Laïcité et bien commun - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Laïcité et bien commun

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Jean-Michel Blanquer a donc choisi de relancer, en cette rentrée scolaire, le thème de la laïcité. Soucieux de dépasser les questions sanitaires qui pourraient submerger l’horizon, le ministre de l’Éducation nationale entend pratiquer une ouverture intellectuelle et politique à longue portée. Ne s’agit-il pas de l’avenir même de la nation, dont l’unité et la cohérence sont menacées par le phénomène d’archipelisation décrit par Jérôme Fourquet ? Force est de reconnaître que loin de correspondre à un consensus, l’amorce de la campagne ministérielle provoque d’ores et déjà nombre d’oppositions et de récriminations, qui se chargent de démontrer l’ambiguïté de cette notion de laïcité.

Un débat piégé

Sans doute ces réactions s’inscrivent-elles dans le climat actuel propice aux dérapages idéologiques, tel le courant décolonial. Lorsqu’un syndicat d’extrême gauche dénonce « un dévoiement raciste et xénophobe de la laïcité, appuyé sur un imaginaire colonial », on comprend rapidement à quel point le débat se trouve d’emblée piégé par des présupposés qui le déportent de son axe légitime. Encore s’agit-il de définir correctement cet axe. Généralement, on le rapporte à la neutralité religieuse de l’État, qui constituerait la garantie de la liberté de la conscience. Et l’on fait fort bien, sauf qu’une telle neutralité s’avère plus que complexe, quand on creuse un peu le sujet. Par exemple, si l’on se souvient de la déclaration de Gérald Darmanin selon laquelle « la loi de la République est supérieure à la loi de Dieu », le jugement de valeur met directement en opposition deux systèmes qui prétendent à la normativité éthique et se trouvent donc en concurrence sur un terrain forcément philosophique. On a donc toute chance de provoquer colère et déni de légitimité de la part de ceux qui s’estiment blessés dans leurs convictions.

Il semble que Jean-Michel Blanquer ait voulu échapper à ce type de controverse en insistant sur les avantages d’une vie sociale apaisée entre enfants d’origines diverses. Partager les mêmes connaissances, accéder aux sources du savoir seraient autant de moyens d’apprécier « les conséquences positives de la laïcité ». Fort bien, mais lorsque cette même laïcité est dotée du pouvoir de permettre à « Axelle et Ismail de penser par eux-mêmes », la pointe polémique réapparaît, rappelant fâcheusement les prétentions de Vincent Peillon à vouloir émanciper les enfants de leurs origines, en particulier religieuses. Faut-il rappeler les propos exacts du ministre de l’Éducation nationale de François Hollande : « C’est à l’école qu’il revient d’être la matrice qui engendre en permanence des républicains… L’école doit opérer ce miracle de l’engendrement par lequel l’enfant, dépouillé de toutes ses attaches pré-républicaines, va s’élever jusqu’à devenir citoyen, sujet autonome. C’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école, une nouvelle Église avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la loi. »

Sans doute, Jean-Michel Blanquer est-il infiniment plus prudent dans ses propos et exprimerait-il des réserves par rapport au credo de son prédécesseur. Il n’évite pas pourtant le soupçon d’une prétention supérieure de la laïcité à détenir les secrets de la liberté d’esprit, ce qui est plus que téméraire. Mais nous nous trouvons là face à l’ambiguïté foncière d’une pensée qui hésite toujours entre neutralité et prétention idéologique. La philosophie politique n’est pas indifférente à cette ambiguïté qu’elle peine à dénouer.

Voilà qui nous ramène à la sagesse d’un Émile Poulat historien de « notre laïcité publique », extrêmement réservé sur la possibilité d’une prétention philosophique de la laïcité. Seule une démarche prudentielle pourrait satisfaire à une saine séparation des domaines et à la recherche de solutions consensuelles. En d’autres termes, plutôt que d’anathématiser la loi de Dieu, mieux vaudrait inviter les citoyens, et en particulier les éducateurs, à se reconnaître dans un bien commun à définir empiriquement. Encore faut-il que la communauté nationale ait suffisamment d’enracinement dans sa culture pour assumer la tâche difficile qui concilie neutralité et liberté d’esprit.