Mille signaux l’indiquent : la prière pour la France, longtemps mise sous le boisseau est peut-être en train de connaître une nouvelle vigueur. Sans doute les nuages qui s’amoncellent sur le pays expliquent-ils en partie ce regain…
Quelques exemples ? Proposée par l’application de prière Hozana, la grande neuvaine à saint Michel, protecteur de la France, qui a débuté le 21 septembre, affichait plus de 120 000 inscrits quelques jours seulement après le lancement de la proposition. Le 15 août, à l’occasion de la fête de l’Assomption, les évêques de France diffusaient une proposition de prière pour la France, pour que notamment « dans notre pays, désormais en déclin démographique, la vie à venir soit accueillie, respectée et que les futurs parents soient soutenus et encouragés pour le bien et l’avenir de toute la société ». Le 13 septembre, le diocèse de Paris organisait à Notre-Dame une messe d’action de grâce pour la France, en hommage aux seize carmélites de Compiègne, guillotinées en haine de la foi le 17 juillet 1794, et canonisées en décembre dernier par le pape François. Sans oublier le Grand Pèlerinage de l’Espérance, organisé à Domrémy (Vosges) pour le 600e anniversaire de l’apparition de saint Michel à Jeanne d’Arc.
Fondements bibliques
Prier pour son pays est une démarche qui puise ses sources dans les textes bibliques les plus anciens. Un passage du livre d’Ézéchiel est particulièrement explicite à cet égard. Yahvé, après avoir exprimé sa colère face à l’état de déchéance morale dans lequel est tombée Jérusalem, « ville au nom souillé, pleine de désordres » (22, 5), qu’il menace de la fournaise, se désole que personne n’implore sa clémence et sa protection : « J’ai cherché parmi eux quelqu’un qui construise une enceinte et qui se tienne debout, devant moi, pour défendre le pays et m’empêcher de le détruire, et je n’ai trouvé personne » (22, 30). Le message divin est clair : la prière est le seul acte efficace qui aurait pu attirer sur Jérusalem la clémence de Dieu.
Plus tardivement, saint Paul a laissé des passages explicites qui soulignent l’importance de la prière pour son pays. Dans la première Épître à Timothée, l’apôtre des Nations exhorte « à faire des prières, des supplications, des requêtes, des actions de grâce, pour tous les hommes, pour les rois et pour tous ceux qui sont élevés en dignité, afin que nous menions une vie paisible et tranquille, en toute piété et honnêteté » (1 Tm 2, 1-2). À suivre le prophète et saint Paul, prier pour son pays, c’est donc non seulement agir pour lui éviter les pires calamités, mais aussi pour lui obtenir grâces et bienfaits.
Un recours ancien
Cette injonction, la terre de France – ou de Gaule jadis – l’a faite sienne à de nombreuses reprises au cours de l’histoire, depuis le fameux vœu de Clovis prononcé pendant la bataille de Tolbiac (novembre 496), lorsqu’il implora le « Dieu de Clotilde », son épouse chrétienne, de lui donner la victoire sur les Alamans qui étaient sur le point de l’emporter. C’est ce vœu qui le conduira à recevoir le baptême peu après, en compagnie de ses guerriers, dans un enchaînement qui n’est pas sans rappeler la conversion de l’empereur Constantin après la bataille du pont Milvius en 312.
Prier pour obtenir la victoire des armes est loin d’être la seule modalité de la prière pour son pays, même si les images d’Épinal, la littérature ou même le cinéma plus récemment en ont sans doute fait la plus symbolique. C’est même une prière qui pose de profondes questions morales puisqu’après tout, prier pour la victoire, c’est aussi prier pour la défaite de son ennemi, pour sa destruction, pour sa mort… Ainsi, dans sa lettre au roi d’Angleterre datée du 22 mars 1429, Jeanne d’Arc menace-t-elle d’« occire » tous les Anglais s’ils ne quittent la terre de France…
Nécessaire réparation
Bien souvent, la prière pour la France prend plutôt la forme d’une prière de réparation à la suite d’une grande catastrophe, imputée à l’état de péché du pays, et l’on retrouve ici un écho direct du verset d’Ézéchiel.
En la matière, l’histoire de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, à Paris, est l’une des plus marquantes : elle procède du Vœu national de pénitence rédigé par Alexandre Legentil en 1871, après l’effondrement de la France face à la Prusse. « Nous nous humilions devant Dieu, et réunissant dans notre amour l’Église et notre patrie, nous reconnaissons que nous avons été coupables et justement châtiés. Et pour faire amende honorable de nos péchés et obtenir de l’infinie miséricorde du Sacré-Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ le pardon de nos fautes, ainsi que les secours extraordinaires qui peuvent seuls délivrer le Souverain pontife de sa captivité et faire cesser les malheurs de la France, nous promettons de contribuer à l’érection, à Paris, d’un sanctuaire dédié au Sacré-Cœur de Jésus », écrit-il dans des termes qui seront approuvés par le cardinal Guibert, archevêque de Paris.
Fille aînée de l’Église
Prier pour obtenir la victoire, pour assurer la continuité dynastique – comme le demanda Saint Louis à saint Thibaut de Marly vers 1239 –, pour être épargné par une épidémie – ce fut l’objet du Vœu des Échevins lyonnais en 1642 – ou même pour obtenir des récoltes abondantes – les rogations –, n’a pas manqué d’attirer les ricanements des sceptiques qui n’y voient que superstitions, ou ce que Fouquier-Tinville appelait sous la Révolution des « croyances puériles », de « sottes pratiques de religion ». Aveuglés par les Lumières, ils ne voient pas non plus les signes tangibles qui manifestent l’intérêt du Ciel pour la fille aînée de l’Église et qui se traduit par des interventions providentielles dans son histoire.
Certains faits sont si anciens qu’il est difficile de les documenter, à commencer par l’arrivée en Provence de la famille de Béthanie – Marthe, Marie et Lazare – au premier siècle. Mais, plus près de nous, plusieurs épisodes témoignent de la sollicitude céleste comme la fin de la Terreur, survenue dix jours après le martyre oblatif des carmélites de Compiègne en 1794, ou encore l’interruption de l’offensive prussienne après l’apparition de Pontmain (Mayenne), le 17 janvier 1871.
Regards pontificaux
Dans un climat moins tragique, affirmer aujourd’hui que le marasme dans lequel s’englue la France est peut-être aussi le fruit de « l’apostasie silencieuse », dénoncée par Jean-Paul II dans l’exhortation apostolique Ecclesia in Europa en 2003, reste un acte qui expose des sceptiques. Il n’empêche que se priver aujourd’hui des secours de la Providence de manière délibérée relève du désespoir et du suicide. « À la racine de la perte de l’espérance se trouve la tentative de faire prévaloir une anthropologie sans Dieu et sans le Christ […]. Les signes de la disparition de l’espérance se manifestent parfois à travers des formes préoccupantes de ce que l’on peut appeler une “culture de mort” », écrivait encore le Pape polonais, dans son exhortation, demeurée d’une criante actualité. Tout comme la prière adressée en 1937 à la Sainte Vierge par son prédécesseur Pie XII, alors qu’il était encore le cardinal Pacelli, lors d’une visite à Notre-Dame de Paris, à l’occasion d’un voyage à Lisieux : « Que par vous la France, fidèle à sa vocation, soutenue dans son action par la puissance de la prière, par la concorde dans la charité, par une ferme et indéfectible vigilance, exalte dans le monde le triomphe et le Règne du Christ, Prince de la Paix, Roi des rois et Seigneur des seigneurs. »
L’heure reste à l’espérance comme l’a rappelé récemment le pape Léon XIV dans la lettre qu’il a envoyée le 28 mai dernier aux évêques de France : « Dieu peut, moyennant le secours des saints qu’il vous a donnés et que vous célébrez, renouveler les merveilles qu’il a accomplies dans le passé. »