À propos de limites - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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À propos de limites

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En latin, le mot Limes voulait dire une limite de propriété, souvent marquée par une pierre/un poteau. Au deuxième siècle après J.C, les limites reculées de l’empire romain s’étendaient de l’Écosse à l’Arabie. En anglais, nous avons de nombreuses expressions – « limites d’âge », « limite de vitesse », « opportunités illimitées », « seulement pour un temps limité », et les « limites de la ville ». Le titre d’un livre de Schall est : A la limite de la philosophie politique.

La caractéristique d’une limite, c’est qu’une chose est ce qu’elle est, et pas autre chose. Elle ne peut pas être autre chose, ni toutes les autres choses, mais seulement juste ce qu’elle doit être – cette chose-ci, pas celle-là. Nous ne voulons pas que quelque chose qui dépasse continuellement ses limites devienne ce qu’elle n’est pas.

Les limites des eaux territoriales indiquent jusqu’où – trois milles, 200 milles – la juridiction d’un pays s’étend dans l’océan, jusqu’au point de départ de la haute mer. «  Au-delà des limites de l’endurance » indique ce que nous pouvons nous attendre raisonnablement à voir quelqu’un supporter ou accomplir. Nous pourrions admettre que le 100 mètres sera couru en neuf secondes, mais pas en deux secondes.

Le mot limites a de nombreux bons synonymes – frontières, bordures, et séparations. « Les bonnes bordures (barrières) font les bons voisins » car cela ne laisse pas beaucoup de place pour les différends sur qui possède quoi. Si, entre chez vous et chez moi, la séparation est claire, nous avons tous les deux la liberté et la responsabilité de faire prospérer notre propriété. Les disputes de bordures et de séparations sont l’occasion de beaucoup de bagarres, litiges, batailles et même de guerres.

Les Grecs pensaient que le mot « infini » signifiait un chaos informe. Les temples grecs étaient des espaces fermés et limités. C’est seulement plus tard, au moyen âge, que le mot « infini » en est venu à faire référence à Dieu dont on dit qu’il est sans limites et au-delà de tout, mais en tous cas pas un chaos. Dieu était la perfection vers laquelle toutes les choses limitées tentaient. Il n’était pas leur négation.

Dans son livre écrit en 1980, Une théorie générale de l’autorité, Yves Simon remarquait que, pour nous permettre d’être nous-mêmes, ce que chacun de nous est, nous ne pouvons pas être autre chose. Nous pouvons savoir ce que nous ne sommes pas. En fait, c’est pour le savoir que nous avons une intelligence. Mais nous ne pouvons « être » que nous-mêmes. Le fait que chaque chose substantielle soit unique explique pourquoi nous ne pouvons pas assimiler une personne à une autre. Nous ne pouvons pas dire « John est Joe ». Si la proposition « John est Joe » est vraie, cela veut dire qu’il n’existe vraiment ni John, ni Joe.

Pourquoi est-il nécessaire de penser aux limites, à la finitude, et aux séparations ? Tout d’abord, je pense, parce que certains d’entre nous considèrent que les limites qui nous sont données sont en quelque sorte un défaut de notre être, alors qu’elles sont la condition nécessaire pour que nous existions, en premier lieu. Nous sommes des êtres limités par la mort, ou tout au moins, c’est le cas en apparence. Dans la résurrection, nous ne devenons pas quelqu’un d’autre, différent de ce même moi conçu un jour, et né dans ce monde. La vie éternelle ne nous absorbe pas dans le grand tout. Nous ne devenons pas Dieu, ou vice versa.

En d’autres termes, c’est bien d’être un être limité. Il y a de la place dans l’univers pour plus que pour Dieu. Dans ce même univers, le désordre augmente quand un être limité s’efforce d’agir en dehors des limites de son être propre. Le titre du livre d’Owen Francis Dudley – Les hommes seront-ils comme des dieux ? – pose une question légitime. Car c’est un fait que les hommes s’efforcent d’être comme des dieux ; c’est-à-dire des créatures sans les limites de leur être propre, des êtres qui vont eux-mêmes s’efforcer de définir la distinction entre le bien et le mal plutôt que de l’accepter de Dieu.

Thomas d’Acquin disait que le seul moyen pour nous d’avoir un univers est qu’il comporte des êtres différents les uns des autres, de valeur plus ou moins grande. Si toutes les choses sont également identiques, on ne peut pas avoir d’univers. Le fait que les choses sont limitées à être ce qu’elles sont, signifie que nous ne devrions pas être envieux de ce que nous ne sommes pas. Les différentes choses ont chacune leur place.

Le bien commun veut dire que nous permettons à toutes choses de s’épanouir dans les limites qui lui sont données. Et je répète que nous pouvons nous réjouir de ne pas être autre que ce que nous sommes dans nos spécificités. Tout le désordre dans l’univers des hommes est le résultat de tentatives d’être autre que ce que chacun est.

Les hommes seront-ils comme des dieux ? Souvent ils vont l’essayer, comme le montre l’histoire de notre espèce. Vont-ils y arriver ? Ils y arriveront en détruisant, en plus de leur monde, ce qu’ils sont eux-mêmes dans leur poursuite de ce qu’ils ne peuvent pas être. Les limites de notre être nous permettent d’être ce que nous sommes et pas quelqu’un ou quelque chose d’autre. Ce n’est pas nous qui nous donnons ce que nous sommes, cela nous est donné.

Nous avons des tentatives scientifiques pour allonger la durée de nos jours. Si elles réussissent, ce que nous aurons, ce ne sera pas des vieillards, mais des grands grands vieillards. Nous nous languirons alors de nos limites d’origine.

5 décembre 2017

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/12/05/on-limits/

Photo : Espace fini: les terrains de Polo, 1913.