Revenant à Amherst College, dans les turbulentes années 1960, je fus frappé par l’apparence de ce que l’on pourrait appeler un « Augustinien à l’envers ». Il s’agissait d’un étudiant qui fulminait contre la guerre au Vietnam et insistait pour que les gens se débarrassent de leur réticence à porter des jugements moraux. Cependant, il n’aurait porté aucun jugement moral sur un autre étudiant, habitant dans la même maison que lui, et qui était en train de dépérir de manière plutôt évidente à cause de la drogue.
Augustin pensait qu’un gouvernement ne pouvait pas s’empêcher d’être immoral, parce que les hommes utilisant les leviers du pouvoir se trouvent tôt ou tard en train de faire des choses nuisibles. Il nous conseillait plutôt de nous occuper de notre propre personne, même lorsque les pouvoirs du gouvernement récompensaient le vice et avilissaient l’honneur.
Cet étudiant des années 1960 pouvait porter des jugements surtout sur le gouvernement, sur des sujets plutôt éloignés de sa propre expérience, mais pour les actions qui se déroulaient sous ses yeux, il ne pouvait pas fournir de jugement moral.
Un autre étudiant que je connaissais, partit un matin à deux heures pour aller chercher un nouveau membre de sa maisonnée, échoué et malade à ce moment-là dans un centre commercial fermé près de Boston. Je lui demandai : « Est-ce un de vos amis ? ». Non. « Alors pourquoi êtes vous allé le chercher ? » La réponse fut : « Il fallait que quelqu’un le fît. »
L’écart concerné ici touchait à ce que certains d’entre nous considèrent comme le cœur de la question de la « subsidiarité » et du fédéralisme, c’est-à-dire que les décisions devraient être prises au niveau local le plus pratique, parce que cette manière de faire offre aux gens un encouragement à prendre la responsabilité de personnes et de choses à leur portée.
Mais notre Constitution contient également un engagement à préserver « une forme républicaine de gouvernement » dans chacun des États. Comme je le signalais lors de l’article précédent (L’attrait de la subsidiarité, ndt), une prise de conscience s’était faite de ce que plus petite était l’enclave, plus il était facile aux familles ou factions puissantes de prendre le pouvoir et de le faire évoluer en tyrannie locale.
La protection des minorités locales peut dépendre d’une autorité plus lointaine, qui ne soit pas sous le joug politique des personnes puissantes localement. Cette responsabilité du gouvernement fédéral fut considérablement augmentée avec le 14e amendement, après la Guerre de Sécession, lorsque nous nous sommes retrouvés à déterminer les implications de la « nation ».
Mais cette possibilité d’intervention était présente dès le début. Elle venait de la conscience que l’objet du projet dans son ensemble était de « verrouiller » les droits naturels et un gouvernement dépendant « du consentement des gouvernés ». De la même manière, le régime de « subsidiarité » dans l’enseignement de l’Église n’en est pas un qui trouve quelque chose d’admirable de façon immanente dans l’utilisation des lois pour délimité une éthique locale différente, indépendamment du fait que cette éthique soit décente ou non. Le régime de subsidiarité prend place dans un régime politique plus large qui cherche à préserver, par-dessus tout, un pays dirigé vers une juste fin.
Je mentionne ces questions parce que les réactions à mon dernier article ont fait ressortir l’attrait de certains lecteurs pour des éléments comme le 10e amendement (« Les pouvoirs qui ne sont pas délégués aux États-Unis par la Constitution, et qui ne sont pas interdits aux États par cette dernière, sont réservés aux États respectivement, ou au peuple. »)
Un lecteur semblait attiré par cette disposition comme si elle fournissait un moyen clair et définitif d’isoler les communautés locales d’un gouvernement fédéral issu d’une Gauche agressive. Ce serait comme si le 10e amendement nous soulageait de façon magique de la nécessité de débattre des principes ou droits qui sont si fondamentaux que nous pourrions regarder avec indifférence s’ils sont déniés dans l’un ou l’autre État.
Rien n’a été plus caractéristique de la loi locale dans ce pays que les lois sur le mariage et sur la famille. Et pourtant, aucun des juges conservateurs ne dira que la Cour Suprême a eu tort, en 1967, d’abroger les lois qui limitaient le mariage selon des frontières raciales. Il n’est pas non plus concevable que l’on eût pu simplement invoquer le 10e amendement, ni alors, ni maintenant, dans le but de conserver intactes et incontestées les lois qui interdisaient le mariage des Noirs et des Blancs.
Encore une fois, ce qui se présente ici est la recherche d’un moyen pratique, dans la Constitution, qui nous permette d’éviter ces arguments épineux à propos des « droits » et des « personnes » qui sont protégés par la Constitution. La Constitution est au service de son premier but qui est de fournir une structure de gouvernance, plutôt qu’un inventaire exhaustif de droits. Il devient tout à fait utile de connaître des choses telles que : qui deviendra Président, et à qui les militaires doivent-ils obéir, lorsqu’un président meurt en exercice, ou si un État peut mettre à disposition son territoire comme base navale pour un autre pays.
Ce sont là des questions simples et structurelles, et elles ne sont généralement pas litigieuses.
Mes lecteurs savent sans doute que je soutiens au fil des années la nécessité de continuer à aller « au-delà » du texte de la Constitution, jusqu’aux principes que les Fondateurs ont utilisés pour cadrer la Constitution, les principes qui seraient là même s’il n’y avait pas de Constitution.
Notre ami et conseiller, Michael Uhlmann, a fait remarquer que la notion même d’un gouvernement aux pouvoirs limités est tiré de principes plus profonds qui n’ont jamais été inscrits dans le texte de la Constitution. Pour nous faire une fois encore prendre conscience que ces principes sont là pour appliquer la loi naturelle.
Pourquoi se trouve-t-il des catholiques qui cherchent un moyen d’éviter ce salutaire exercice et qui pensent qu’en l’évitant, ils trouveront la sécurité ?
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Tableau : La Constitution par Barry Faulkner, 1936 [National Archives, Washington, DC]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/06/28/revisiting-subsidiarity-temptations-and-limits/