Emmanuel Carrère en quête du Royaume - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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Emmanuel Carrère en quête du Royaume

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Comme dans tous ses livres, Emmanuel Carrère parle beaucoup de lui, trop certainement pour beaucoup mais une fois encore il est pardonné ; car une fois de plus, il parvient à faire partager sa passion de comprendre une époque et des hommes.

Pourtant il s’attaque, cette fois, à un sujet battu et rebattu: les origines du christianisme. Tout commence comme d’habitude par son histoire personnelle, une brève période chrétienne, ou ne faisant rien dans la demi-mesure, il s’attache à commenter verset par verset l’évangile de saint Jean sur des cahiers qu’il remplit quotidiennement, se met à aller à la messe, pas seulement le dimanche mais tous les jours, s’attaque aux fondamentaux de la littérature chrétienne, saint Augustin… Bref une marche forcée qui se terminera en eau de boudin.

Et malgré un égocentrisme démesuré d’ailleurs parfaitement assumé et le fait de se prendre au sérieux, il raconte sa crise mystique entre ses séances de yoga et chez sa psychanalyste de manière parfois drolatique et souvent très émouvante. C’est un homme en quête, bien qu’il ne cesse d’essayer de persuader ses lecteurs qu’il a totalement perdu la foi après trois années de pratique stakhanoviste ; c’est sans doute cet excessivité qui lui a fait perdre aussi vite qu’il avait cru l’avoir trouvée. Ce sont en tous cas ses interrogations personnelles et l’utilisation de la première personne du singulier, le «  je », qui rendent le livre passionnant : car Emmanuel Carrère entreprend de raconter les origines du christianisme en se plaçant non pas du point de vue de l’historien, mais en partant de ce qu’il est, un intellectuel du 21e siècle, né avec une cuillère d’argent dans la bouche, mais désabusé, angoissé et paradoxalement passionné par le monde.

Il revisite ainsi à sa manière une incroyable succes-story, le destin de ces toutes petites premières communautés judéo-chrétiennes, au lendemain de la mort de Jésus. Le Royaume n’est donc ni un roman historique, ni un livre d’histoire, et pas non plus un ouvrage à prétention théologique, mais un récit très singulier où se mêlent méditation personnelle, textes bibliques et travaux des exégètes, savoir historique, suppositions personnelles, inventions pures ; et pourtant la mayonnaise prend. L’histoire centrée sur Paul et Luc, devient vivante car elle est totalement incarnée. Elle l’est notamment lorsque l’auteur conte l’histoire de Luc, auquel il s’identifie en partie.

Certains seront peut-être choqués qu’il utilise des anachronismes, en comparant, par exemple Paul à Trostsky, mais c’est par cet artifice qu’il rend les apôtres contemporains. Il y a certes des erreurs grossières et qui sont même étonnantes, du fait de l’érudition de l’auteur mais il n’empêche qu’il réussit, 2000 ans après, à s’étonner et même parfois à s’émerveiller devant la radicale nouveauté de l’évangile, le renversement de toutes les valeurs, et la perspective d’un Royaume auquel il voudrait tant croire. C’est pour cela qu’il ne faut pas craindre de le lire, car n’est-il pas nécessaire, parfois, pour ne pas rester en chemin , de se confronter au questionnement de ceux qui affirment ne pas croire ?