Léon XIV, un « fils de saint Augustin » - France Catholique
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Léon XIV et saint Augustin
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Léon XIV, un « fils de saint Augustin »

L’évêque d’Hippone a laissé une œuvre considérable, qui continue d’inspirer l’Église et le Saint-Père, Léon XIV, issu de l’Ordre de Saint-Augustin. Entretien avec le Père Emmanuel-Marie, abbé des chanoines de Lagrasse.
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Saint Augustin avec la Vierge et l’Enfant-Jésus, Bartolomé Esteban Murillo, vers 1670, musée des Beaux-Arts de Séville.

« Je suis un fils de saint Augustin. » Dès sa première apparition à la loggia de la basilique Saint-Pierre de Rome, Léon XIV s’est placé dans la filiation de l’évêque d’Hippone. Rien de plus naturel pour ce religieux, issu de l’Ordre de Saint-Augustin, qui a d’ailleurs choisi pour devise épiscopale, puis papale, un extrait d’un commentaire de Psaume de l’auteur des Confessions : « In Illo uno unum », « En celui qui est un, soyons un ». Ou qui a conservé, pour ses armoiries papales, celles choisies lors de sa consécration épiscopale et où figure un cœur enflammé, percé d’une flèche et posé sur un livre, en référence à une phrase de saint Augustin : « Tu as percé mon cœur de ta Parole, et je t’ai aimé. » La spiritualité augustinienne se retrouve jusque dans sa croix pectorale, qui abrite des reliques de saint Augustin et de sainte Monique, mais aussi de deux évêques de l’Ordre : saint Thomas de Villanova, archevêque de Valence du XVIe siècle, ainsi que le bienheureux Anselmo Polanco, évêque de Teruel martyrisé par les Républicains espagnols en 1936. Enfin, son premier déplacement en dehors de Rome fut au sanctuaire Notre-Dame-du-Bon-Conseil de Genazzano, confié aux religieux augustins depuis le XIIIe siècle.

Depuis, Léon XIV n’a eu de cesse de citer saint Augustin dans ses homélies et discours. « Une grande part de ce que je suis, je le dois à l’esprit et à l’enseignement de saint Augustin » a-t-il expliqué le 28 août dans un message vidéo adressé à la province augustinienne de saint Thomas de Villanova. Le 1er septembre, célébrant la messe votive à l’Esprit Saint pour l’ouverture du chapitre général de l’Ordre, le Pape a proposé une homélie sur la Pentecôte, tirée des enseignements de l’évêque d’Hippone. Il y a mis en lumière trois notions : « Écoute, humilité et unité. » Plus que jamais vivant et actuel, saint Augustin apparaît donc comme la figure tutélaire de ce nouveau pontificat. L’occasion, pour les fidèles, de (re)découvrir l’héritage immense laissé par l’évêque d’Hippone. 
Constantin de Vergennes


« La paix soit avec vous ! » Dans quelle mesure les premiers mots prononcés par Léon XIV l’inscrivent-ils dans une filiation augustinienne ?

Père Emmanuel-Marie : Léon XIV regarde l’époque actuelle, marquée par tant de divisions et de violences – époque où l’unité est si difficile à réaliser. Il peut faire le lien avec le temps de saint Augustin : l’Empire romain allait s’écrouler sous les coups des barbares, l’Église d’Afrique était divisée par le schisme des donatistes [hérésie qui prétendait que la validité des sacrements dépendait de la sainteté des ministres qui les dispensaient, NDLR]. Mais comment obtenir la paix ? Elle est pour Augustin la tranquillité de l’ordre, l’ordre de la justice et surtout l’ordre de l’amour, une harmonie. Mais la charité et l’unité sont des dons du Christ au monde et à l’Église. Alors c’est vrai, le Pape rejoint Augustin, pour qui Jésus est la source de toute paix. Toutes nos intentions et actions, disait Augustin, doivent tendre vers cette paix qui anticipe la paix de l’Éternité.

En quoi consiste exactement l’unité dont parle saint Augustin, souvent évoquée par le Pape ?

Augustin, en lisant saint Jean, place le fondement de l’unité dans la Trinité : unité substantielle mais distinction des personnes. Il perçoit aussi que l’unité se réalise dans le Christ fondant l’Église en lui. Pour Augustin, ce qu’il appelle le « Christ-total », la tête et les membres, est « un ». Puisque nous formons un corps, nous devons affirmer que l’unité est essentielle, mais qu’elle intègre la diversité des membres.

Léon XIV y est donc logiquement sensible…

Tout à fait, puisqu’il en a fait sa devise : « In Illo uno unum », « En lui seul [Jésus-Christ], nous sommes un » ! Cette phrase est tirée du commentaire de saint Augustin sur le Psaume 127. Dans sa catéchèse du 14 juin, consacrée à saint Irénée de Lyon, Léon XIV a rappelé : « Distinguer est utile, diviser jamais. Jésus est la vie éternelle parmi nous : il rassemble les opposés et rend la communion possible. » Ce que Léon XIV poursuit, c’est donc une unité – pour l’Église et pour le monde – qui respecte les personnes, leur complémentarité, et où la communion naît de la charité.

Quelle est la spécificité de la relation qu’entretient saint Augustin avec le Christ ?

Tout naît de l’expérience d’une rencontre personnelle avec le Christ. Mais s’il avait toujours cru en Dieu, Augustin a longtemps méprisé l’Évangile ! Il cherche, il doute, il est même angoissé. Puis il comprend que Dieu s’est fait humble en se faisant chair. Il expérimente alors la miséricorde d’un Dieu qui s’est abaissé jusqu’à sa propre misère. Le Christ devient pour lui le médecin qui guérit, qui rend la vue. Sa Croix est l’arche sur l’océan qui mène à la vraie Patrie. Le Christ lui rend une unité personnelle tant recherchée. Puis l’unifie avec ses frères dans l’Église. Jésus-Christ va devenir un ami, le Maître intérieur qui parle au cœur même. Je retrouve cela en écoutant Léon XIV.

Cette rencontre passe par l’intériorité…

L’intériorité est une pièce maîtresse de la spiritualité augustinienne. Là encore, cela résulte de sa conversion. Augustin perçoit que le péché est une extériorité, une fuite de soi-même dans la dissemblance. Il est comme le fils prodigue de l’Évangile qui revient « en lui-même », pour retourner à son père. Ainsi Augustin comprend que la conversion débute par un retour au cœur mais ne s’arrête pas là : Seigneur, tu étais au-dedans de moi, « plus intérieur, plus présent que ma propre présence intérieure, tu étais supérieur à ma propre cime ». Dès lors, l’intériorité n’est pas narcissique, elle n’est pas une simple introversion. Elle est un retour à Dieu. Je suis certain que Léon XIV veut nous proposer ce chemin d’intériorité. Il constate que notre monde engendre des suractifs, dans une extériorité stimulée par le monde de l’image. L’intériorité est une conversion, retour au cœur, à notre identité propre et un retour à Dieu.

Cela n’est-il pas trop exigeant pour notre époque ?

L’équilibre que saint Augustin expose dans ses Confessions, tout particulièrement, est très beau : il confesse son péché, ses fautes, mais dans le même temps loue Dieu, affirmant qu’il est bonté, Beauté, présence et miséricorde ! De fait, le premier acteur des Confessions, ce n’est pas Augustin, c’est Dieu. Voilà un équilibre dont nous avons besoin, en cette période un peu déprimée. En particulier pour nous, prêtres : accepter d’être vrais et humbles. Léon XIV a rappelé ce mot d’Augustin : « Avec vous, je suis chrétien, pour vous je suis évêque. » Augustin est taillé dans le même bois que tout chrétien… C’est une des raisons de son actualité. Il est véridique, il dit la pauvreté de l’homme sans Dieu et la beauté du chrétien racheté par son Seigneur.

Saint Augustin était aussi un penseur politique. On dit parfois qu’il souhaitait l’instauration d’une théocratie. Est-ce juste ?

Non, certainement pas. Cette interprétation a pu se développer à la fin du Moyen Âge, et être reprise au XXe siècle. Heureusement, des théologiens comme le Père de Lubac ou Charles Journet ont rendu justice à Augustin. S’il oppose la cité de Dieu et la cité terrestre, en tant que notions spirituelles, Augustin affirme qu’elles sont toujours mêlées, tissées dans la société des hommes. Et cela jusqu’à la fin de l’histoire, lorsque l’ivraie sera séparée du bon grain ! Augustin n’a jamais prêché une Église séparée du monde. Au contraire, il écrit que la cité de Dieu ne pourrait pas s’établir si la vie des chrétiens n’était pas une vie dans la société. Mêlés aux non-chrétiens, avec une vie différente par ses principes, mais bien « au milieu d’eux ». Comme tant de pères de l’Église, Augustin dit que nous pèlerinons vers la cité du ciel… mais en marchant dans la cité d’ici-bas.

Ce discours est-il audible pour notre époque ?

C’est très exigeant. En particulier dans un monde où les confusions du spirituel et du temporel sont vives, voire conflictuelles. Certains prônent l’isolement des croyants, d’autres voudraient l’absorption du domaine civil dans le religieux. Le chrétien doit aimer son temps et y œuvrer, en vue du bien commun. Cela signifie que le christianisme a encore quelque chose à dire. Je ne dis pas que ce soit facile, en particulier en France, après deux longs siècles de laïcité et de séparation. Mais cela fait partie de l’espérance que le chrétien peut et doit donner.

En tant que religieux augustinien, Léon XIV a passé sa vie à vivre selon la Règle de saint Augustin. Quelles sont ses spécificités ?

Depuis sa jeunesse, Augustin portait dans son cœur un besoin d’amitié fort. Quand il s’est converti, il n’a pas abandonné cette perspective. Il l’a purifiée, spiritualisée dans la vie commune par la consécration à Dieu. Après son baptême en 387, il a voulu fonder une communauté, mais c’est comme évêque qu’il réunira son clergé autour de lui, avec une Règle. Elle organise pour ses prêtres la vie en un triptyque : la vie commune fraternelle, la vie de prière autour de l’autel, la vie pastorale apostolique, le tout dans la mise en commun des biens, la chasteté et l’obéissance. Devenu Pape, je devine que Léon XIV va continuer à mener une vie simple, un peu comme Augustin évêque. Permettez-moi de rêver : ce serait un signe très fort pour l’Église si, dans les palais apostoliques du Vatican, il pouvait mener une vie commune, avec des frères, selon sa vocation propre d’augustinien.