Ecouter de la musique à l'heure de la mort ? - France Catholique
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Ecouter de la musique à l’heure de la mort ?

Et si la musique était une belle façon d'accompagner la mort, en unissant dans une beauté partagée l'agonisant et ses proches ? Une musicologue s'attache à promouvoir cette approche pratiquée naguère.

Traduit par Pierre

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Mort et montée au ciel de St. François – Giotto, vers 1335 – Basilique St. François, Assise.

Alors qu’elle était âgée de 18 ans, Elaine Stratton Hild proposa à un hôpital local de jouer bénévolement du violon pour les malades. Le premier jour, une infirmière lui demanda de se rendre dans la chambre d’une dame qui souhaitait entendre « Amazing Grace ». Cette femme était seule ; fermant les yeux et laissant la musique infuser, la jeune femme joua l’air demandé. Rouvrant les yeux, elle s’aperçut que la femme s’était tournée vers la fenêtre et avait cessé de respirer.

Le témoignage d’Elaine Stratton Hild (en anglais) :

CODA: Elaine Stratton Hild from VideoND on Vimeo.

Plus récemment, devenue docteur en musicologie, Elaine Stratton Hild a mené une étude passionnante sur le plain-chant pratiqué au Moyen Âge dans diverses communautés pour accompagner les agonisants. Il existait alors des liturgies pour réconforter les mourants. Toute la communauté des parents et amis pouvaient accompagner ainsi la personne à l’agonie. Nul, pensait-on, ne devait mourir dans la solitude. Et nul ne devait mourir sans le soutien de la communauté des croyants qui prendraient soin à la fois du corps et des besoins émotionnels et spirituels de l’âme.

Bien des pratiques ont été mises en oeuvre pour aider, « accompagner » l’agonisant, tant physiquement que spirituellement. Une maman de trois enfants qui avait vécu précédemment une période de noviciat dans une communauté religieuse racontait qu’au son d’une certaine cloche tout le monde abandonnait les tâches en cours pour se rendre au chevet de la sœur mourante. Toute la communauté, rassemblée dans la salle d’entrée, chantait des cantiques pendant le décès de cette personne.

Cette mort que l’on cache

La plupart d’entre nous semble avoir oublié comment se comporter avec l’agonisant. La tendance actuelle serait d’isoler le mourant . Un ami a envoyé voici quelques semaines le récit de l’œuvre de Mlle Stratton Hild après la parution de mon article dans The Catholic Thing où j’exhortais évêques et prêtres à assumer davantage le fardeau des familles frappées par le décès d’un membre de la paroisse. La veillée, le rosaire, la cérémonie mortuaire, devraient se dérouler dans l’Église, face à l’autel et à la croix, et non dans un funerarium.

Les corps n’ont nul besoin d’être embaumés — pratique au passage désatreuse pour l’environnement — et on devrait inhumer les gens dans un simple cercueil de bois, en terre, dans le cimetière de l’église selon la coutume séculaire. Dépenser des milliers de dollars pour enterrer un corps en considérant la Messe comme une formalité mineure n’a guère plus de sens que la dépense de milliers de dollars pour des festivités de noce laissant de côté la messe de mariage. (et pourtant, cela arrive…).

L’Église, j’en suis maintenant convaincu, devrait offrir son assistance et la présence consolatrice du Corps du Christ non seulement lors de la mise en terre mais tout au long de la période du décès. Disant « l’Église », je ne limite pas mon propos au clergé.

Je ne tiens pas à minorer le rôle des prêtres et religieuses. Je pense qu’on ne peut rien voir dans un hôpital de plus réconfortant qu’une infirmière portant l’habit de religieuse. Les catholiques en voient tout le temps. Mais nous ne faisons guère mieux (pourquoi ?). Mais prêtres et religieuses ne peuvent tout faire, ils ne peuvent apporter que ce qu’apporte une communauté. Et nous ne pouvons penser que nous décharger sur elles et eux est comparable au transfert opéré sur les médecins et les infirmières.

Comment faire ?

Le désir de chaque mourant que j’ai connu était de mourir chez lui. Aucun n’a été exaucé. Et dans un hôpital l’éventualité d’entendre de la musique, des cantiques, un brin de liturgie, ou d’être en permanence entouré de proches, de membres de la famille, est quasi-inexistante.

Nous nous sommes laissés disséminer en cellules éparses par notre culture moderne. Et ainsi nous n’avons aucune défense contre les institutions qui promettent de prendre soin de nous, mais sont de plus en plus menaçantes. Le monde médical a un rôle incommensurable pour traiter les mourants, mais ce n’est qu’un rôle partiel. Nul ne devrait être laissé seul au moment de mourir, à l’hôpital, loin de son foyer.

J’ai eu récemment le privilège d’assister à une célébration funèbre de rite melkite [N.d.T. : rite catholique grec] à la mémoire du père d’une femme de ma connaissance. Triste, mais magnifique et profondément émouvant. Seul côté tragique : l’homme objet de cette célébration, ne pouvait y assister, en profiter. Je ne plaisante pas (était-il en retard pour ses propres obsèques?). Selon moi, on ne peut guère imaginer pour quelqu’un qui s’éteint plus beau et consolant que ce genre de liturgie.

Revenir aux sources

Il nous faut retrouver les liturgies et pratiques collectives de l’Église au cours des siècles pour réconforter les agonisants et consoler les familles, disparues depuis que notre société a décrété qu’il s’agissait d’une « conclusion médicale ». Nous heurtons les gens si nous ne reconnaissons pas l’importance d’un repas ou d’une conversation avec autrui, du rire, du contact, de la musique, du chant, de la présence chaleureuse d’amis, de proches, de voisins. Ce qui est bien vrai au cours de l’existence ne l’est pas moins en fin de vie.

La mort n’est pas une défaillance de l’homme. Elle est la fin naturelle de la vie. De plus, le Christ a appelé Ses disciples à comprendre que si le grain de blé tombe à terre et meurt il ne demeure que semence, mais,s’il meurt il porte beaucoup de fruit. St. Paul écrirait plus tard que « si nous mourons avec le Christ nous croyons que nous vivrons aussi avec Lui. » Est-ce dans notre foi ? Alors, il nous faut entourer les gens emplis de cette foi lorsqu’ils entament leur dernier voyage.

Publication originale : 29 juin 2019.

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