« Missionnaires au moment crucial » - France Catholique
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« Missionnaires au moment crucial »

En Normandie, la Confrérie des frères de Charité est engagée depuis des siècles dans l’organisation des obsèques catholiques. Rencontre avec Dominique Letorey, Grand Maître depuis 25 ans du diocèse de Bayeux-Lisieux.

Confrérie de Charité en Normandie

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Les confréries apportent des réponses grâce au soin apporté à la beauté du rituel catholique.

Les confréries apportent des réponses grâce au soin apporté à la beauté du rituel catholique.

© Jean-Pierre Cordier

Vous n’êtes pas un groupe folklorique normand ! À quoi sert la Confrérie de charité ?

Dominique Letorey : Les frères – et sœurs depuis quelques années – de Charité ont pour mission d’organiser les enterrements catholiques dans les villages. La plupart ont désormais lieu sans prêtres, hélas. Nous sommes donc chargés de l’animation de la célébration, au nom de la paroisse, et en lien avec la famille. Nous sommes très sollicités : jusqu’à cinq obsèques par semaine dans un village, l’automne ou l’hiver.

Gardez-vous un lien avec les familles ensuite ?

Nous avons aussi un rôle de présence et de réconfort auprès d’elles, très demandeuses de cela. Nous leur rendons visite, de temps à autre, pour voir où elles en sont moralement. C’est une mission de plus en plus importante pour nous, car notre engagement s’enracine dans le commandement du Christ : « Aimez-vous les uns les autres. » Nous sommes témoins de cet amour à l’instant le plus dramatique de la vie.

Priez-vous pour les défunts ?

Nous prions une dizaine de chapelet chaque jour pour les défunts que nous avons enterrés, et pour tous les défunts, pour que Dieu les accueille. Et particulièrement en ce moment, a demandé notre évêque…

Avez-vous d’autres engagements dans les villages ?

Nous sommes responsables de la conservation du patrimoine religieux : église, calvaire, Vierge, statues, etc. Et également chargés de préserver l’identité et la tradition du village. Autrefois, c’était les municipalités qui s’en occupaient. Mais comme elles disparaissent pour être regroupées en communautés de communes, c’est la confrérie du village qui en est garante désormais. Nous avons pour cela acquis le droit de nous instituer en association loi 1901, afin de bénéficier des aides publiques pour l’entretien du patrimoine. Enfin, nous aidons les familles en difficulté à remplir leurs papiers et percevoir des aides. Nous pouvons également apporter du soutien dans les conflits familiaux.

Y a-t-il un renouveau de la Confrérie ?

Actuellement, j’ai beaucoup de demandes, de jeunes et de cinquantenaires en particulier. Nous assistons à un réveil de foi très fort : les gens nous contactent pour entrer dans la Confrérie, après nous avoir rencontrés à des obsèques.
Ce sont souvent des néo-ruraux, qui arrivent dans les villages et sont très marqués par le rituel et la solennité de l’événement. Cela leur rappelle la foi de leur enfance, qu’ils essaient de retrouver, sans savoir où chercher.

La société de consommation ne les comble plus, ils tournent en rond. Ils découvrent, dans les enterrements, par notre présence et par la force et la beauté du rituel catholique, qu’ils peuvent y trouver des réponses. Les confréries représentent un repère dans notre société qui n’en a plus. Autrefois, les gens y entraient pour prendre un engagement chrétien de tradition : on était frère de père en fils. Aujourd’hui, ils cherchent à entrer dans un groupe pour trouver un sens à leur vie, et un contenu fort. Quand vous devenez frère, vous devenez utile.

Par votre mission funéraire, êtes-vous des missionnaires  ?

Plus que jamais. Et de plus en plus avec la crise actuelle. Je crois en effet qu’au-delà de la crise sanitaire, il y a une crise morale… C’est le matérialisme de notre société de consommation qui a contribué à éclipser la foi. Or j’ai le sentiment que cette épidémie va peut-être rééquilibrer les choses entre l’esprit – Dieu – et la matière – notre société de consommation, qui est devenue une invasion, presque une incarcération. Bien sûr, c’est terrible de voir le nombre de personnes qui décèdent… Mais ces morts vont peut-être permettre une prise de conscience : faire réfléchir beaucoup sur le sens de la vie.

L’esprit des frères de Charité va dans ce sens : beaucoup d’entre nous viennent du monde agricole et portent une certaine sagesse de la terre. Leur témoignage peut permettre à certaines valeurs de refaire surface.