« Lutter contre ce projet est un devoir » - France Catholique
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Euthanasie : la fuite en avant
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« Lutter contre ce projet est un devoir »

© David Henry – pexels

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« Lutter contre ce projet est un devoir »

« Lutter contre ce projet est un devoir »

Les députés examinent le texte sur « l’aide à mourir », qui vise à légaliser l’euthanasie. Un projet qui contrevient à l’interdit de tuer. Entretien avec Véronique Bourgninaud, directrice de la communication et de la collecte à la Fondation Jérôme-Lejeune.
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Vous avez été auditionnée par la commission des Affaires sociales de l’Assemblée, avant que le texte n’arrive en séance publique. Les députés vous ont-ils semblé attentifs à vos arguments ?

Véronique Bourgninaud : Ils ont fait preuve d’une politesse toute républicaine, mais je n’ai pas eu le sentiment qu’ils aient beaucoup entendu. Ils ont été surtout attentifs aux arguments de l’ADMD [Association pour le droit de mourir dans la dignité], comme si s’était noué un jeu d’alliance entre cette association, qui milite pour la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, et certains députés – à commencer par le rapporteur de ce projet, Olivier Falorni. La commission des Affaires sociales a adopté 68 amendements. Or 3 seulement sont issus de la droite – et un du RN – alors qu’elle en avait déposé plus de 400 ! La plupart viennent de l’extrême gauche. Et l’on ose dire que ce texte est équilibré ? Les députés hostiles à l’euthanasie ne sont hélas pas très nombreux, et que leur voix porte d’autant moins que la droite ne fait pas bloc, au motif que ce choix relèverait de l’intime… alors qu’il s’agit d’un sujet qui touche à l’humanité ! Le jeu politique prime sur les enjeux anthropologiques.

Que pensez-vous du texte soumis au vote des députés ?

Permettez-moi d’abord un petit rappel historique, pour éclairer les soubassements du débat. Le mouvement en faveur de l’euthanasie est ancien mais ses partisans ont adapté leur discours. Il était déjà vigoureux avant la Seconde Guerre mondiale, l’argument principal étant alors eugénique. Il s’est fait plus discret après, quand on a pris conscience des horreurs du nazisme. Mais il a resurgi dans les années 1960 – ses défenseurs prétendant cette fois permettre à chacun de « mourir dans la dignité ». De sorte que l’euthanasie se présente désormais comme une proposition respectueuse et respectable, sous le masque de la bienfaisance humaine et médicale. Mais on est sorti plus récemment du seul registre de la compassion pour la présenter comme l’expression d’un choix, la revendication d’un « droit à mourir » dont devrait bénéficier tout individu. Cet argument est sans cesse avancé dans les débats parlementaires : on promet à chacun la mort de son choix…

Et ce texte est en conséquence encore plus « libéral » que le projet initial…

Il évolue dans un sens toujours plus défavorable à chaque examen, c’est-à-dire que le texte de la commission des Affaires sociales est pire que la proposition de loi initiale, qui est pire que le projet de loi qu’avait présenté le gouvernement l’an dernier ! Ce qui montre bien que, franchie la limite, il n’y a plus de limite ! Nous verrons ce qu’il sortira des débats à l’Assemblée cette semaine…

Des exemples de cette « fuite en avant » ?

D’abord, l’intitulé du texte a changé. On ne parle plus de « fin de vie » mais bien d’une « aide à mourir » présentée comme un droit – ce qui a le mérite, si j’ose dire, de lever toute ambiguïté. La commission a aussi refusé de faire de la prise en charge en soins palliatifs un préalable à l’aide à mourir. Et les conditions posées pour y accéder sont très floues. Il faut être atteint d’une « affection grave et incurable […] qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale » et « présenter une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection », réfractaire aux traitements ou jugée insupportable par la personne – qui peut choisir de ne pas être soignée. Des critères susceptibles de bien des interprétations ! La Haute Autorité de santé reconnaît elle-même qu’il n’y a « pas de consensus médical » sur la définition du pronostic vital, ni sur la notion de phase avancée : « Les professionnels de santé évaluent le pronostic vital avec des outils qui présentent une fiabilité insuffisante et un degré d’incertitude important », a-t-elle écrit. Ce flou est d’autant plus inquiétant qu’on estime à 19 millions le nombre de personnes souffrant d’une maladie chronique en France, et que 13 millions en sont handicapées… Or il n’est même pas prévu de contrôle en amont du respect de ces critères !

La commission a aussi refusé d’exclure de ce dispositif les personnes ayant une déficience intellectuelle…

De même qu’elle a refusé de rendre obligatoire l’avis d’un psychiatre quand le médecin doute du caractère libre et éclairé de la demande… au risque que ces personnes – souvent très influençables – soient euthanasiées en dépit de leur vulnérabilité. Et tout cela peut se faire sans prévenir ni la famille, ni les proches, qui n’ont aucun recours possible !

La commission a aussi rejeté les amendements visant à limiter les lieux où l’euthanasie peut être pratiquée, de sorte qu’elle pourrait l’être à domicile, chez un proche, dans un établissement médicosocial, à l’hôpital ou dans un Ehpad ! Et l’article 9 prévoit que la présence du professionnel de santé n’est pas nécessaire quand il n’administre pas la substance létale… On pourrait aussi noter, de façon ironique, que la personne euthanasiée est réputée décédée de mort naturelle, alors qu’il s’agit d’une mort provoquée. Nous sommes dans le mensonge absolu.

Qu’en est-il de la clause de conscience ?

Les députés ont refusé de l’élargir aux infirmiers et aux infirmières alors que la loi prévoit qu’ils puissent pratiquer une euthanasie. Ce qui signifie qu’ils ne pourront pas refuser de le faire sans encourir de sanctions ! Quant aux médecins objecteurs, ils devront adresser leur « patient » sans délai à un confrère qui pratique « l’aide à mourir »… Et les directeurs d’établissement de santé seront tenus d’organiser l’acte létal en leurs murs… Il est même prévu la création d’un délit d’entrave à « l’aide à mourir », puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende – disposition qui menace la prise en charge des patients en soins palliatifs et constitue vraiment une négation de la prévention du suicide. En revanche, tous les amendements visant à créer un délit d’incitation à l’euthanasie ou au suicide assisté ont été rejetés !

S’il votait ce texte, le Parlement adopterait la loi la plus permissive au monde. Aucun pays ne va aussi loin dans la « dérégulation » de la mort ! Et, de l’aveu même des promoteurs de l’euthanasie, ce texte n’est qu’une étape… Leur but, à terme, est vraiment de lever toutes les conditions restrictives qui demeurent malgré leur lobbying.

Selon Emmanuel Macron, reçu par la Grande Loge de France, ce débat « ne peut être réduit à la question de savoir si on est pour la vie ou contre la vie » : il faut savoir, dit-il, « penser le moindre mal »

Tout n’est pas relatif. Prendre la vie d’un innocent n’est jamais un moindre mal. Peut-on admettre que la vie de telle personne vaut moins que la vie de telle autre ? Il y a des actes qui sont intrinsèquement mauvais. L’euthanasie en fait partie. Le nier, c’est ouvrir la porte à l’arbitraire. Au mal. Mgr de Moulins-Beaufort a eu raison de le rappeler à Emmanuel Macron : « Non, Monsieur le Président, le choix de faire mourir et d’aider à se tuer n’est pas celui du moindre mal. C’est celui de la mort tout court. » Il y a des limites éthiques à ne pas franchir.

Vous avez deux enfants porteurs d’un handicap mental. En tant que mère, que redoutez-vous ?

Je crains pour mes enfants car ce texte ne les préserve en rien d’abus, hélas prévisibles. Les personnes atteintes d’une déficience intellectuelle n’auront jamais la capacité de comprendre pleinement les implications de l’euthanasie. C’est bien leur impossibilité de pourvoir seules à leurs intérêts qui est le fondement de toutes les mesures de protection juridique. Aujourd’hui, la loi interdit à une personne sous tutelle de vendre seule sa maison, par exemple, ou de donner son sang. Et l’on voudrait, demain, qu’elle puisse décider d’être
euthanasiée ? Tout cela est déraisonnable.

Plus généralement, ce texte réduit la personne à ses capacités, voire à son utilité. Est-ce à dire que la vie d’une personne physiquement handicapée, mentalement déficiente, souffrant de maladie ou même âgée ne vaut pas la peine d’être vécue ? Mais qui peut juger de la dignité d’un être humain ? Mes enfants ne vivent absolument pas leur handicap comme une indignité ! Ils n’attendent qu’une chose : qu’on les aime ! Qu’on les aide et qu’on les soutienne ! Tout n’est pas toujours facile, c’est vrai, mais pour vivre avec eux tous les jours, je peux vous dire qu’ils m’offrent une grande leçon de vie.

Pourquoi dites-vous que l’euthanasie est un mensonge ?

Ses partisans estiment qu’une mort « vécue » dans la souffrance, la dégradation physique et souvent la confusion intellectuelle, n’est pas digne de l’homme. Mais parler de « mort digne » n’a pas plus de sens que de parler de naissance « digne ». Quoi qu’on fasse, la mort fait partie de la condition humaine, avec son cortège de souffrances, qu’il faut évidemment réduire, c’est le but des soins palliatifs. Mais c’est un mensonge de prétendre que l’euthanasie offre une mort « réussie ». Au contraire, elle vole sa mort au malade. Elle empêche l’homme d’accepter sereinement la mort. De faire lucidement son deuil de la vie. C’est un travail qui prend du temps. Ce n’est certainement pas en injectant un produit létal qu’on va rendre la mort plus digne.

À ce mensonge s’ajoute une idée fausse, celle qu’un être humain pourrait décider librement de tout, y compris de sa mort. Mais l’être humain est un être de relations. Que serions-nous sans les autres ? Notre autonomie elle-même est tissée de relations. La liberté ne se conçoit pas sans l’entraide. Nous nous confions les uns aux autres. Et c’est cette confiance qui fait le prix et la beauté de la vie. Personne ne doit pouvoir en abuser.

Comment éviter le pire ?

Cette proposition de loi n’est pas encore adoptée, loin de là ! Les débats se poursuivront au Sénat, nous avons encore le temps de les infléchir. Que pèserait l’ADMD si tous les chrétiens se levaient et se mobilisaient pour écrire à leurs députés, à leurs sénateurs ? Toutes les associations qui défendent la vie en France – dont la Fondation Jérôme-Lejeune – ont développé des outils d’interpellation des élus, très simples d’utilisation.

Je crois aussi qu’il nous faut beaucoup prier et jeûner. Il est du devoir des chrétiens de lutter contre l’adoption de ce texte. La demande d’euthanasie vient d’une déshumanisation de la mort, d’une perte du sens de la transcendance et de la véritable dignité humaine. Nous, chrétiens, avons un devoir de charité. Cette crise appelle une réponse du cœur, une réponse qui coûte en signes, en solidarité avec le souffrant. La vraie réponse se trouve dans l’acte de charité, dans l’accompagnement du malade mourant et incurable. C’est la réponse chrétienne par excellence, contre laquelle toutes les objections s’effondrent, à moins qu’on ne veuille tourner en dérision l’amour, la patience, la capacité professionnelle de ceux qui se consacrent à ce service des mourants – qui est plutôt le service des vivants jusqu’à la mort.

Et puis, j’ai envie de dire à nos amis prêtres et évêques : « Ne sous-estimez pas votre rôle de pasteurs, rappelez-nous le magistère de l’Église sur l’accompagnement des personnes en fin de vie. » Ce magistère est limpide et cohérent. S’il condamne l’euthanasie, il indique aussi aux fidèles et aux professionnels de santé les dispositions qui permettent de répondre au mieux à ces situations très douloureuses. Chers amis prêtres, exhortez-nous à la charité. Guidez-nous !

La chaire de bioéthique Jérôme-Lejeune tiendra son 3e congrès international à Rome, les 30 et 31 mai 2025. La conférence inaugurale sera donnée par le cardinal Willem Jacobus Eijk.