Le malentendu islamo-chrétien - France Catholique
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Le malentendu islamo-chrétien

Fort de ses intéressantes études sur les origines historiques de l'islam, le P. Édouard-Marie Gallez entend désigner Louis Massignon comme le grand responsable des déviations de la plupart des islamologues latins depuis cinquante ans ! Une thèse osée qui ne pouvait rester sans réponse.

A PROPOS DU LIVRE DU PÈRE EDOUARD-MARIE GALLEZ

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L’auteur de l’ouvrage 1 me pardonnera d’avoir commencé sa lecture par la postface de Mgr Jean-Pierre Cattenoz (p. 213-218). L’archevêque d’Avignon y décrit comment il a vécu le dialogue islamo-chrétien au Burkina Faso, en Algérie et au Tchad durant une quinzaine d’années, en des pages du plus haut intérêt. Qui ne souscrirait aux conditions qu’il énumère : fraternité fondée, dans la vie quotidienne, sur le respect de la personne humaine et de sa religion dans une écoute mutuelle attentive ; meilleure connaissance de l’islam et lecture du Coran ; exigence réciproque de vérité impliquant pour le chrétien, avec le souci de la liberté d’autrui, une foi inébranlable dans le seul salut possible offert à tout homme par le Crucifié ; conviction non moins indéracinable que, en vertu des « grâces de suppléance » offertes par Dieu à ceux qui, sans faute de leur part, n’ont pu connaître le Christ, « tout homme qui, tout au long de sa vie, aura cherché à faire le bien, quand il arrivera au terme de son chemin ici-bas, découvrira le Christ », «l’unique sauveur » ; refus de tout relativisme qui considérerait les autres religions comme des voies parallèles de salut, ainsi que de toute vaine recherche du « plus petit dénominateur commun » ; « redécouverte par chacun des richesses de sa propre foi » pour, « dans cette lumière », « chercher ensemble la Vérité » ; enfin, devant la montée des intégrismes, souhait que « la société française fasse tout pour intégrer le plus possible tous les Français d’origine musulmane et leur donne de découvrir les vraies richesses de nos racines chrétiennes et non pas le spectacle désolant d’une société sur son déclin » ? Nul doute que nombre de ceux que le P. Gallez appelle non sans quelque condescendance les « dialoguistes », se reconnaîtront dans ce programme. Mais pourquoi faut-il dès lors que Mgr Cattenoz, faisant l’éloge de ce livre et de son auteur, conclue à l’« urgence » et la nécessité d’un « changement de cap important » dans le dialogue islamo-chrétien ?

À la vérité, le livre du P. Gallez se veut, en un style souvent polémique, une attaque en règle contre le dialogue islamo-chrétien tel qu’il est mis en œuvre depuis Louis Massignon, décrété responsable de toutes sortes de déviations. C’est que le « dialoguisme » pratiqué à son instigation aurait, ni plus ni moins, cherché « à abuser les chrétiens sur ce que disent et croient les musulmans, ainsi que sur le fait que le texte coranique signifie parfois autre chose que ce qu’ils y lisent » (p. 23). Du reste, l’échec de l’entreprise serait patent si l’on pense aux conditions de vie de plus en plus dramatiques des chrétiens d’Orient et au développement, en France même, d’un fanatisme islamiste.

De fait, le P. Gallez consacre une partie essentielle de l’ouvrage (p. 125-183) — et c’est sur ce point qu’il est le plus intéressant — à présenter ses positions sur les origines de l’islam et ce qu’il considère comme les « impasses » de la recherche islamologique, en un langage plus accessible au grand public que sa thèse où il prolonge le travail du père Antoine Moussali dont il fut un collaborateur 2. Selon Gallez, en effet, le « post-christianisme » islamique s’enracine dans une « dérive » remontant à la fin du premier siècle, plus précisément dans des groupes sectaires, les « nazaréens », qui se considéraient comme les « juifs véritables ». Ainsi « l’identité de fond de ce qui sera appelé ‘islam’ est (…) préislamique et a demeuré : elle repose sur la conviction d’avoir été choisi par Dieu en vue de son projet politico-religieux de salut », ce qui était « déjà la conviction des nazaréens » (p. 157), manifestant par là sa dimension foncièrement eschatologique : imposer, dans l’attente du Jour du Jugement, « une société universelle qui serait conforme aux décrets divins » (p. 161). C’est dans cette perspective qu’il faut relire l’action du chef de guerre que fut Mahomet et l’« invention » de son « prophétisme ». Quant au Coran, dont le texte porte la trace de multiples refontes, l’idée qu’un ange l’aurait dicté à Mahomet durant son sommeil « est simplement une nécessité tardive qui s’est imposée à la suite de la diffusion du texte coranique » (p. 156). La thèse mérite examen, mais, comme toute analyse historique argumentée, elle demeure une hypothèse discutée que je laisse aux spécialistes le soin d’apprécier.

En revanche, on me permettra de revenir sur le regard que le P. Gallez porte non seulement sur ceux qui lui paraissent éloignés de ses positions et propositions, mais sur les raisons théologiques pour lesquelles ils y font obstacle. Inutile, cela va de soi, de chercher dans la bibliographie, les travaux de Louis Gardet, ou des Pères Anawati, Jomier et Borrmans. Leur œuvre est entachée par la référence à Louis Massignon. Tout un chapitre est au demeurant consacré à ce dernier, qui ne recule pas devant les interprétations calomnieuses. Après son retour à la foi catholique, le célèbre orientaliste aurait toujours conservé « dans son esprit un lien entre homosexualité et islam » (p. 112-113). En témoignerait de manière irrécusable sa Prière sur Sodome.

Si l’on veut signifier par là que sa conversion — en l’arrachant à l’homosexualité en même temps qu’à l’agnosticisme, lors d’événements dramatiques par lui-même relatés — s’est faite en rapport avec la découverte de l’islam et, particulièrement, de l’hospitalité musulmane à laquelle il est convaincu de devoir la vie, cela ne fait pas de doute.
Il faut cependant préciser que la Prière sur Sodome ne constitue pas un livre à elle seule, mais qu’elle fait partie des Trois Prières d’Abraham : devant Sodome, « la cité de la fausse hospitalité », pour Ismaël à Beershébâ, et pour Isaac au mont Moriah 3. Il s’agissait donc pour Massignon d’entrer, par ce triple et bouleversant dialogue d’Abraham avec Dieu, dans la « prière patriarcale » d’intercession de celui qu’il qualifie de « Père de tous les croyants ». Cette posture spirituelle, le P. Gallez a l’audace de la désigner comme « une communion pour le salut qui se placerait pour ainsi dire au-dessus du christianisme et de l’islam » (p. 113) ! Pourquoi Massignon donnerait-il en exemple, s’il en était ainsi (et s’il avait éprouvé pour les chrétiens orientaux le « mépris » dont on l’accuse (p. 125)), les « martyrs chrétiens » en « terroir arabe » comme les « témoins de l’amour suprême »  (Lettre I à la Badaliya) 4 ? Comment peut-on suspecter l’expérience de sa conversion de ne pas avoir été « une rencontre personnelle de Jésus-Christ » et de ne pas faire référence, dans les récits qu’il en donne, à « des frères aînés dans la foi qui l’auraient accompagné dans cette découverte de la vie chrétienne » (p. 114) ?

Assurément sa conversion fut, selon sa propre expression, une « Visitation de l’Étranger », et parmi les intercesseurs qu’il nomme, Hallâj occupe une place décisive. Mais ce dernier est pour lui le « martyr mystique de l’islam » dont il aurait voulu que l’Église le canonisât et dont Claudel, qui admirait sa poésie, était « frappé par sa parenté avec la pensée des plus grands mystiques chrétiens » 5. On trouve aussi Huysmans qui avait prié pour lui avant sa mort, sa mère qui avait tant supplié pour son retour à la foi chrétienne, mais surtout le Bienheureux Père de Foucauld. Et s’il a d’abord éprouvé la présence du Dieu Juge, c’est pour aboutir, selon son propre témoignage, à l’expérience de Dieu « père, inondant l’enfant Prodigue ». Alors, il « ferme doucement la porte de (sa) chambre à clef et (s’étend) à terre sur le carreau, pleurant enfin (sa) prière après cinq ans de sécheresse de cœur, toute la nuit », « jusqu’à l’aurore de la Fête-Dieu ». Et il a la « perception de la mise en marche de l’Église, hissant toutes les bonnes volontés, ensemble, jusqu’à l’éternité, comme Pierre tira, à Tibériade, les poissons avec son filet sur la grève », prenant en même temps conscience que sa dette « a déjà été payé par Quelqu’un » 6., une prise de conscience qui aboutira à sa confession au Père Anastase… Il faudrait donc que Gallez nous explique pourquoi, si ce mystérieux Quelqu’un n’a pas révélé le visage de Jésus à Massignon, celui-ci s’est converti au catholicisme alors que tout (son entourage, son environnement culturel, son amour pour Luis de Cuadra devenu musulman, son intérêt pour Hallâj) aurait normalement dû l’incliner vers l’islam.

On a l’impression que le P. Gallez fait à Massignon le même procès que l’on fit parfois à saint Jean de la Croix, sa mystique étant trop peu christocentrée au goût de certains ! À la vérité, comme le note très justement son fils Daniel, Louis Massignon, « le 25 juin 1908, entre Hama et Homs, (…) avait compris que le premier substitué, c’est Jésus et que son Amour tire le monde à Lui ». Le désir du sacerdoce est du reste lié chez Massignon à cette conscience que le prêtre est « substitué au Christ par les paroles de la consécration » 7. C’est cet esprit de substitution qu’il vivra profondément au sein de la Badaliya et, lorsqu’il aura reçu le sacrement de l’ordre en 1950 dans le rite oriental, lors de chaque messe chantée en arabe. Il était en cela conforme à la plus pure orthodoxie catholique, contrairement à ce que suggère Gallez qui semble oublier que, si Jésus seul est Sauveur, il l’est en notre nom et même, peut-on dire, à notre place , une idée déjà présente chez saint Thomas d’Aquin. Cela n’enlève rien, mais donne au contraire sa pleine signification, au caractère personnel et libre du salut : Jésus désire incorporer intimement à son offrande sacrificielle ceux qu’il unit étroitement à son Amour. « Il veut en effet associer à son sacrifice rédempteur ceux-là même qui en sont les premiers bénéficiaires » (Catéchisme de l’Église catholique, § 618). C’est ce que Massignon appelait, dans la ligne des plus grands mystiques chrétiens, « la science expérimentale de la compassion » 8. Il en avait certes repris en partie la substance à Huysmans que l’on ne saurait réduire sans s’adonner à la caricature, quelles qu’aient été les influences reçues — Massignon était lucide sur ce point contrairement à ce qu’insinue Gallez — avec le satanisme du prêtre défroqué Boullan. Mais il rejoignait surtout l’expérience d’une sainte Catherine de Sienne, d’une sainte Christine l’Admirable et, plus près de nous, de la bienheureuse Catherine Emmerich. Il faut croire que, comme le remarquait un jour le futur Benoît XVI à propos de ce qu’il appelle « la substitution vicaire », « nous ne pouvons guère nous représenter encore quelque chose là-dessous, notre image de l’homme est devenue trop individualiste» 9

Mais la « reconstruction » de la vie et de la pensée de Massignon ne s’arrête pas là. Elle verse dans le mauvais roman lorsque Gallez s’en prend à Mary Kahîl, issue d’une grande famille syrienne venue en Égypte à la fin du XVIIIe siècle, et sans l’amitié de laquelle la fondation de la Badaliya n’aurait sans nul doute pas eu le même visage. S’abritant prudemment derrière l’autorité de Marie-Thérèse Urvoy dont on aimerait connaître les sources, il affirme qu’elle était « spirite »10 ! Tout semble bon à prendre dès lors qu’il s’agit de postuler (sans jamais le moindre commencement d’une démonstration sérieuse) le caractère prétendument « trouble » de la mystique massignonienne et de l’influence délétère qu’elle aurait eue sur le dialogue islamo-chrétien. On ne sera pas surpris de retrouver, à cette occasion, de multiples références à un récent ouvrage de Laure Meesemaecker dont j’ai eu l’occasion de dire ici ce qu’il m’inspirait 11. Le reproche majeur adressé au grand orientaliste serait de n’avoir pas cherché à convertir les musulmans et d’avoir ainsi vidé de son sens l’évangélisation et tout « témoignage chrétien » (p. 123). Faut-il rappeler à l’auteur que l’évangélisation directe et par la prédication n’est pas toujours possible ? Qu’il aille donc s’expliquer là-dessus avec les chrétiens d’Orient, et il verra ce qu’ils lui répondront. La promotion cardinalice — annoncée par Benoît XVI lors de la clôture du synode pour la nouvelle évangélisation — de Sa Béatitude Béchara Boutros Raï, patriarche d’Antioche et de tout l’Orient des maronites au Liban, est en elle-même significative si l’on se réfère à ses propos ; tout comme celle de Mgr Baselios Cleemis Thottunkal, archevêque majeur de Trivandrum des Syro-Malankars en Inde, lequel ne cesse de donner en exemple le témoignage missionnaire de la bienheureuse Mère Teresa de Calcutta. Si, de fait, Massignon ne cherchait pas, par sa spiritualité de la « compassion » et de la « substitution », une « conversion extérieure », c’est parce qu’il savait bien qu’elle eût encouru immédiatement le reproche d’un « missionnarisme » habilement déguisé en orientalisme scientifique. Tel est d’ailleurs le sens de la fatwa d’al-Azhar dirigée, en octobre 1959, contre le centre de Dar es-Salam fondé par Mary Kahîl pour réunir les chrétiens de divers rites et favoriser leur rencontre avec les musulmans. Aussi bien Massignon pensait-il que « c’est dans le silence de certaines modalités de travail social avec eux (les musulmans) que se forme en nous pour eux la présentation de la vérité qu’il s’agit de leur faire trouver en eux-mêmes », par une « conversion intérieure » susceptible d’engendrer en eux, « dans l’axe du Dieu d’Abraham », le Visage de Jésus « qui viendra se mouler au leur par un ‘baptême de désir’ »12. Pour reprendre une profonde remarque de Pierre Rocalve, Massignon « a finalement compris que sa vocation, à l’image de celle de saint François d’Assise, était de porter moralement les stigmates du Christ pour prouver aux musulmans la mort du Christ. Il a offert sa vie pour le salut des âmes musulmanes, pour le salut de l’islam »13.

Il ne faudrait pas croire que, avec un semblable jugement porté sur la personne et l’œuvre de Louis Massignon, s’achève la diatribe du père Gallez contre les « dialoguistes ». C’est, plus largement, au « concept du ‘non-chrétien’ » qu’il s’en prend (p. 29-86), parce que cette notion serait le fruit d’une « construction théologique » résultant de « jeux d’abstraction anhistorique », mais aussi à la constitution dogmatique Lumen gentium car, étant supposée entachée par cette « erreur fondamentale », elle ose affirmer (§ 16) que « tout ce que l’on trouve chez eux (les non-chrétiens) de bon et de vrai, l’Église le considère comme une préparation à l’Évangile » (p. 63). Le cardinal Charles Journet est également qualifié d’auteur de « pseudo-raisonnements » par lesquels « on est amené à supposer que tout le monde est sauvé » (p. 99). Sa position est ainsi identifiée abusivement à celle d’un Karl Rahner sur le « chrétien anonyme » qui, sans un acte explicite de rejet, appartiendrait nativement à l’Église, du fait de l’Incarnation et de la Rédemption, sans que sa liberté personnelle soit engagée dans une adhésion au moins implicite (ce que Journet n’a jamais accepté). Quant à son disciple le cardinal Georges Cottier, il aurait « asséné comme une évidence » que tout cœur droit est habité par la grâce sanctifiante, et n’aurait pas critiqué sur le fond le livre de Georges Dupuis, Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux, mis en cause par la Congrégation pour la Doctrine de la foi pour son relativisme (p. 94-95). Gallez omet de signaler que, précisément, le théologien de Jean-Paul II — dans l’article mis en cause et qui est centré sur « la mystique naturelle »14 — renvoie favorablement à l’analyse critique que la rédaction de la Revue thomiste a développée sur l’ensemble de l’ouvrage de J. Dupuis15. Manifestement Gallez (p. 109) se refuse à concevoir que reconnaître que le salut est offert à tout homme au cours de sa vie terrestre, ne revient pas à conclure que toutes les religions sont des voies de salut. Seule l’Église du Christ est salvatrice, mais, disent Maritain et Journet, on peut personnellement appartenir d’une manière déjà salutaire, spirituellement, « invisiblement, de façon initiale et toute tendancielle, au corps visible de l’Église »16. Il faut pour cela qu’en raison de la rectitude de son être moral, une personne soit habitée par la grâce du Christ, en attendant qu’une mission évangélisatrice (par la parole ou par le seul témoignage de vie quand une prédication ouverte est inenvisageable) puisse éventuellement porter à la pleine lumière ce qui restera peut-être à jamais caché, sauf au regard de Dieu, dans le supra-conscient d’une âme.

Suivant le P. Gallez, finalement, c’est l’ensemble de la théologie latine qui doit être mise en cause en raison d’un « intellectualisme » jugé « de plus en plus éloigné de la Révélation » (p. 185). Aussi bien il conviendrait – selon un vœu attribué imprudemment, et sans donner de fondement précis à ces allégations, à Benoît XVI – de « repenser complètement la doctrine divine du salut » (p. 101) en situant, si je comprends bien, le choix ultime au-delà de la mort (malgré les obstacles philosophiques et théologiques insurmontables que présente cette hypothèse)17.

Pour en revenir à ce qui concerne l’islam, il ne s’agit donc pas seulement d’effectuer un changement de cap, mais une véritable révolution dont on peine à discerner les contours. Si Mgr Cattenoz semble y être parvenu dans sa postface, et s’il donne son aval à cette perspective, le pape Benoît XVI, au Liban, en se situant dans la ligne de la déclaration conciliaire Nostra Aetate, a été plus clair. Déjà, dans Lumière du monde, il n’hésitait pas à affirmer que « ce qui nous rassemble [avec les musulmans, c’est] la foi en Dieu et l’obéissance à Dieu »18, [le] Dieu Un, créateur de tous les hommes » dont il souhaite, dans son exhortation apostolique Ecclesia in Medio Oriente, qu’il rassemble juifs, chrétiens et musulmans afin que ceux-ci puissent « découvrir dans l’autre croyant un frère à respecter et à aimer pour donner en premier lieu sur leurs terres le beau témoignage de la sérénité et de la convivialité entre fils d’Abraham » (§ 19). Le P. Gallez, qui paraît vouloir se réclamer de Benoît XVI contre ses prédécesseurs, trouvera-t-il un tel programme trop massignonien ?

C’est pourtant, dans des conditions de plus en plus difficiles (où une certaine politique internationale s’obstine à favoriser la montée des fondamentalismes), et en pleine solidarité avec nos frères chrétiens d’Orient persécutés et martyrisés, la seule voie possible vers un dialogue amical. Si celui-ci est particulièrement délicat au plan purement théologique, il peut au moins rassembler chrétiens et musulmans pour une meilleure compréhension mutuelle, dans un souci de vérité, de justice et de paix, sans rien dissimuler des convictions de chacun, mais en les mettant au service d’une vision de l’homme et d’une éthique sociale qui nous sont communes. Comme l’affirmait si justement le P. Daniel-Ange19, il s’agit de s’unir face à un monde occidental sécularisé, d’autant plus vulnérable qu’il s’est détourné de ses sources chrétiennes, qu’il est devenu de plus en plus libéral-libertaire, destructeur des valeurs fondatrices du bien commun et ignorant de la véritable dignité de la personne.

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Le malentendu islamo-chrétien, repenser le dialogue

http://eecho.fr/?p=9300

Liberté politique, N° 44 : Quel dialogue avec l’islam ?

E. M. Gallez, Le messie et son prophète, Aux origines de l’islam , 2 vol. éd. de Paris sept. 2005,

vol. 1 : De Qumran à Muhammad, 524 p., 35 €

vol. 2 : Du Muhammad des califes au Muhammad de l’histoire , 582 p., 39 €

http://revue.objections.free.fr/001/001.035.htm

  1. Édouard-Marie GALLEZ, Le Malentendu islamo-chrétien. Postface de Mgr Jean-Pierre Cattenoz, archevêque d’Avignon, Paris, Salvator, 2012, 224 p., 21 €.
  2. É.-M. GALLEZ, Le Messie et son prophète, Versailles, Éditions de Paris, 2 tomes, 2005.
  3. D’abord diffusée hors commerce, cette œuvre capitale de Louis Massignon a été publiée pour la première fois par son fils Daniel en 1997 (Paris, Cerf).
  4. Cf. Louis MASSIGNON, Badaliya. Au nom de l’autre (1947-1962), Paris, Cerf, 2001, p. 62. Voir notre article sur cette association de prière : « Louis Massignon et la Badaliya », Liberté politique, n° 54, septembre 2011, p. 87-105 et « La Badaliya selon Massignon », France catholique, n° 3262, 3 juin 2011, p. 8-11.
  5. Paul CLAUDEL-Louis MASSIGNON, Correspondance 1908-1953, Paris, Gallimard, Lettre 232, p. 384. Voir notre article “Paul Claudel et Louis Massignon. Une rencontre au sommet”, France catholique, n° 3307, 18 mai 2012, p. 16-18.
  6. Cf. Daniel MASSIGNON, Le Voyage en Mésopotamie et la conversion de Louis Massignon en 1908, Paris, Cerf, 2001, p. 73
  7. Cf. Daniel MASSIGNON, Le Voyage en Mésopotamie et la conversion de Louis Massignon en 1908, Paris, Cerf, 2001, p. 75.
  8. Lettre n° X à la Badaliya, op. cit., p. 137.
  9. Cardinal Joseph RATZINGER, « Conférence aux journées liturgiques de Fontgombault », La Nef, octobre 2001.
  10. Si l’on désire avoir de sérieuses informations sur la vie de Mary Kahîl, il faut lire sa biographie par Jacques KERYELL, Mary Kahîl. Une grande dame d’Égypte 1889-1979, Paris, Geuthner, 2010, ainsi que sa correspondance avec Louis Massignon dans L’Hopitalité sacrée, Textes inédits présentés par Jacques Keryell, Préface de René Voillaume, Paris, Nouvelle Cité, 1987.
  11. Cf. Laure MEESEMAECKER, L’autre visage de Louis Massignon, Versailles, Via Romana, 2011. Voir “Louis Massignon : une approche littéraire”, France catholique, n° 3283, 25 novembre 2011, p. 24-25.
  12. Lettre XIII à la Badaliya, op. cit., p. 251.
  13. Pierre ROCALVE, Louis Massignon et l’islam, Institut Français de Damas, 1993, p. 95. Gallez omet de citer ces lignes de Rocalve, pour ne garder que celles dans lesquelles ce dernier affirme que Massignon se refusait à regarder l’islam comme une religion qui n’aurait aucune place dans le dessein mystérieux de Dieu. On peut n’être point d’accord avec Massignon sur ce point (c’est d’ailleurs le cas de certains de ses disciples), mais c’est une vision que l’on ne peut écarter non plus, purement et simplement, d’un revers de main. Un Jean-Paul II s’y refusait en tout cas, et je ne sache pas que l’on puisse lancer l’anathème contre Benoît XVI parce qu’il a repris, lors de son voyage récent au Liban, la formule (rejetée par nombre de disciples de Massignon et jugée par Gallez de « si relativiste » (p. 122)) des « trois religions abrahamiques », et parce que, dans l’Exhortation apostolique Ecclesia in Medio Oriente, qu’il est allé y signer solennellement, il qualifie les musulmans de « fils d’Abraham » (§ 19).
  14. Revue thomiste (101), 2001, (p. 287-311), p. 289, n. 1.
  15. Revue thomiste (98) 1998, p. 591-630.
  16. Jacques MARITAIN, De l’Église du Christ. La Personne de l’Église et son personnel, Paris, 1970, Œuvres complètes, Vol. XIII, p. 179 ; cardinal Charles JOURNET, Théologie de l’Église, Paris, Desclée, 19872, p. 357.
  17. Voir Jean-Hervé NICOLAS, O.P., Synthèse dogmatique. De la Trinité à la Trinité, Préface du cardinal Ratzinger, Fribourg-Paris, 1985, p. 600-603.
  18. Benoît XVI, Lumière du monde. Le pape, l’Église et les signes des temps. Un entretien avec Peter Seewald, Paris, Bayard, 2010, p. 134.
  19. Voir son article mémorable, « Chrétiens et musulmans. Un ennemi commun : le libéralisme immoral », France catholique, n° 3324, 19 octobre 2012, p. 22-24.