Continuité stratégique ou rupture psychologique ? - France Catholique
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Continuité stratégique ou rupture psychologique ?

Conflit en Ukraine

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Investiture de Poutine comme président de la Russie le 7 mai 2012 (3e mandat).

Investiture de Poutine comme président de la Russie le 7 mai 2012 (3e mandat).

© Bureau de presse du Kremlin

« Fou », « monstre », « paranoïaque »… Les qualificatifs n’ont pas manqué pour qualifier Vladimir Poutine, sitôt officialisée l’offensive russe en Ukraine le 24 février au matin. La psychiatrisation de l’adversaire – sinon de l’ennemi – est une réaction compréhensible face au déclenchement massif d’une violence qui sidère les démocraties occidentales, préservées de conflits de haute intensité depuis presque huit décennies. L’exercice de la puissance par l’outil militaire, et non par l’économie, la démographie, le droit ou la culture paraît désormais une anomalie, une obscénité, une folie, alors que ce fut une constante au cours des siècles passés. Néanmoins, l’agression russe – car c’en est une, n’en déplaise aux euphémistes qui évoquent plutôt une simple « opération militaire » – invite à se demander si le profil psychologique du maître du Kremlin a changé au cours de la période récente, ou bien si la décision qu’il vient de prendre constitue l’aboutissement logique d’une politique engagée depuis son accession au pouvoir en 1999.

Dessein profond

En envahissant l’Ukraine, estiment certains, le Président russe ne ferait que poursuivre une stratégie de sécurisation de ses marches menée depuis longtemps : Tchétchénie (1999-2000), Géorgie (2008), Crimée (2014). Interrogé dans Ouest France (24/02), le chercheur Adrien Donjon rappelle ainsi qu’« il est animé par une volonté de reconstruire, rebâtir la puissance perdue de l’empire russe et de l’Union soviétique. Pour lui, l’indépendance de l’Ukraine en 1991, la perte de la clé de voûte de cette économie d’empire, est une erreur historique, la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle. Il veut sortir de l’humiliation qu’a été l’après-guerre froide… Un sentiment largement partagé en Russie ».  Dans Le Monde (24/02), Jérôme Fenoglio évoque pour sa part un « dessein profond, qui est de redessiner la carte de l’Europe en se réappropriant une sphère d’influence ». Une continuité donc. Pas une rupture ? Pas si simple… Plusieurs voix estiment ainsi que le déclenchement de cette nouvelle guerre procède de ressorts psychologiques nouveaux. Renaud Girard, grand reporter au Figaro et spécialiste des questions internationales, qui a longtemps soutenu que Vladimir Poutine n’envahirait pas son voisin, a reconnu avec humilité une erreur d’appréciation. « Je croyais Poutine rationnel. Il a en fait une vision paranoïaque des événements. Il a parlé d’une nazification en Ukraine qui n’existe pas. Il parlé de missiles nucléaires en Ukraine qui n’existent pas. Il a une sorte de complexe obsidional » a-t-il commenté dans une story, mise en ligne sur le site du quotidien (24/02). « Il est peut-être même dingue » a-t-il renchéri sur CNews (24/02).

Erreur historique ?

Hubert Védrine lui-même, pourtant tenant d’une vision géopolitique réaliste, peu suspect de se laisser conduire par une lecture idéaliste ou émotionnelle des événements, estime que les ressorts de l’agression de l’Ukraine sont fondamentalement irrationnels. Dans une interview accordée à Eugénie Bastié dans Le Figaro (24/02), l’ancien ministre des Affaires étrangères souligne que « le Poutine de 2022 est largement le résultat, tel un monstre à la Frankenstein, des errements, de la désinvolture et des erreurs occidentales depuis trente ans », mais constate-t-il, « il vient de prendre une décision non seulement condamnable mais absurde de son point de vue. […] C’est une erreur historique ». La résistance inattendue des forces ukrainiennes, encore vivace à l’heure de boucler ce numéro de France Catholique (28/02), a déjà suscité plusieurs analyses qui vont en ce sens. Ce nouveau champ de bataille pourrait être un « nouvel Afghanistan » pour la Russie commence-t-on à lire. Dans un article de L’Express (26/02) intitulé « Le risque de guérilla : un cauchemar pour Poutine », Paul Véronique affirme ainsi qu’« une victoire militaire de Moscou pourrait n’être que le début des ennuis pour Poutine ». Sans doute est-il encore trop tôt pour miser sur ce scénario. En revanche, si l’irrationalisme du leader russe se confirme, la mise en alerte de la force de dissuasion russe, annoncée le 27 février, apparaît dans cette optique comme une inquiétante escalade.