Oui ou non, la science est-elle vraie ? Est-ce à la science que nous devons demander la vérité ? Ou bien devons-nous chercher cette vérité ailleurs ?
Ceux qui suivent cette chronique se rappellent peut-être (a) [1] que, me fondant sur l’analyse de Popper (elle-même admise à ma connaissance par tous les savants qui en ont parlé), j’avais répondu par la négative à la première question : non, ce n’est pas la vérité que la science nous dispense, mais une plus ou moins grande certitude sur des questions précises. Ce que nous donne la science, c’est, et ce ne peut être que, la probabilité chiffrée que, compte tenu de telles circonstances, il se passera telle chose. Par exemple, compte tenu de la position des planètes, à un instant, il y a une probabilité de tant pour qu’à telle date la Terre se trouve dans l’espace à tel endroit. Dans ce cas, on sait que la probabilité peut être chiffrée très haut, et la date, ainsi que le lieu prédit avec une très grande précision [2].
La nature, un donné bien clos ?
Supposons que la prévision avancée soit rigoureusement vérifiée : cela signifie-t-il que la théorie sur laquelle se fondait la prévision se trouve par là même démontrée ?
Avant de répondre, réfléchissons bien. Le problème est de conséquence. C’est parce que, semble-t-il, ils croient que c’est là l’enseignement des sciences de la matière que tant de théologiens, à l’heure actuelle, ressuscitent dans leur domaine (auquel je ne veux pas toucher) un certain type de rationalisme que l’on croyait typique, non de la réflexion contemporaine, mais de celle du XIXe siècle. Pour R. Bultmann, par exemple (d’après le P. Xavier Léon-Dufour (b), la « nature » serait « un donné bien clos que la science étudie, le divin [n’aurait] rien à voir avec l’histoire de ce bas-monde », opinion que le P. X. Léon-Dufour commente en ces termes : « Il ne s’agit donc plus d’examiner le rapport du théologique avec les sciences de la nature, il faut désormais “démythologiser” tout langage qui représente en termes humains la réalité divine. » [3]
Je n’ai pas lu Bultmann et ne le lirai pas, n’ayant pas envie de m’aventurer à raisonner hors de ce qui m’est suffisamment connu. D’autre part, j’espère comprendre ce qu’en dit le P. X. Léon-Dufour. Je suppose que c’est à peu près ceci : la science nous enseigne que l’univers où se déroule notre destinée obéit à des lois strictes, déterminant un cadre qui est celui des limites du possible ; par l’effet contraignant des lois physiques, c’est seulement à l’intérieur de ce cadre que peut s’appréhender la réalité divine : tout divin allégué hors du cadre de ces lois relève donc obligatoirement du mythe et doit être réinterprété dans les servitudes du cadre, servitudes imposées par la science. Je ne sais si c’est bien cela que pense Bultmann et si j’ai bien compris. Pour être sûr de ne pas polémiquer à tort, c’est en tout cas à cette interprétation que je répondrai [4].
Comme on le voit, cette interprétation suppose l’existence d’une « nature close, que la science étudie ». Il existerait des vérités scientifiques générales excluant d’avance tout ce qui les contredirait. Un de nos lecteurs, M. L. de M., exprime fort bien cela dans une lettre que lui inspire ma chronique du 7 avril, évoquée ci-dessus [5].
« Il y a, dit-il, un malentendu qu’il faut absolument lever. Ce malentendu est si grave que des savants comme Poincaré et Einstein en ont souffert... et l’ont perpétué. Que veut-on dire (c’est de moi qu’il s’agit) en affirmant que la science ne prétend plus dispenser la vérité ? Ou que la théorie de Newton a été réfutée et que celle d’Einstein le sera ? Prises à la lettre, ces affirmations sont notoirement fausses. En effet, la présence des lois physiques au sein des phénomènes est constatée à titre de causes formelles ; cette constatation est faite une fois pour toutes par l’expérience : ce qu’on appelle le caractère approximatif des lois physiques est l’imperfection inhérente au rôle de cause formelle (imperfection du plan de l’architecte comme représentation du bâtiment, et des bâtiments comme réalisation du plan).
« Ces lois sont vraies comme il est vrai que Napoléon II a existé, que le foie fabrique du sucre et que Notre-Seigneur Jésus-Christ a ressuscité un aveugle-né dans telles circonstances relatées par tel évangéliste. C’est la vérité sur la question dont on parle ; si l’on n’est pas satisfait, il faut changer de questions.
« Il est vrai que les lois physiques sont reliées entre elles, dans le monde des formes, par d’autres formes qui ne sont pas nécessairement présentes dans le monde des phénomènes et qu’on appelle généralement hypothèses ou théories. Mais si c’est de cela qu’on veut parler il faut le dire bien clairement. Ainsi en est-il des principes de Carnot en tant qu’ils disent que telle forme différentielle est une différentielle totale exacte ; ainsi en est-il de la théorie du potentiel newtonien et de ses conséquences concernant le laplacien dudit potentiel. Ces hypothèses ou théories peuvent donc ne pas être vraies au sens où les lois scientifiques le sont. En outre, elles font abstraction de la nature de la cause matérielle, en sorte qu’on peut les appliquer à tort et en tirer des conséquences fausses.
« Tel est le paradoxe de la physique mathématique : les lois scientifiques sont présentes dans la nature, mais elles ont entre elles des liens qui ne sont pas dans la nature. Il serait imprudent de prétendre que ce paradoxe ne sera jamais levé, et plus imprudent encore, à mon sens, de prétendre qu’il est déjà levé, ou le sera, par le calcul des probabilités. »
J’aurais certes préféré que ce très compétent lecteur exprime avec plus de netteté où il situe les confins de la loi et de la théorie scientifiques, de façon à éviter ici une laborieuse discussion technique. Les équations de Maxwell, par exemple, expriment-elles une théorie ou une loi ? Quoi qu’il en soit, et comme il invoque la physique mathématique, c’est à un physicien mathématicien bien connu, H. Bondi, professeur au King’s College de l’Université de Londres, que j’emprunterai l’exposé du point de vue opposé (c). Dans le livre d’où ce texte est tiré, Bondi ne distingue pas les lois de la théorie : ce qu’il dit des théories scientifiques, le contexte montre qu’il l’entend des lois.
« L’objet d’une théorie, écrit-il, est d’abord d’embrasser ce qui est déjà connu. Mais au-delà, une exigence essentielle, pour toute théorie, est qu’elle prenne des risques, qu’elle fasse des prévisions testables par l’expérience et l’observation. Or (poursuit le physicien), ce qu’a démontré Popper, c’est que si un fait vient à contredire la théorie, celle-ci est réfutée, alors qu’en aucun cas nous ne pouvons dire que, quand un fait vérifie la théorie, il l’a le moins du monde démontrée... Quand la théorie a réussi une épreuve, elle doit prendre le risque d’en affronter une autre, puis encore une autre. Il n’y a pas l’ombre d’une preuve dans ce tableau, que je considère comme une exacte description de la démarche scientifique... Si une théorie a passé (victorieusement) force épreuves, alors nous savons qu’il existe une région de la connaissance empirique convenablement décrite par la théorie... Quand un archi […] ciens [6], que la terre est plate, hypothèse réfutée depuis longtemps, mais toujours utilisable en toute surface limitée de la terre. La différence entre le temps où l’on croyait la terre plate et maintenant que cette théorie est réfutée, c’est que, jadis, on ne se contentait pas de dire : voilà une bonne théorie pour construire une maison ; on disait : « la terre est plate, c’est la vérité. » [7]
Et voici la conclusion de Bondi :
« Je sais qu’il y a des discussions (que je n’ai jamais bien comprises ni suivies) pour savoir si le mot “vérité” a une signification scientifique quelconque. J’incline personnellement à penser que la science n’a rien à voir avec la vérité » (c’est moi qui souligne).
Le monde de l’incertitude
J’ai retrouvé la même opinion chez tous les physiciens connus de moi qui ont abordé ce problème : Ted Bastin (Cambridge), Jouch, Wigner et le Japonais Yanase (dans un article de Nuovo Cimento, 1967, vol. 48, p. 144), Garstens (Université du Maryland), von Weizsäcker (lors d’un congrès de physique à Cambridge), etc. [8]
Il apparaît donc bien qu’aux yeux des physiciens actuels, on ne sait pas où s’arrête la nature. On ne peut lui assigner aucun cadre, aucune limite. Elle n’est en aucune façon le « donné bien clos » postulé par certains théologiens qui, pour jouer à la « démythologisation », se réfèrent à une science inconnue des savants, et plus précisément à une physique réfutée depuis cinquante ans par les physiciens. Il y a certes des mythes à exécuter. Mais ce n’est pas forcément ceux qu’on croit.
Aimé MICHEL
(a) France Catholique, n° 1321, 7 avril 1972, p. 7.
(b) X. Léon-Dufour : Résurrection de Jésus et Message pascal (Le Seuil, 1971), pp. 15-16.
(c) H. Bondi : Assumption and myth in Physical theory (Cambridge University Press, 1967, début du chap I).
(*) Chronique n° 93 parue dans F.C. – N° 1328 – 26 mai 1972. Reproduite dans La clarté au cœur du labyrinthe, chap. 19 « Possible et impossible – Contre le bon sens », pp. 489-492.
Notes de Jean-Pierre ROSPARS (et Bertrand MÉHEUST)
Messages
16 janvier 2012, 17:46, par Ajax
diable, diable... je me suis arrêté après le premier paragraphe. Il faut relire Popper, mon cher : la certitude, il le dit explicitement, ne l’intéresse nullement, et n’est pas l’objet de la science... non plus, en fait, que la probabilité. Sa mesure est la "vérisimilitude" (ça peut se traduire autrement, j’imagine), chose qui a bel et bien un rapport avec la vérité... Je crains que vous ne l’ayiez pris à contre sens.
16 janvier 2012, 22:27, par podhivana
Aie, aie, aie ! ce que les mouches doivent souffrir !!!
19 janvier 2012, 18:28, par Jean Vladimir Térémetz
Bonjour
D’abord et avant tout et une bonne fois pour toutes, savoir enfin ce qu’est réellement, concrètement l’univers et comment il fonctionne :
Ne soupçonnant pas la simplicité fondamentale de l’univers, trompés par son effarante complexité de surface, des scientifiques, il y a plus d’un siècle, se sont réfugiés en ces mathématiques qui déjà permettaient de le contrer, de le circonvenir et de le manipuler le moins péniblement possible, pensant grâce à elles pouvoir le démasquer.
Malheureusement, ces séduisants outils, abstraits, ont rendus complètement aveugles ceux qui les prenaient pour outils de Recherche, les empêchant de comprendre, de “voir”, ce qu’était physiquement, réellement, concrètement, simplement l’univers.
Page 65 de l’ouvrage ci-dessous, le chapitre “Ce qu’est la lumière” expose la succession d’erreurs qui ont égarés et amenés ces scientifiques à inventer une physique “mathématique”, puis une physique “relativiste” et enfin une physique “quantique”, après avoir abandonné la Physique tout simplement “physique”, naturellement, simplement et entièrement explicative :
www.liberes-des-mathematiques-savoir-enfin-ce-qu-est-l-univers.net
Bien cordialement Jean Vladimir Térémetz
Sites animés par le Logique, le Juste, le Bon : http://jean.teremetz.free.fr
19 janvier 2012, 20:32, par Jérôme
Bonjour,
Pour comprendre jusqu’où la science moderne peut s’égarer en se drapant d’idéologies ou d’hypothèses et autres idées qui éloignent de la vérité, voici un documentaire qui traite de la question de la théorie de l’évolution :
http://noevolution.org/
Fraternellement dans le Christ !
Jérôme