Père Jérôme, un moine au croisement des temps - France Catholique
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Van Eyck, l'art de la dévotion. Renouveau de la foi au XVe siècle
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Père Jérôme, un moine au croisement des temps

Livre d'Anne Bernet

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Qu’aurait pensé de ce livre Robert Masson, grand chercheur de hautes figures de foi, et qui avait reconnu de longue date en Père Jérôme, moine de l’abbaye de Sept-Fons, un des plus grands maîtres spirituels du XXe siècle, dont France Catholique a d’ailleurs parlé à plusieurs reprises ? Anne Bernet a, en tout cas, réussit une de ces biographies dont elle a le talent (on se souvient de sa vie d’un autre Jérôme : le professeur Lejeune), avec du style et du sentiment mais aussi de la précision et de la pédagogie.

Il faut dire que l’existence aventureuse du père du futur moine permet une introduction pour le moins haletante. Ernest Kiefer, ingénieur à la direction des travaux de Lausanne, ne rêvait qu’aventures lointaines et se mit au service des chemins de fer tonkinois puis chinois, fit venir sa famille, en Turquie où il fut prospecteur minier, puis en Égypte où il travailla pour des sucreries… Jean Kiefer (futur Père Jérôme) est né à Rhodes en 1907. Il avait une grande sœur de 8 ans son aînée, et leur mère mourut en 1912, à 36 ans, en mettant au monde une deuxième petite fille. Un peu plus tard, Ernest, rentré à Lausanne, se remariait avec une jeune femme dont il eut, en 1917, un nouveau fils. Mais cette femme devait s’éteindre, de la tuberculose, dès 1922, et Ernest lui-même trépassait en 1923 d’une insuffisance cardiaque, laissant 4 orphelins à leur grand-mère qui ne devait pas survivre longtemps ! Ce n’est pas du Hector Malot, car les enfants auront toujours une relative sécurité matérielle assurée par leur cousin et tuteur, un riche chirurgien de Lausanne, mais du point de vue affectif, les « petits Kiefer » furent pour le moins bousculés.

La vie de Jean Kiefer fut toute différente de celle de son père. Après les mornes années de pension à Fribourg (ville qu’il a pourtant aimée jusqu’à son dernier souffle), il a vite trouvé une voie professionnelle en devenant ingénieur agricole puis, aussitôt diplômé, en devant moine cistercien à la Trappe de Sept-Fons dans le Bourbonnais… Il y entre en 1928, du temps du fameux Dom Chautard, et y meurt en 1985. Il y a été professeur de philosophie mais s’est retrouvé plus longtemps encore responsable du fruitier (vergers et stockage ou mise en bocaux des fruits). Il a été secrétaire de l’abbaye et on lui doit la reconstruction de l’église abbatiale dans le style dépouillé des années 50. Mais les orientations nouvelles prises par ses confrères dans les années 60 et 70 ne lui agréent pas beaucoup. Il se tait, ne confiant ses déceptions qu’à de rares intimes et à des écrits qui ne seront publiés qu’après sa mort, se laissant peu à peu marginaliser tout en gardant le respect de tous par son assiduité hors norme à l’adoration et à l’oraison.
Au début des années 70, l’abbé, Dom Dominique (1969-1980), lui confie cependant quelques novices pour les aider dans leur formation en philosophie et en théologie, et ce sont ces novices qui feront, plus tard, repartir la communauté d’un bon pied et vers de nouvelles fondations.

Après avoir disséqué les mécomptes du Père Jérôme et fait admirer sa grande patience, le dernier tiers du livre est consacré à cette rencontre providentielle avec ses deux principaux disciples. C’est l’occasion de citer de manière particulièrement bien appropriée quelques magnifiques lettres et extraits de textes de Père Jérôme et de donner envie de les lire dans leurs si remarquables éditions (éditions Ad Solem).

Ce qu’il y a d’extraordinaire aussi dans cette biographie de ce religieux suisse, c’est la précision que donne l’utilisation judicieuse d’un ensemble d’écrits, même anodins, pieusement conservés (demande de rendez-vous au Père et sa réponse…). On n’utilisait pas beaucoup le téléphone et Internet n’existait pas ! L’auteur a pu également recueillir des témoignages oraux de membres de la famille et de dirigés du Père, qui donnent une foison de détails, par exemple sur la maladie et l’agonie de Père Jérôme, qui est un véritable morceau d’anthologie. C’est un livre qui fera beaucoup de bien, on ne peut pas en douter.

En librairie le 8 janvier 2015. Aux éditions du Cerf, 612 pages, 29 euros.