lui apporter échappe encore à nos moyens d’investigation, la question fait depuis lentement son chemin (voir par exemple la chronique n° 265, Vous y croyez, vous, aux extraterrestres ? − Un formidable problème : la pensée non humaine dans le vaste univers des étoiles, 9.11.2015). Mais qu’elle soit seule, rare ou banale, l’humanité devra, tôt ou tard, affronter les conséquences de cette solitude ou de cette banalité sur l’idée qu’elle se fait d’elle-même et de sa place dans l’univers.
  2. Ce fut une grande déception du programme Viking de ne pouvoir conclure à la présence d’une vie sur Mars. On ne sait toujours pas si Mars a abrité jadis ou abrite encore aujourd’hui des organismes vivants. La présence de plantes et d’animaux paraît impossible tant le milieu martien est hostile mais on ne peut exclure celle d’organismes plus simples comme des bactéries, notamment dans le sous-sol. On trouvera quelques indications sur l’état en constante évolution des connaissances à ce sujet dans la note 1 de la chronique n° 254 et, pour d’autres sites que Mars dans le système solaire, dans la note 3 de la chronique n° 256.
  3. L’expérience historique effectuée par Stanley Miller en 1953 représente un tournant dans l’étude expérimentale des origines de la vie. Miller est alors étudiant à l’Université de Chicago sous la direction de Harold C. Urey qui a obtenu le prix Nobel de chimie en 1934. Urey s’intéresse à la composition chimique de l’atmosphère de la Terre primitive. Il soutient la thèse du biochimiste soviétique Alexandre Oparine qui pense, à la suite des travaux des Français Berthelot, Gaudechon et Becquerel, que cette atmosphère ne contenait ni azote, ni oxygène, ni gaz carbonique mais un mélange de méthane, d’ammoniac, d’hydrogène et de vapeur d’eau. L’idée de Miler est fort simple dans son principe : remplir un ballon d’un mélange de ces gaz, le soumettre à des décharges électriques de 60 kV simulant des orages et voir ce qui se passe. Mais elle est risquée car des milliers de molécules différentes peuvent se former dans ces conditions et l’analyse de ce mélange a de quoi décourager le chimiste le plus téméraire ! Miller en est si conscient qu’il mène son expérience en cachette. Il fait circuler les gaz dans son appareil en portant de l’eau à ébullition puis en les condensant par réfrigération. Après une semaine il examine les composés produits et constate qu’il a synthétisé de nombreux composés organiques dont des acides aminés. Là est la grande découverte de Miller et la raison pour laquelle son article publié dans Science en 1953 le rend célèbre : on aurait pu s’attendre à obtenir un grand nombre de molécules ne jouant aucun rôle dans la vie, or ce qu’on obtient de fait ce sont des molécules biologiques essentielles, celles qui servent à construire les protéines ! Cependant les idées scientifiques ont bien évolué depuis 1953. Même si on continue d’honorer le nom de Stanley Miller (1930-2007), on doute aujourd’hui que l’atmosphère primitive de la Terre ait eu la composition qu’il a choisie. Les géochimistes pensent que le dioxyde de carbone y dominait comme dans les atmosphères de Mars et Vénus aujourd’hui. Or, quand on remplace progressivement le méthane par du CO2 dans l’expérience de Miller, les acides aminés se forment de moins en moins. Une autre explication de leur origine a donc été proposée : ils proviendraient de l’espace. Non seulement on a trouvé des molécules organiques dans les comètes et les météorites carbonées, comme la météorite de Murchison qui renferme plus de 70 acides aminés différents, mais on a même pu synthétiser ces molécules en recréant en laboratoire les conditions du milieu spatial. Néanmoins, d’autres chercheurs font valoir que les sources hydrothermales de la Terre primitive émettaient de l’hydrogène et que celui-ci ne s’échappait pas aussi rapidement de l’atmosphère qu’on le pensait, ce qui favorisait l’apparition des acides aminés. L’origine de la « soupe primitive » d’où est née la vie terrestre reste donc matière à débat.
  4. L’idée que la vie puisse se développer en dehors de la chimie du carbone, en se fondant par exemple sur le silicium comme on le voit souvent répété, est bien difficile à soutenir. En réalité, il n’existe pas de substitut au carbone. En effet, les composés du carbone C, de l’hydrogène H, de l’azote N et de l’oxygène O possèdent des propriétés uniques. Leur nombre est très grand et résulte en partie du fait que les liaisons covalentes permettant un chaînage, telles que C-C et C-N sont stables dans les conditions ordinaires. Or, ce n’est pas le cas du silicium Si : on connaît très peu de composés pour lesquels les atomes de Si sont liés par une liaison covalente et ces composés sont relativement peu importants, de plus la liaison Si-Si est instable en présence d’eau et d’oxygène. Dans les composés du silicium les atomes Si sont habituellement liés par des atomes d’oxygène et forment des chaînes (à une dimension), des couches (à 2 dimensions) et des solides (à 3 dimensions). À la température à laquelle le dioxyde de carbone CO2 est un gaz, SiO2 est un cristal, dont la forme la plus commune est le quartz. Contrairement au silicium, les affinités du carbone pour lui-même (82,6 kcal/mole), l’hydrogène (98,7), l’oxygène (85,5) et l’azote (72,8) ne sont pas très différentes, ce qui explique le nombre des composés organiques, leur stabilité et leur interconversion facile : les réactions ont lieu avec un faible apport ou libération d’énergie. De telles réactions, commente le biochimiste Lawrence J. Henderson dans son livre classique The fitness of the environment (1913, réédition Peter Smith, Gloucester, Mass., 1970), « se déroulent en douceur, lentement, et sans complication jusqu’à un état d’équilibre dans lequel la réaction est très incomplète (…) de légers changements des conditions rendent possible un renversement de ce processus délicatement équilibré ; on peut faire en sorte que la réaction se produise à volonté dans n’importe laquelle des deux directions. » (p. 236). C’est la condition du métabolisme. Cependant, cette métastabilité n’existe que dans une gamme limitée de température, entre environ -20° et 120 °C. En dessous de -20 °C les réactions deviennent trop lentes et au-dessus de 120 °C la plupart des composés deviennent instables. Ce sont là les conditions de milieu dont on pense qu’elles sont nécessaires à l’apparition de la vie, du moins telle que nous la connaissons ; elles justifient l’importance donnée à la recherche de l’eau liquide sur Mars et ailleurs.
  5. La présence d’eau sur Mars, dont nous avons déjà parlé (en note 5 de la chronique n° 253 citée plus haut) est plus que jamais un sujet d’actualité. Le 28 septembre dernier la NASA annonçait à grand renfort de publicité la publication dans la revue Nature Geoscience (http://ofgs.aori.u-tokyo.ac.jp/ okino/ofgd15/Ojha%20et%20al._Nature%20Geoscience_2015.pdf) d’une découverte qu’elle jugeait importante mais qui paraît un peu surfaite : la présence d’eau à la surface de la planète. En réalité, il ne s’agit pas d’un écoulement d’eau, car l’eau ne peut demeurer à l’état liquide à la surface de Mars en raison de sa faible pression atmosphérique, mais de l’apparition de zébrures sur les flancs de cratères martiens au voisinage de l’Équateur (dont le cratère Hale) dues à la présence d’eau. Ces stries noires, appelées « lineae récurrentes de pentes », se forment en quelques semaines durant l’été martien, quand la température grimpe à quelques degrés au-dessus de zéro, puis disparaissent. Elles sont connues depuis trois ans. On se demandait s’il s’agissait d’un écoulement de grains de sable ou d’eau. Les données recueillies par la sonde Mars Reconnaissance Orbiter ont fait pencher la balance vers cette dernière hypothèse et conduisent à imaginer du sable chargé de sels qui s’humidifie peu à peu. Un autre article publié dans Science au début de l’année 2015 a montré qu’un vaste océan de 140 mètres de profondeur a recouvert les plaines du Nord, soit 19 % de la surface de Mars, il y a 4,5 milliards d’années (c’est l’équivalent en proportion de l’Océan Atlantique). Cette conclusion repose sur la mesure de deux isotopes de l’eau : l’eau ordinaire H2O et l’eau semi-lourde HDO, où D est l’atome de deutérium, isotope de l’hydrogène dont le noyau possède un proton et un neutron. HDO étant plus lourde s’évapore moins que H2O si bien que la tendance de l’eau à s’échapper de la planète peut se mesurer par le rapport HDO/H2O. Les auteurs de l’article ont trouvé que Mars avait perdu un volume d’eau 7 fois plus grand que celui rassemblé dans les calottes polaires. La dernière annonce de la NASA date du 5 novembre lors de la publication, dans Science encore, d’une série de quatre articles concernant non pas l’eau mais l’atmosphère. Comment se fait-il que l’atmosphère de Mars soit si ténue, avec une pression de seulement 9 millibars au lieu de 1013 sur Terre ? La question se pose car il n’en a pas toujours été ainsi : au début de son histoire, l’atmosphère était plus dense. Si elle a progressivement disparu c’est, explique l’un de ces articles, en raison du vent solaire. Ce flux de particules électrisées émises par le Soleil est dévié par le champ magnétique de la Terre mais pas sur Mars qui n’est pas protégé par un champ magnétique. Les particules du vent solaire animées d’une grande vitesse (400 km/s) arrachent les électrons des atomes de l’atmosphère martienne ; les atomes ionisés sont alors entraînés par les champs magnétiques créés par le vent solaire et vont se perdre dans l’espace. Ils y produisent des phénomènes lumineux semblables aux aurores boréales qui ont pu être observées par une sonde appelée Maven (acronyme de Mars Atmosphere and Volatile Evolution) en orbite autour de Mars. Les calculs indiquent qu’au rythme actuel Mars aura complètement perdu sont atmosphère d’ici 3,5 milliards d’années.
  6. Depuis les premières lunettes (Galilée, 1610) et le premier télescope (Herschel, 1777), la planète Mars n’a cessé d’être scrutée et de fasciner (en français on appelle lunette un instrument composé de lentilles et télescope un instrument comportant un miroir concave ; en anglais les deux types d’instruments, réfracteur et réflecteur, sont appelés télescopes, si bien que cet usage ou cette confusion tendent à se répandre aussi en français). Ces recherches, les débats auxquels elles ont donné lieu et leurs répercussions dans le public forment un chapitre fort intéressant de l’histoire des sciences. L’astronome Pierre Guérin, ami d’Aimé Michel, dans le chapitre consacré à Mars de son ouvrage Planètes et satellites (collection in-quarto, Larousse, Paris, 1971), distingue trois grandes périodes dans l’étude de Mars ; je suivrai son découpage mais distinguerai la quatrième (astronautique) de la troisième (astrophysique) bien qu’en réalité elles se chevauchent. La première période (1659-1876) commence avec Huygens auteur du premier dessin de Mars sur lequel on distingue la surface de l’astre. Un peu plus tard, Cassini montre que la planète tourne sur elle-même en un peu plus de 24 heures et découvre des taches blanches aux pôles. Herschel, un siècle plus tard observe que ces taches diminuent au printemps martien, disparaissent en été et se reforment en hiver : on comprend qu’il s’agit de calottes polaires. Les premières cartes de la surface martienne sont établies à partir de 1830 ; on appelle les régions claires des continents et les régions sombres des océans. Guérin note que vers les années 1870, la planète Mars « avec ses continents ocrés, ses océans, ses calottes polaires et son atmosphère, apparaît aux astronomes comme une réplique en petit de la Terre » et l’existence de la vie y semble probable. Mais certains objectent que, s’il y avait des étendues d’eau liquide, elles devraient réfléchir l’image du Soleil comme un miroir, ce qui n’est pas le cas. De plus, Camille Flammarion montre en 1876 que les bords des zones foncées changent beaucoup par endroit ; l’idée qu’il s’agisse d’océans est alors abandonnée. La deuxième période (1877-1909) est celle des célèbres canaux. Dès 1864 on avait remarqué de longs bras minces joignants les « mers » à travers les « continents » que l’astronome jésuite Angelo Secchi avait nommés « canali » (bras de mer) que l’on traduisit improprement en français par « canaux » (comme plusieurs des autres astronomes cités ici, Secchi donnera son nom à un cratère de Mars). Lors du rapprochement de Mars en 1877, le Milanais Giovanni Schiaparelli confirme la réalité des canaux. Sa carte de Mars les montre ; la nomenclature qu’il introduit et qui substitue des noms latins aux anciennes dénominations est toujours utilisée de nos jours. Le public se passionne pour les canaux. L’Américain Percival Lowell, enthousiasmé par la lecture de Flammarion, investit sa fortune dans la construction d’un observatoire en 1894. Il complète l’idée émise par les Français Emile Liais et Léopold Trouvelot (1878) selon laquelle les océans seraient des zones couvertes par une végétation, en imaginant que les canaux sont des bandes de végétation construites par des ingénieurs martiens pour irriguer la planète avec l’eau de fusion des calottes polaires. Pourtant d’autres astronomes, avec des lunettes plus puissantes que Lowell, s’obstinent à ne pas voir les canaux. En 1909, Eugène Antoniadi à Meudon, puis Edward Barnard à Yerkes et George Hale au Mont-Wilson, montrent que les canaux linéaires sont des illusions dues à l’emploi d’instruments trop petits : les images dégradées par la turbulence atmosphérique sont en outre peu lumineuses ce qui provoque une fatigue rapide de l’œil. Malgré tout, Camille Flammarion, ferme partisan d’une vie partout présente sur toutes les planètes du système solaire et dans tout l’univers, restera persuadé jusqu’à sa mort en 1925 de l’existence de Martiens. Au début de la troisième période (1909-1964), Antoniadi met en évidence des nuées blanches se déplaçant à une vitesse de quelques mètres par seconde à plusieurs kilomètres d’altitude et des voiles jaunes qu’il interprète comme des particules soulevées par des vents. Puis les astrophysiciens commencent à entrer en scène. Gérard de Vaucouleurs observe la vague printanière d’assombrissement ; il en déduit qu’elle se propage, non en surface mais par voie atmosphérique, et qu’elle serait due à l’humidité produite par la fonte des neiges polaires. Antoniadi et d’autres pensent malgré tout que l’assombrissement lui-même est dû à une végétation. Mais les premières mesures de la température de Mars, à partir de 1922, font douter de cette hypothèse car elles sont très froides : −50 à −80 °C à la fin de la nuit et 0 à 25 °C à midi. Ces grands écarts de température confirment que l’atmosphère est très peu dense. Puis, en 1933, les premières mesures spectrographiques de la composition de l’atmosphère montrent la presque absence d’oxygène libre et d’eau. Les astrophysiciens rejettent alors l’hypothèse d’une végétation martienne mais sans convaincre les observateurs comme Antoniadi. À partir de 1940, les données se précisent avec la découverte de gaz carbonique dans l’atmosphère (Kuiper, 1947) et l’identification de givre aqueux dans les calottes polaires (Kuiper, Dollfus). La pression atmosphérique est estimée d’abord à 80 hPa (hectopascals ou millibars, Dolfuss, 1955) puis 25 ± 15 (Kuiper, 1964) contre 1000 hPa sur Terre. La quatrième période commence en 1964 avec le lancement de la sonde Mariner IV : c’est celle de l’exploration de proximité avec la série des Mariner IV à IX (1964-1971) évoquée dans la note 1 de la chronique n° 88, Quand deux plus deux font trois – Possible et impossible (18.10.2011), puis in situ avec les Vikings et les autres tentatives d’atterrissage sur Mars dont 7 seulement sur 16 furent des succès, tous américains jusqu’à présent, résumées dans la note 2 de la chronique n° 254* déjà citée. Grâce à ces sondes en orbite (dont trois américaines, Mars Odyssey, Mars Reconnaissance Orbiter et Maven, une européenne, Mars express, et une indienne, Mangalayaan, sont actuellement en activité) ou au sol (dont deux, MER-B Opportunity et MSL Curiosity, sont en activité), on connait bien maintenant la composition de l’atmosphère (95 % de CO2, 3 % de N2 et 1,6 % d’argon), sa pression (entre 0,30 et 11,55 hPa selon l’altitude du lieu, 6 hPa en moyenne), sa température moyenne (−63 °C), l’altitude des terrains (http://planetary-science.org/mars-research/mars-cartography/), leur géologie (http://pubs.usgs.gov/sim/3292/pdf/sim3292_map.pdf), etc. Ces travaux, longs et minutieux, sont indispensables pour préparer la suite de l’exploration, dont la cinquième période, celle de l’homme sur Mars. Mais nul ne sait exactement quand cette période commencera. Au moins peut-on y rêver un peu grâce au film au lyrisme contenu de Ridley Scott, Seul sur Mars, hymne poétique et souvent émouvant au courage et à la solidarité des hommes. Bien sûr on pourra regretter ses invraisemblances sur la nature du sol (impropre à la culture) et de l’atmosphère. Celle-ci est si ténue (170 fois plus que sur Terre) que jamais les tempêtes ne pourront y avoir la violence de celle qui ouvre le film et que les fragiles barrières de ruban adhésif et de plastique posées par l’astronaute Mark Watney (Matt Damon) pour retenir l’air de son scaphandre ou de son module d’habitation seront immédiatement soufflées. La vie sur Mars sera donc différente de ce que montre ce film, moins dangereuse pour ses tempêtes mais plus difficile en ce qui concerne le sol et les différences de pression.
  7. Une hamada (ou hammada) est un plateau rocheux surélevé couvert de graviers et de roche nue mêlés à un peu de sable. En effet, les particules les plus fines une fois enlevées par le vent et les grains de sable par saltation, il n’y reste que les graviers et les roches. Les hamadas sont apparentées aux regs des plaines et des dépressions ; elles s’opposent aux ergs qui sont des dunes de sable.