L'Eglise n'est pas une ONG - France Catholique
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Van Eyck, l'art de la dévotion. Renouveau de la foi au XVe siècle
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L’Eglise n’est pas une ONG

Traduit par Bernadette Cosyn

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De temps en temps dans l’année, un prêtre italien vient célébrer la messe du dimanche dans notre paroisse. Il est remarquable : grand, ascétique et très sérieux. Quand il élève l’hostie puis le calice, ils restent élevés plus longtemps que dans les mains de tous les prêtres que j’ai pu voir – presque au point de sembler théâtral. Mais ce n’est pas le cas. C’est seulement du respect. Il est également un prédicateur excellent et courageux, ce qui veut dire qu’il est un des rares prêtres que j’ai jamais entendus condamner l’avortement depuis la chaire et l’un des rares qui prennent le temps de parler de ce que l’Eglise enseigne vraiment en matière morale et spirituelle.

Il a récemment parlé de la sainteté. J’ai entendu d’autres prêtres en parler également, mais jamais si nettement contre la tendance à présenter la foi dans le contexte de politique publique : migrations, pollution, pauvreté. Je suis sûr qu’il est attaché à une compréhension orthodoxe de la justice sociale mais, encore une fois, son homélie était contre un accent mis sur les problèmes sociaux et économiques qui ignore l’appel du Christ à la sainteté.

Ce qui m’a le plus frappé était son insistance sur le fait que, quand l’appel à la sainteté est remplacé par un appel pour la justice sociale et économique, l’Eglise risque de se présenter elle-même comme une organisation non gouvernementale (ONG), au point que cela a du sens que les gens cessent de venir à la messe.

Quand ce qui semble définir un « bon chrétien » est le bénévolat et la signature de chèques, quand l’affirmation « je suis religieux à ma façon » semble recevable, pourquoi ne ferais-je pas la grasse matinée le dimanche matin ? Spécialement vrai, je le soupçonne, pour ceux qui ne donnent jamais ni de leur temps ni de leur argent.

Je ne suis de nouveau rappelé comment Helmut Richard Niebuhr (du Synode Evangélique d’Amérique du Nord, mort en 1962) décrivait le christianisme libéral : « un Dieu sans courroux emmène des hommes sans péché dans un Royaume sans jugement par l’entremise d’un Christ sans Croix. »

Et le comble est que, non seulement les libéraux vident les églises avec leur rhétorique politisée, mais ils croient vraiment que c’est la seule façon de faire revenir les gens. Alors, plus les gens partent et plus vigoureusement les libéraux mettent les bouchées doubles sur le message qui a fait partir les gens.

Naturellement, on comprend l’attrait du message social, qui est une extension de l’enseignement du Seigneur sur comment être disciple dans Matthieu 25 :

« J’étais nu et vous m’avez vêtu, j’étais malade et vous m’avez rendu visite, j’étais en prison et vous êtes venus à moi. » Alors les justes lui répondront, disant : « Seigneur, quand t’avons-nous vu affamé et t’avons-nous nourri, ou assoiffé et t’avons-nous donné à boire ? Et quand t’avons-nous vu étranger et t’avons-nous accueilli, ou nu et t’avons-nous vêtu ? Et quand t’avons-nous vu malade ou en prison et sommes venus te visiter ? » Et le Roi leur répondra : « en vérité je vous le dis : ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. »

Pour certains, c’est une preuve irréfutable de l’affirmation libérale qui dit que l’action sociale contemporaine prime sur le dogme traditionnel. Qu’est-ce qui peut tenir contre la science et la politique qui offrent maintenant des solutions objectives indisponibles aux prêcheurs du premier siècle en Palestine ? La charité est mieux gérée par les gouvernements et les organisations non gouvernementales partenaires, et mieux administrée dans l’esprit de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Laissons les gens intelligents, les experts, prendre soin des pauvres.

Eh bien, nous avons travaillé là-dessus avec énergie aux Etats-Unis depuis au moins les années 30. Corrélation n’est pas forcément causalité, mais nous devrions au moins regarder avec circonspection toute expansion de politique de bien être social et d’innovation ecclésiastique puisque leur développement semble aller de pair avec la persistance de la pauvreté et le déclin de l’orthodoxie religieuse.

Et cela ne sert plus à rien de dire que le problème est plus protestant que catholique. Il est vrai, comme James Simpson l’écrit dans « Révolutions permanente : la réforme des racines non-libérales du libéralisme » que « le protestantisme du seizième siècle a conduit à une culture de révolution , répudiant sans cesse ses formes antérieures. Son rejet de la tradition était clivant, violent et insoutenable » mais de nombreux catholiques à travers l’Occident ont assez bien embrassé le même point de vue – essentiellement la thèse-antithèse-synthèse marxiste ; ou dans sa version la plus applaudie : « tous les jours à tous points de vue, je vais de mieux en mieux ». C’était la formulation du psychologue français Emile Coué.

Ainsi que l’exprime monsieur Simpson, chaque jour et de bien des manières, le libéralisme a «  de façon répétée et compulsivement répudié ses propres formes antérieures. » Il ne peut pas s’en empêcher, il ne peut pas s’arrêter.

Bien sûr, quand les marxistes, néo-marxistes ou autres tentent de nourrir, vêtir et soigner les pauvres, ils finissent la plupart du temps par les tuer par millions : une solution cruelle et non chrétienne qui se réalise de nouveau au Venezuela – comme toujours au nom des pauvres.

Comme le disait clairement notre prêtre italien, quand vous évacuez l’émerveillement, la vénération et la quête de la sainteté et du ciel, vous concentrant à la place sur des solutions apparemment utopiques aux problèmes d’ici-bas, les gens « religieux » deviennent simplement des gens qui ont des avis sur tout – engagés dans des débats sur la politique publique : l’immigration, la réforme des prisons, la Sécurité Sociale, l’environnement – toute la gamme des problèmes qui attirent ou repoussent les électeurs et définissent le processus politique.

Nous avons un jour visité une maternelle dans Manhattan quand notre aîné avait quatre ans – pour le dire autrement, nous l’emmenions à un entretien. Le nouveau chef d’établissement a dit : « je ne peux pas attendre pour expérimenter sur ces gamins ! » Cela m’a rappelé les lignes fameuses de Newman dans son Apologia :

« Ma bataille a été contre le libéralisme ; par libéralisme, je veux dire le principe anti-dogmatique et ses développements. C’était le premier point sur lequel j’avais une certitude. Je fais ici une remarque : la persévérance dans une croyance donnée n’est pas une preuve suffisante de sa vérité ; mais s’en séparer est au minimum une insulte envers l’homme qui s’était senti si confiant en elle. »

Une insulte envers l’homme et envers sa Foi.

Brad Miner est rédacteur en chef de « The Catholic Thing », membre de l’Institut Foi & Raison et secrétaire du bureau de l’Aide à l’Eglise en Détresse aux USA. C’est un ancien rédacteur littéraire de « National Review ».

Illustration : « Le Jugement Dernier » par Hans Memling, vers 1470 [Musée National, Gdansk, Pologne]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/06/10/the-church-is-not-an-ngo/