L’HOMME DESCEND DE L’HOMME ET NON DU SINGE - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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L’HOMME DESCEND DE L’HOMME ET NON DU SINGE

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Plus se multiplient les découvertes sur l’homme ancien1 et plus nous désapprenons de fausses connaissances énoncées il y a seulement vingt ans comme des dogmes. C’est aussi cela, la science : la découverte que ce que l’on croyait savoir n’était que rêve et sornette2. Rappel de quelques sornettes encore plus ou moins sacrées, voilà peu : l’Homo sapiens sapiens (HSS) descend de Néandertal, qui descend d’une kyrielle d’êtres mi-hommes mi-singes, dont le Pithécanthrope – de Java, de Pékin, etc. –, qui descendent de paléanthropes variés, qui descendent des Australopithèques (« robustes » ou graciles »), puis un grand trou jalonné par les Ramapithèques et les Reniopithèques, il y a 15 millions d’années et plus. Il faut rendre hommage aux préhistoriens et paléontologistes dont le travail inlassable et ingrat a périmé une bonne part de ce fatras. Nos certitudes actuelles sont-elles meilleures ? D’abord elles sont moins nombreuses (donc moins risquées). Puis, elles sont documentées par des fossiles plus nombreux. Enfin, l’étude des habitats a fait d’incroyables progrès. Le nombre de faits certains que les spécialistes savent maintenant extraire d’une caverne longuement occupée en évacuant, couche après couche, à la loupe et à la brosse à dents, le tout étant photographié à mesure sur place pour permettre d’autres études ultérieures, ce nombre de faits, dis-je, même quand on ne sait pas les interpréter, dépasse les exploits de Sherlock Holmes3. Le tableau qui s’en dégage, bien plus flou que les rêves de naguère peut être résumé ainsi : – L’homme moderne, semblable à vous et moi, et que l’on convient d’appeler sapiens sapiens (HSS) remonte à peut-être 200 000 ans (fossiles de Fontechevade, notamment). Il était à peu près comme nous physiquement, il avait notamment le même cerveau. Il était très habile de ses mains, taillait d’admirables outils de pierre que seuls quelques rares préhistoriens sont encore capables d’imiter4. Et pourtant les plus anciennes traces d’une activité purement spirituelle (art, sépultures) ne remontent pas au-delà de 40 000 ans, pour ce qu’on en sait jusqu’ici. Pendant au moins mille-cinq cents siècles, soit cinq mille générations, il semble (il semble) que l’homme n’ait jamais éprouvé ce mystérieux besoin de projeter par des actes, sur le monde extérieur, l’insondable arcane de ses pensées. Absence de ce besoin ? Ou bien plutôt terrible difficulté de créer la fragile fleur de la culture ? Question pour l’instant sans réponse. Mais il suffit de lire de quelle incompréhensible façon on enseignait encore aux enfants du XVIIe siècle, en France, l’élémentaire art de la multiplication, pour mesurer l’effort que suppose tout progrès culturel. Rien ne nous paraît aisé dans ce que nous faisons quotidiennement que grâce à l’oubli des millénaires de transpiration qui nous ont portés là. – Avant HSS, tous les crâne et débris de squelettes où les paléontologistes de naguère croyaient devoir distinguer des espèces différentes, parmi lesquelles le fameux pithécanthrope au nom provocant (pithecos : singe ; anthropos : homme, donc « homme-singe »), sont maintenant rapportés à une espèce unique tout aussi mal dénommée Homo erectus : Homme Vertical, ce qui donnerait à penser que son prédécesseur n’était pas vertical (il l’était, nous le verrons un peu plus loin)5. Homo erectus était bien un homme, lui aussi habile de ses mains, maîtrisant le feu, et certainement dépourvu de toison. Pourquoi certainement ? Parce qu’on le trouve sous des climats très variés, ce qui implique une possibilité d’adaptation instantanée et exclut donc la toison (regardez votre chat : il change de toison pour simplement s’adapter au lent changement des saisons d’un même lieu. Les animaux qui ne peuvent changer de toison émigrent). Pas plus « pithecos » que vous ou moi H.E. a duré plus d’un million d’années, et pendant ce temps si long a beaucoup changé, ce qui avait contribué à tromper ses premiers inventeurs. Il n’est pas impossible que l’un des changements ait été la perte de la toison, si c’est bien lui qui maîtrisa le feu6. Il a grandi – de la taille d’un Pygmée au début, à la nôtre lorsqu’il disparut. Sa capacité crânienne a à peu près doublé7. Ses derniers représentants ont un cerveau à peu près du même poids que le nôtre, mais disposé très différemment, comme on peut le voir en examinant le crâne et son moulage intérieur. La disposition reste à peu près identique pendant toute sa longue durée : il n’a pas de front et la partie arrière est très développée. Seule d’ailleurs sa tête diffère profondément d’H.S.S. Elle n’a pas de menton. Les dents sont protubérantes, formant museau. Le nez est plat. Au-dessus des yeux une sorte de saillie osseuse épaisse s’avance de plusieurs centimètres tout en travers de la face (le torus). Le dessus du crâne est marqué d’un « faîte » anguleux, ce qui indique une très forte musculature de la mâchoire. Les mâchoires sont, en effet, très fortes, de même que les dents8. Mais le reste du corps est exactement humain. Avant H.E., on reconnaît maintenant un Homo habilis, plus petit, dont un squelette découvert il y a trois ans par Ph. Tobias dans une caverne près de Sterkfontein en Afrique du Sud peut être daté à deux millions d’années. Si l’on appelle « primitifs » les caractères d’H.E. que l’on ne trouve plus sur nos squelettes modernes, on peut dire d’un mot qu’Homo habilis est plus primitif qu’Homo erectus : torus plus marqué, denture plus forte, cerveau plus petit, comparable (mais par la masse seulement) à celui du gorille, etc. Homo habilis n’a rien d’un singe, il marche comme vous et moi. On soupçonne depuis quelque temps qu’il aurait peut-être utilisé le feu. En même temps qu’Homo habilis, et avant lui jusqu’à quatre ou cinq millions d’années, ont existé divers types d’Australopithèques, toujours plus « primitifs », mais pas plus « pithecos » que vous et moi. Au-delà, je l’ai dit, c’est le trou, jalonné de quelques repères9. Impossible d’escamoter les fossiles Résumons : en reculant dans l’ascendance humaine, on ne trouve nulle part le singe. Les paléontologistes reconnaissent déjà dans certains fossiles vieux de trente millions d’années les orientations propres aux singes, excluant donc l’homme, dont l’ascendance repose encore ailleurs, inconnue, dans les strates du milieu de l’ère tertiaire. À cela les cytologistes (spécialistes des tissus cellulaires) objectent une impossibilité, selon eux : c’est que 99 % du dispositif cellulaire et génétique de l’homme et du chimpanzé sont identiques, et l’on peut calculer la « distance génétique » entre les deux espèces, la traduire en temps, et qu’on trouve alors cinq millions d’années. Pour expliquer une si effarante contradiction, certains cytologistes en sont maintenant à supposer (sans le moindre indice possible) que le chimpanzé serait une branche dégénérée, séparée de la descendance humaine il y a cinq millions d’années !10 Il faudra bien que les cytologistes se débrouillent avec leurs calculs pour les accorder à l’évidence froide du fossile. Le fossile est un objet qui est là et qu’on ne peut escamoter. Il nous apprend qu’aussi loin qu’on recule, l’Homme descend de l’Homme. Il est vrai qu’en remontant assez loin dans le temps, vers trois millions d’années, toute trace d’activité proprement humaine (taille d’outil) disparaît : l’homme a été « tiré du limon de la terre » : il fut un temps où il n’était pas encore Homme. Pas encore Homme, mais déjà sur sa lignée propre, remontant jusqu’on ne sait où. Où se situe le drame du jardin dans cette nuit des temps, voilà une question dont je doute que la science ait jamais rien à dire11. Du moins a-t-elle appris, par la génétique, qu’il y eut forcément un premier homme. Mais où situer l’apparition de 23 paires de chromosomes dans notre arbre généalogique encore si mal connu ? Peut-être le saura-t-on un jour12. Aimé MICHEL Chronique n° 356 parue dans France Catholique-Ecclesia – N° 1841 – 26 mars 1982 [|Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png|]
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 27 mars 2017

 

  1. Ce sont ces découvertes sur l’homme ancien qu’Aimé Michel s’est employé à présenter dans cette série intitulée « Sciences : le récit de la Genèse » ou bien « La Genèse et les sciences ». Les deux précédentes chroniques de cette série sont les n° 354, L’homme n’est pas le produit d’un bricolage (23.01.2017) et n° 355, Un premier homme ? Vos chromosomes répondent (20.02.2017).
  2. On reconnaît là l’un des leitmotive d’Aimé Michel : la science est en perpétuel renouvellement. Dans la chronique n° 218, La physique en proie aux particules monopôles – Nous ne savons rien au regard de ce qui reste à découvrir (27.03.2012) Aimé Michel écrivait, à propos d’une découverte expérimentale non confirmée par la suite (celle des « monopoles magnétiques », mais peu importe) : « Une théorie qui permet de trouver des faits nouveaux est une excellente théorie jusqu’à ce qu’elle soit démontrée fausse. Alors, comme disent Popper, Chauvin, Lorenz, Eccles, on la “jetteˮ et on en prend une autre, qu’on jettera aussi dès qu’elle ne donnera plus aucun fait nouveau, ou qu’elle sera à son tour démontrée fausse ». Son ami le physicien Olivier Costa de Beauregard lui avait reproché cette formulation trop schématique dans une lettre à France catholique (n° 1503 du 3 octobre 1975, page 2) : « Aimé Michel exprime une opinion, touchant le développement et la nature de la théorie physique, aussi extrémiste et totalitaire que celle qu’il refuse à très bon droit. La vérité est qu’il y a quelque chose de biologique dans le développement de la théorie, dans sa manière d’enserrer le roc obscur des faits, de s’y infiltrer, de le faire éclater. Ses mutations ressemblent à la métamorphose d’une larve en un papillon ou à la transformation d’un gland en un chêne : l’écorce est abandonnée à la pourriture, mais l’essence vitale du nouveau phénix procède vraiment de la cendre du précédent ».
  3. L’analyse des moindres traces par des techniques de plus en plus nombreuses a donné des résultats d’une richesse inattendue. La fouille du site magdalénien de Pincevent par André Leroi-Gourhan à partir de 1964 constitue un tournant dans l’affinement des méthodes de fouille. Jusque-là on pratiquait plutôt les fouilles de manière verticale de haut en bas (méthodes dites stratigraphiques) plutôt qu’horizontalement, alors que les hommes vivent sur un sol et non sur une coupe. À Pincevent, pour la première fois, toute la surface décapée, correspondant à une habitation, fut systématiquement photographiée et intégralement moulée. « Lorsque, après de longues semaines de dissection minutieuse le sol de l’habitation 1 de Pincevent a été découvert dans son entier, écrivent Leroi-Gourhan et Brézillon, la vision était celle d’un campement abandonné depuis quelques jours à peine. (…) Le visiteur le moins préparé éprouvait la même émotion que nous devant ce témoignage intact des moments qu’avait vécus autour de ses trois foyers, il y a dix ou douze mille ans, un groupe de chasseurs. » (Gallia Préhistoire, 1966). L’analyse permit de délimiter et d’interpréter les différentes aires d’activités (débitage, rejet, couchage), de déterminer la saison, la durée d’occupation, le nombre d’occupants, les techniques de fabrication, etc. Selon la préhistorienne Michèle Julien « L’impact des (…) publications de Pincevent sur la communauté scientifique fut considérable tant pour les méthodes de fouille que pour l’analyse des sols d’occupation, et les voies de recherche qu’elles ouvraient furent très vite exploitées. » (in J. Garanger, La préhistoire dans le Monde, P.U.F., 1992). Nous en avons vu un autre exemple frappant avec l’étude de la Caune de l’Arago, à Tautavel, commune des Pyrénées orientales. Là on a pu reconstituer, non pas un instantané assez récent, mais près de 600 millénaires de l’histoire des climats, des flores, des faunes et des hommes (H. erectus) qui se sont succédé à Tautavel de 690 000 à 100 000 ans avant notre ère (chronique n° 284, Les origines de l’homme ou des légendes qui s’écroulent – L’évolution buissonnante des Primates depuis 75 millions d’années, 13.07.2015).
  4. Les préhistoriens capables de tailler des outils aussi bien que les hommes de la préhistoire sont de plus en plus nombreux. Il ne s’agit pas de les imiter pour le seul plaisir mais surtout de tirer le maximum de renseignements des outils découverts. On connaît depuis longtemps les principales techniques de taille des roches dures, directes avec un percuteur de pierre ou tendre (bois végétal ou bois de cervidé), indirectes (percuteur frappant un outil intermédiaire tendre en un point précis) et par pression. Ces techniques sont utilisées pour le façonnage (dégage une ébauche ou un outil), le débitage (produit des éclats et des lamelles) et la retouche. Mais il faut distinguer ces techniques des méthodes de taille qui varient suivant la matière première et les intentions du tailleur. On peut ainsi distinguer des méthodes peu élaborées ou au contraire très standardisée (Levallois, Kombewa, etc.). Deux méthodes expérimentales sont utilisées dans ce contexte. L’une est le remontage qui consiste à reconstituer les blocs initiaux à partir des déchets ; elle est utilisée systématiquement depuis les fouilles de Pincevent. Elle permet de retrouver l’ordre des détachements et donc de reconstituer les méthodes de taille en distinguant la part de la culture et de l’adaptation à la roche. L’autre approche est justement la taille expérimentale des roches. Elle se pratique depuis les années 70 et permet d’évaluer la qualité des outils produits compte tenu des possibilités offertes par la matière première et les aptitudes des tailleurs, et d’estimer le temps passé à faire ce travail.
  5. Le premier fossile d’Homo erectus, découvert par le médecin et anatomiste néerlandais Eugène Dubois à Java en 1864 fut appelé par lui Pithecanthropus erectus (singe-homme debout). Puis, dans le courant des années 1920, on découvrit en Chine près de Pékin d’autres fossiles qu’on nomma Sinanthropus pekinensis. « Aujourd’hui tous les fossiles mentionnés ci-dessus sont presque universellement reconnus comme des ancêtres directs de l’homme moderne. Pithecanthropus, Sinanthropus et Homo heidelbergensis ne sont plus. Tous ont pris le nom d’Homo erectus (…). C’étaient des Homo, bien qu’ils fussent quelque peu différents de nous. » (D. Johanson et M. Edey, Lucy, Robert Laffont, 1983, p. 47).
  6. Les plus anciens foyers datés de manière fiable connus actuellement ont été découverts en Israël. Ils ont 790 000 ans et sont attribués à Homo erectus (voir la note 1 de la chronique n° 237, L’homme dénudé par la machine – Tout ce qui n’est pas son âme sensible et contemplative sera bientôt évacué dans la machine, 08.12.2014). Toutefois, on a découvert à Chesowanka, à l’Est du lac Baringo, au Kenya, dans un gisement daté de 1,4 millions d’années des plaques d’argile brûlées ; on peut y voir un indice d’un apprivoisement du feu par H. erectus qui aurait appris à le prolonger avant de savoir le créer à volonté.
  7. Cette vue n’est pas partagée par tous les spécialistes. Niles Eldredge, créateur avec Stephen J. Gould de la théorie des équilibres ponctuées, pense que H. erectus n’a pas changé au cours de son million d’années d’existence, en accord avec sa théorie qui affirme qu’une espèce n’évolue qu’au moment de sa naissance par un saut rapide (la ponctuation) et ne change plus guère par la suite (la stase). Selon lui, H. erectus « est un merveilleux exemple d’une espèce ayant réussi et stable. Philip Rightmire (1981) a analysé toutes les données disponibles sur erectus et a conclu que, bien que les cerveaux des spécimens connus les plus anciens de H. erectus étaient, en moyenne, un peu plus petits que les spécimens connus les plus récents, les différences sont statistiquement non significatives. Et quelques-uns des spécimens les plus anciens – tel que ER-3733 découvert par Richard Leakey au Lac Turkana en Afrique de l’Est, avec son volume cérébral de 850 c.c. – sont étonnamment similaires aux spécimens erectus classiques de Chine, spécimens qui sont plus jeunes de plus d’un million d’années. » Cette stabilité est en accord avec celle de l’industrie acheuléenne qui a persisté avec peu de changement en Afrique, Asie occidentale et Europe occidentale, si bien que les variations géographiques de cette industrie sont plus sensibles que ses variations au cours du temps. Et de conclure « La stase est la règle » (N. Eldredge, Time frames, Simon and Schuster, New York, 1985, pp. 125-126). S. J. Gould toutefois fait état de quelques divergences à ce sujet parmi les spécialistes : « Des arguments en faveur de la stase ont été avancés, et beaucoup débattus, pour les deux seules espèces [d’hominidés] avec une longévité appréciable d’un million d’années ou plus – Australopithecus afarensis, alias “Lucyˮ, et Homo erectus (Rightmire, 1981, 1986, en soutien ; Wolpoff, 1984, en démenti). Le cas antérieur de Lucy semble bien fondé, tandis que les arguments pour notre ancêtre immédiat, Homo erectus, ont inspiré plus de controverse (…) » (Gould, The structure of evolutionary theory, Belknap Press, Cambridge et Londres, 2002, p. 909).
  8. Ces dents et mâchoires fortes indiquent la consommation d’une nourriture végétale difficile à mâcher et à digérer. C’est d’ailleurs une caractéristique de la plupart des primates qui explique qu’ils aient des intestins également plus gros que ceux de l’homme. Cela n’est pas sans conséquence. En effet, selon la théorie des anthropologues Leslie C. Aiello et Peter Wheeler, un gros intestin nécessite beaucoup d’énergie pour assurer sa fonction digestive, ce qui prive un autre organe de l’énergie nécessaire : le cerveau, lequel doit donc rester de petite taille (voir la note 2 de la chronique n° 237 citée ci-dessus). Autrement dit, on peut avoir un gros intestin ou un gros cerveau mais pas les deux !
  9. On a fait quelques progrès depuis 1982 avec la découverte de plusieurs fossiles remarquables. Ce fut d’abord, en 1995, celle d’un fragment de mandibule d’hominine par Michel Brunet au Tchad. Cet individu, appelé Abel, est un australopithèque (Australopithecus bahrelghazali) daté de 3,5 millions d’années (Ma). Cette découverte à 2500 km à l’Ouest de la Vallée du Rift fait beaucoup de bruit parce qu’elle remet en cause la théorie de l’East Side Story d’Yves Coppens, à savoir la naissance de l’homme à l’Est de l’Afrique. (Cet épisode illustre bien ce renouvellement perpétuel des idées scientifiques évoqué au début de la chronique). Puis en 2000, au Kenya, Brigitte Senut et Martin Pickford du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris découvrent des fragments (humérus, fémurs, phalange, mandibules, dents) provenant d’au moins cinq individus d’un hominidé baptisé Orrorin tugenensis. Ces fossiles sont datés d’environ 6 Ma. Leurs découvreurs estiment qu’Orrorin était aboricole mais pratiquait la bipédie et qu’il est à l’origine des hominines. Enfin en 2002, au Tchad encore, Michel Brunet met au jour dans trois sites voisins plusieurs fossiles (un crâne presque complet surnommé Toumaï, des mandibules, des dents et un fragment de fémur) provenant d’au moins six individus. Il s’agit du plus ancien Hominidé connu à ce jour, Sahelanthropus tchadensis, daté de 7 Ma. Une controverse oppose ceux qui (avec Michel Brunet) considèrent que Toumaï est un ancêtre des hommes – un hominine postérieur à la séparation hominine-panine (c’est-à-dire des ancêtres de l’homme et du chimpanzé) – et ceux qui (avec Brigitte Senut) pensent que c’est un ancêtre des grands singes actuels ; tandis que d’autres (comme Camilo J. Cela-Conde et Francisco J. Ayala) estiment qu’on ne peut pas encore conclure (non plus d’ailleurs que pour Orrorin tugenensis et Ardipithecus ramidus).
  10. La thèse que « le singe n’est pas notre ancêtre » voire que « le singe descend de l’homme » est déjà évoquée dans la chronique n° 98, Sous le lampadaire et à côté, 26.07.2010. Aimé Michel y écrit (en 1972) : « nous n’avons pas d’ancêtres que l’on puisse désigner du nom de singe : les singes les plus anciens seraient non point nos ancêtres, mais déjà une divergence de la lignée qui, depuis les origines de la terre, préparait la naissance de l’homme ». J’ai résumé en note 2 de cette chronique n° 98 des arguments plus récents, fondés notamment sur un autre fossile d’hominidé plus ancien que Lucy, Ardipithecus ramidus.
  11. On sait que Christian de Duve, prix Nobel de biologie, n’était pas de cet avis et pensait au contraire que « plusieurs enseignements de la religion sont inconciliables avec les découvertes de la biologie moderne », comme nous l’avons rappelé à propos de la chronique n° 401, La visite nocturne – Croire à quelque chose qu’on ne comprend pas (05.09.2016). Nul doute qu’une lecture superficielle du livre de la Genèse conforte la position de l’éminent biologiste et que la majorité de nos contemporains la considéreront très probablement comme allant de soi. Et pourtant, il suffit de deux doigts de réflexion pour comprendre qu’une telle lecture n’est pas justifiée et que la difficulté n’est pas dans le texte antique mais dans l’esprit du lecteur moderne. Deux citations d’Aimé Michel peuvent aider le lecteur à opérer ce retournement de point de vue : « En lisant la Genèse et en la prenant littéralement, je comprends ma destinée. Mais seulement si je la prends à la lettre, comme une explication de ma solitude et de ma singularité, une explication faite pour moi. Je commence à m’égarer dans le livre saint dès que j’y cherche ce qui en lui n’est pas d’essence religieuse, et si je m’imagine pouvoir, en réfléchissant légèrement sur son récit comme sur un récit quelconque, m’épargner la peine de chercher ce qui est d’ordre scientifique par des raccourcis moins fatigants que la science. La Genèse n’a été donnée aux hommes ni pour leur apprendre la distance de la lune, ni pour révéler si c’est Einstein ou Bohr qui a raison. » (Chronique n° 401, La visite nocturne – Croire à quelque chose qu’on ne comprend pas, 05.09.2016). « La Bible nous révèle qu’à l’origine spirituelle de l’homme il y eut un drame immense et mystérieux, la Chute, que ce drame résulta d’une certaine connaissance de nature spirituelle obtenue en violation d’un avertissement divin, et que ses conséquences durent encore. Quelle trame physique, quelles réalités matérielles (les seules accessibles à la science) exige et suppose le récit biblique ? Mais n’importe lesquelles. (…) Cependant, dit-on parfois, avant la Chute, l’homme était immortel. Cela, c’est physique ! Et non, cela n’est pas physique. Chaque jour, des milliards de cellules de mon corps meurent. La mort a déjà obligé mon corps à se renouveler à peu près entièrement un grand nombre de fois depuis ma naissance. Voilà qui est bien physique ! Quand ai-je éprouvé ces morts innombrables ? Jamais. Quand en ai-je été informé ? Quand les savants l’ont découvert. Et cela ne me fait ni chaud ni froid. (…) Mais enfin, la mort complète du corps, son retour à la poussière, c’est bien de cela que parle la Bible ? C’est certainement de cela – tu retourneras en poussière – mais un peu de moi-même retourne chaque jour en poussière sans que j’en sache rien. La mort, c’est le sentiment de perdre la vie, n’est-ce pas ? Je n’ai pas ce sentiment lorsque je considère mon corps pris “au détailˮ. Comment considérait-il son corps avant la Chute, notre ancêtre ? Il rencontrait YHWH dans le jardin. Il appartient aux théologiens de nous expliquer cette familiarité divine, mais si Yhwh Dieu était dans mon jardin, je sais bien que la mort de mon corps n’aurait pas plus de sens pour moi que celle des cellules de ma rate. Il appartient aux biologistes de me renseigner sur les mésaventures de ma rate et aux préhistoriens sur celles de mon corps à telle époque du passé. » (Chronique n° 353, Darwin contre la Bible : un combat d’arrière-garde – La Bible ne dit que deux choses sur l’origine du corps de l’homme, 09.02.2015).
  12. Cette question des 23 ou 24 paires de chromosomes est discutée dans la chronique qui précédait celle-ci, n° 355, Un premier homme ? Vos chromosomes répondent – Sciences : le récit de la Genèse – 9, 20.02.2017.