Le feu de la Parole - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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Le feu de la Parole

Loin d’être un simple récit, la Parole de Dieu vivifie et constitue l’espérance des plus pauvres. Comme le souligne une Petite sœur de la Communauté de l’Agneau, au monastère de Saint-Pierre de Plavilla (Aude).
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La Communauté de l’Agneau pratique la « manducation », qui consiste à répéter l’Écriture, jusqu’à la connaître par cœur.

La Communauté de l’Agneau pratique la « manducation », qui consiste à répéter l’Écriture, jusqu’à la connaître par cœur.

© Communauté de l'Agneau

Dans la Communauté de l’Agneau, nous avons une habitude, que nous n’avons absolument pas inventée. Une habitude ancestrale, vieille comme le monde, pratiquée par saint Dominique et saint François, les Mendiants du Moyen Âge, par les Pères de l’Église et les Pères du désert, et, avant eux, par les apôtres et les disciples de Jésus, par la Vierge Marie, Fille du peuple bien-aimé, de la race d’Abraham. C’est une habitude de prière, très simple et très sobre, une habitude d’enfant : l’habitude de méditer la Parole de Dieu en la répétant indéfiniment.

Une fois, deux fois, cent fois…

C’est ce que nous faisons aux offices, durant le temps de l’Adoration eucharistique, et tout au long de la journée. Nous répétons la Parole de Dieu, un verset après l’autre, une fois, deux fois, dix fois, cent fois… et plus encore, si grâce nous est faite. Très souvent, c’est un passage de l’Évangile, parfois de l’Ancien Testament. Nous l’apprenons par cœur, amoureusement, passionnément. Ainsi nous gardons la Parole, qui n’est pas n’importe quelle parole, puisque cette Parole que nous lisons quand nous ouvrons la Bible, c’est le Christ lui-même, c’est Jésus lui-même ! Lui, le Verbe de Dieu, le Créateur et Rédempteur de la beauté du monde et de chaque être humain. Et il nous est donné à nous, chrétiens, de garder ce trésor de la Parole, d’entrer dans un dialogue intime avec Dieu, de l’aimer de tout notre cœur, par ce moyen si simple de la répétition.

Alors, murmurons-la, manduquons-la – « manduquer » veut dire « manger » – oui, mangeons-la, cette Parole. Prenons le temps de recevoir sa Présence, de la savourer, de l’assimiler. Laissons-nous pétrir par sa puissance de Vie. Et tandis que nous vaquons à nos tâches quotidiennes, la Parole, elle, fait son chemin.

Elle descend de la tête jusqu’au fond du cœur, et elle entre, comme dit saint Bernard, dans les entrailles de l’âme. Et là, elle s’illumine, s’enflamme, et sa lumière, son feu, nous éclaire, nous embrase ! La Parole est vivante, brûlante, purifiante. Elle nous touche, nous transforme profondément. Elle nous recrée. Elle nous fait devenir comme elle, Lumière et Vie, Amour et Vérité, en chassant les ténèbres. Elle nous fait devenir Évangile pour le monde ! « La Parole de Dieu est la vie de notre vie, la lampe qui guide nos pas, la lumière de notre âme et sa nourriture éternelle », disait saint Césaire d’Arles.

« L’Évangile, je le recopie »

Comment exprimer encore cette rencontre, cette alliance indicible avec la Parole, ce cœur à cœur brûlant dans le silence de la vie ordinaire, qui peut tout changer ? Par des témoins… des témoins inconnus, que le monde ignore ou rejette, des petits, des humiliés…

Ainsi Alexandre, rencontré au Restaurant social. Il a fui la Biélorussie, son pays natal. Il n’a que 21 ans et il est en errance, le cœur meurtri, assoiffé d’amour. C’est dans la lecture de l’Évangile qu’il a puisé la force de sortir de l’alcool et de la drogue. Son regard si clair devient soudain scintillant, quand il dit : « L’Évangile, je le recopie, je voudrais l’apprendre par cœur pour que, quand je parle, ce ne soit plus que l’Évangile qui sorte de ma bouche. » Il pose sur la table devant nous un carnet aux pages entièrement couvertes de son écriture. « C’est l’évangile de saint Jean, dit-il. La nuit, je le glisse sous ma tête, pour qu’il me protège en même temps qu’il continue de me guérir… »

Manne quotidienne

« Je lis la Bible comme une lettre d’amour… » Cette phrase incandescente, nous la recueillons d’un vieux professeur au cœur de pauvre, qui nous fait l’hospitalité de son humble demeure. Chaque jour, il prie. Des heures durant, il scrute la Parole de Dieu, mot après mot, la méditant avec tout son cœur. Elle est vraiment la manne quotidienne dont son âme toujours en marche s’alimente. « C’est comme une lettre d’amour… Oh ! Mais c’est encore plus ! Dans la Bible, c’est vraiment LUI qui est là. C’est une lettre d’amour vivante ! Je crois que la Bible, c’est la Chair et le Sang de Jésus en Marie. Le Verbe s’est fait chair. Comme Dieu est descendu, comme Il s’est dépouillé pour se faire chair et sang dans l’Eucharistie – dans la plus petite hostie, Dieu est présent – ainsi Il est descendu, Il s’est dépouillé dans la lettre. »

Et ce grand Africain, rencontré aux Restos du Cœur. Remué jusqu’aux entrailles par le chagrin d’un homme qui pleure, il s’écrie : « Moi aussi, j’étais désespéré, et c’est la Parole de Dieu qui m’a sauvé ! J’ai tout perdu, j’ai dû quitter mon pays, traverser des frontières, des mers, des terres, j’ai marché des jours et des jours, j’avais faim, j’avais soif… mais j’avais la Parole : “Le Seigneur est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ?” (Ps 26, 1) Et je la répétais, je la répétais tout le temps, nuit et jour je la répétais. Sans elle, je ne serais pas ici. Toi aussi, maintenant, répète-la avec moi : “Le Seigneur est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ?”… » Et le grand Africain lève les yeux au ciel en disant d’une voix pleine de ferveur : « Elle est vraie, cette Parole ! Il ne m’a jamais abandonné ! »

Et Kathy en prison… Nous sommes assises en cercle, deux petites sœurs, une laïque de l’Agneau, et six prisonnières. Nous avons manduqué ensemble l’évangile de Marie-Madeleine près de la tombe de Jésus (Jn 20, 11-18). Kathy demande, l’air grave : « Marie-Madeleine était une prostituée, n’est-ce pas ? » Une Petite sœur répond : « Oui. » « Et elle était la seule à venir à la tombe tôt le matin ? – Oui. » Kathy continue : « Et tous ses péchés lui ont été pardonnés ? – Oui, tous ses péchés lui ont été pardonnés. » Alors, un grand silence paisible, tel une caresse, nous enveloppe toutes. Un silence qui laisse la parole de l’Évangile tomber sur la terre de nos cœurs, pour les guérir, les consoler, panser les blessures, et faire germer la vie, nouvelle, éternelle.